28.11.2024
Sommet pour l’action climatique de l’ONU : quels résultats et enseignements ?
Tribune
2 octobre 2019
Le 23 septembre 2019, à la veille de l’ouverture des débats de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, s’est tenu à New York le Sommet Action Climat organisé à l’initiative de son Secrétaire général, António Guterres.
L’objectif de cette réunion rassemblant des représentants des gouvernements, de la finance, du secteur privé et de la société civile était d’appuyer les efforts visant à mettre en œuvre l’Accord de Paris et de préparer le rehaussement du niveau des ambitions en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de financements. En effet, le sommet est intervenu exactement un an avant la révision des Contributions déterminées nationalement – (CDN), les feuilles de route nationales des pays dans le cadre de l’Accord de Paris – indispensable pour maintenir l’augmentation de la température moyenne en dessous de 2°C voire 1,5°C d’ici 2100. Au-delà des États, les secteurs financiers et privés étaient également attendus au tournant. Alors que ce Sommet se présentait comme celui de « l’action concrète », les résultats sont-ils à la hauteur ?
Une révision partielle des CDN
Au total, 67 pays – dont le Chili, l’Argentine, le Mexique, le Nigéria, le Mali, le Maroc, la Barbade, les Maldives, la Norvège, l’Ukraine, la Suisse, etc. – représentant 8% des émissions mondiales ont annoncé leur intention de rehausser le niveau d’ambition de leur CDN d’ici 2020. Plus prudents, 13 pays – dont l’Algérie, le Kenya, la République Démocratique du Congo ou encore Cuba – comptant pour 2,6% des émissions mondiales ont pour leur part fait état de leur projet de « mettre à jour » leur CDN d’ici 2020 (sans nécessairement en rehausser le niveau d’ambition).
Nombre d’États ont également fait des annonces visant la décarbonation de leur mix énergétique[1] via l’augmentation progressive de la part des énergies renouvelables : 66% pour l’Allemagne d’ici 2030, qui s’est aussi engagé à stopper sa production d’électricité à partir du nucléaire d’ici 2022 et du charbon d’ici 2038 ; 100% pour la Nouvelle-Zélande d’ici 2023 ; 10% pour la Colombie d’ici 2022 et 20% à horizon 2030 ; 30% pour le Nigéria d’ici 2030 ; 39% pour la Turquie d’ici 2023.
Trente pays adhèrent désormais à une alliance promettant de stopper la construction de centrales au charbon à partir de 2020, la Finlande s’étant engagée à ne plus produire d’électricité à partir de cette source d’énergie d’ici 2028. Certains, comme la Barbade, se sont fixés comme objectif de se libérer des énergies fossiles d’ici 2030. D’autres ont fait le choix d’aller plus loin, s’engageant à atteindre la neutralité carbone : la Norvège d’ici 2030, la Finlande d’ici 2033 (avec un objectif d’émissions négatives après cette échéance), l’Islande d’ici 2040.
Des perspectives financières inégales
Concernant la recapitalisation du Fonds Vert pour le Climat, la France et l’Allemagne ont promis chacune 1,5 milliard en plus, permettant d’atteindre 7 milliards sur les 10,2 milliards de dollars d’objectifs de la première levée fixée dès 2009. Si cela permet de combler en partie la défection américaine, nous restons bien loin de la cible « théorique » des 100 milliards. L’Islande et la Norvège se sont elles engagées à doubler leur contribution respective au Fonds, tout comme le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède. Enfin, le Qatar promet 100 millions de dollars au profit des petits États insulaires et des pays les moins développés.
À noter, peu avant l’ouverture du sommet, un total de 500 millions de dollars supplémentaires pour l’Amazonie et les forêts tropicales ont été débloqués lors d’une réunion spéciale sur le sujet. Parmi les donateurs, on compte la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, l’Allemagne (250 millions de dollars promis) et la France (100 millions).
