ANALYSES

“Après les attaques en Arabie Saoudite, une pénurie de pétrole n’est pas impossible”

Presse
18 septembre 2019
Interview de Francis Perrin - Telquel
Suite aux attaques de drones sur des installations pétrolières saoudiennes, le cours du baril de Brent a clôturé lundi avec une hausse de 14,6% et baril le de WTI avec une hausse de 14,7%. Pensez-vous que cette tendance va s’accélérer dans les semaines à venir ?

La hausse des prix enregistrée le lundi 16 septembre a été exceptionnelle, mais les cours du pétrole ont baissé dès le lendemain de plusieurs dollars sur la base d’informations assez optimistes sur l’évolution future de la production pétrolière de l’Arabie saoudite. Cela montre bien que l’un des points clés pour répondre à votre question est d’en savoir un peu plus sur le calendrier de remise en état des deux installations pétrolières clés qui ont été endommagées lors des deux attaques du 14 septembre.
Si des informations fiables et sérieuses font état d’un délai de quelques semaines, cela sera un élément important qui contribuera à calmer les marchés pétroliers qui se sont affolés ce lundi, pour des raisons très compréhensibles par ailleurs.
D’autres éléments joueront un rôle sur les marchés pétroliers dans les semaines à venir : le recours par l’Arabie saoudite à ses stocks pétroliers, le recours ou pas par les pays membres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à leurs stocks stratégiques, la capacité et la volonté de certains pays producteurs de mettre un peu plus de brut sur le marché et d’éventuelles attaques contre des cibles pétrolières au Moyen-Orient. Mais, parmi tous ces facteurs, le plus important est le premier : le rétablissement des capacités saoudiennes et le temps que cela nécessitera.

Y a-t-il un risque de pénurie de pétrole sur le court terme ?

Un risque, oui. Cela ne signifie pas que l’on ne peut rien faire pour empêcher sa concrétisation. Comme je l’ai dit plus tôt, le point clé – pour les prix comme pour la sécurité des approvisionnements – est le calendrier de retour à la production saoudienne d’avant le samedi 14 septembre.
Si ce délai est assez court, il n’y a pas de raison que le monde connaisse une pénurie de pétrole, car les stocks pétroliers sont abondants, notamment dans les pays membres de l’AIE. Si ce n’était pas le cas, les choses seraient plus compliquées. Les milieux pétroliers et économiques sont donc suspendus aux annonces que l’Arabie saoudite et Saudi Aramco (compagnie nationale saoudienne des hydrocarbures) devraient faire très prochainement.

Se dirige-t-on vers un choc pétrolier causé par la guerre au Yémen ?

Je serai très prudent sur ce sujet d’un éventuel futur choc pétrolier. Je n’y crois pas à court terme. Les deux chocs pétroliers de la décennie 1970 (1973-74 et 1979-80) ont été déclenchés, rappelons-le, par des chocs politiques au Moyen-Orient : la quatrième guerre israélo-arabe en octobre 1973 et la révolution islamique en Iran au début 1979. Evidemment, si on estime que l’on se dirige vers une nouvelle guerre dans cette région clé pour le système pétrolier mondial, c’est une hypothèse que l’on ne peut pas écarter.

Pourquoi l’OPEP n’a-t-elle pas encore réagi à cet événement en augmentant la production ?

L’OPEP, dont l’Arabie saoudite est membre, suit de près la situation et des échanges ont eu lieu avec les Saoudiens et avec l’AIE. L’OPEP estime que, pour l’instant, il est urgent d’attendre, ce qui est raisonnable, car nous parlons d’attaques qui se sont déroulées il y a trois jours et, dans ce contexte, un peu de recul ne fait jamais de mal.

L’organisation est prête à faire son devoir, mais elle veut être sûre que ce sera nécessaire. Aujourd’hui, il n’y a pas de pénurie de pétrole même si celle-ci n’est pas impossible par la suite. Il y a eu cette forte hausse des prix le 16 septembre, mais une baisse (moins importante que la hausse) dès le lendemain.

Cela dit, si l’OPEP devait constater qu’il faut produire plus à court terme, sa marge de manœuvre serait assez mince. En effet, parmi les 14 pays membres de l’organisation, celui qui peut produire nettement plus dans un délai bref est … l’Arabie saoudite, en tout cas jusqu’à il y a quelques jours.

Bien sûr, l’Iran pourrait produire plus, mais on voit mal l’Arabie saoudite accepter que l’Iran augmente sa production alors que Riyad estime que Téhéran est responsable des deux attaques du 14 septembre. On imagine également très difficilement les Etats-Unis assouplir leurs sanctions contre l’Iran alors que Washington désigne aussi Téhéran comme responsable.

L’augmentation soudaine des prix du pétrole peut-elle menacer la croissance mondiale, déjà faible depuis quelques années ?

La croissance économique mondiale n’est pas menacée par une forte hausse des prix du pétrole si celle-ci dure 24 heures ou quelques jours. Il faut plus que cela. Par ailleurs, des prix du brut entre $60 et $70 par baril ne sont pas très élevés. Nous avons eu des prix qui ont été constamment supérieurs à $100/baril entre 2011 et juin 2014. Pour que la croissance mondiale, qui ralentit effectivement, soit menacée, il faudrait des prix plus élevés pendant une certaine période.

Les marchés vont-ils se rendre compte que l’Arabie saoudite est un pays vulnérable et qu’on ne peut plus compter sur lui pour s’approvisionner régulièrement en pétrole ?

L’Arabie saoudite est un géant pétrolier : ce pays contrôle les deuxièmes plus importantes réserves prouvées de pétrole dans le monde, il est le troisième producteur mondial de brut et le premier exportateur. Il contribue largement à stabiliser le marché pétrolier en maintenant une capacité de production non utilisée qui peut être mobilisée rapidement si nécessaire.

Il est donc peu probable que les marchés et que les pays importateurs considèrent que l’on ne peut plus compter sur l’Arabie saoudite. Mais ce qui s’est passé le 14 septembre souligne une vulnérabilité qui doit être prise en compte dans divers scénarios pour l’avenir. Il y aura plusieurs leçons à tirer de ce qui vient de se passer. Des leçons pour l’Arabie Saoudite et son protecteur américain, mais également des leçons pour les pays importateurs de pétrole. Cela ne signifie pas que l’on peut se passer de l’Arabie Saoudite.

Peut-on faire un lien entre l’annonce de l’introduction en bourse d’Aramco avant la fin de l’année et l’attaque contre ses installations pétrolières ?

On ne peut pas le savoir de façon sûre, mais il est tentant de faire ce rapprochement et de se dire qu’il y a sans doute là plus qu’une coïncidence. Ce qui est certain, c’est que ces deux attaques vont beaucoup compliquer le projet d’introduction en bourse de Saudi Aramco et pourraient peser négativement sur sa valorisation. Or, les dirigeants saoudiens, notamment le prince héritier Mohammed ben Salmane, comptent sur la valorisation la plus élevée possible pour contribuer au financement de la diversification de l’économie saoudienne dans le cadre de la “Vision Arabie Saoudite 2030”.
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