Côté secteur privé, Danone a annoncé la création de One Planet Business for Biodiversity, une coalition de 20 des plus grandes entreprises agroalimentaires mondiales visant à donner une place centrale aux solutions fondées sur la nature pour protéger la biodiversité et les écosystèmes. D’autre part, une alliance des principaux assureurs et fonds de retraite, initiée notamment par Allianz et la Caisse des Dépôts et consignations, s’est engagée à gérer des portefeuilles neutres en carbone à l’horizon 2050.
Concernant le secteur financier, 130 banques ont adopté de nouveaux principes de gouvernance « pour une banque responsable », les engageant à filtrer leurs actifs, prêts et crédits ainsi qu’à être transparentes sur ces processus et leurs progrès. Les vingt-cinq plus grandes banques continentales et nationales de développement, dont l’Agence française de développement, ont pour leur part décidé de financer 1000 milliards de dollars de projets climat d’ici à 2025. Enfin, des initiatives public-privé ont également été annoncées avec le déblocage, par la fondation Bill et Melinda Gates, la Banque mondiale et plusieurs gouvernements, de 790 millions de dollars à destination de 300 millions de petits exploitants agricoles.
Une Alliance de l’Ambition Climatique
Au-delà des résultats mentionnés ci-dessous, ce sommet a également été l’occasion pour la Présidence chilienne, en charge de l’organisation de la COP25 en décembre 2019, d’annoncer le lancement de l’Alliance de l’Ambition Climatique (AAC), qui réunit 66 États (dont l’Union européenne), 10 régions, 102 villes et 93 entreprises adhérant à l’objectif d’une neutralité carbone d’ici 2050[2], soit un bilan de zéro émission de gaz à effet de serre. Au-delà de cet objectif qui aura un impact bénéfique sur les efforts d’atténuation des émissions de GES dans le cadre de l’Accord de Paris, l’AAC comprendra également des actions fortes en matière d’adaptation et une implication active du secteur privé. Le Chili ambitionne d’étoffer la liste des parties prenantes adhérant à cette alliance d’ici la COP25, tandis que cet objectif devrait guider la révision des CDN des pays. Côté européen, il faudra aussi dépasser l’échec en juin 2019 de l’adoption du plan de neutralité carbone, rejeté par la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et l’Estonie.
Les principaux émetteurs absents du sommet
D’autre part, la Russie a signé lundi une résolution gouvernementale consacrant son adhésion définitive à l’accord de Paris sur le climat – un pas important, mais qui ne peut se substituer à une ratification. Pour autant, et malgré les résultats mentionnés ci-dessus, les engagements pris lors de ce Sommet ne sont pas à la hauteur des attentes. En effet, alors que tous les pays ayant ratifié l’Accord de Paris (183 sur 197 signataires de la Convention climat) étaient invités à présenter leurs nouveaux engagements, seuls 67 pays (soit un tiers des signataires), essentiellement des pays en développement comptant pour moins de 10% des émissions de GES mondiales, se sont engagés à une révision ambitieuse de leur CDN. Surtout, les principaux pollueurs (Chine, États-Unis, Russie, Australie, Brésil) ne se sont tout simplement engagés à aucune révision, et ne se sont pour la plupart d’ailleurs même pas rendu au Sommet, forçant à en relativiser le succès. Ce manque d’ambition offre un contraste sévère avec les mobilisations citoyennes en faveur de l‘action climatique de ces derniers mois.
La poursuite de la judiciarisation de la lutte contre le changement climatique
Ce Sommet fut également marqué par l’annonce d’une action en justice intentée par 16 jeunes âgés de 8 à 17 ans venus de 12 pays, à l’encontre de cinq États (la France, l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil et la Turquie) pour dénoncer leur inaction climatique comme une atteinte à la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant. Cette plainte inédite, déposée avec l’aide du cabinet international d’avocats Hausfeld et avec le soutien de l’Unicef, s’inscrit dans le cadre de l’Article 5 du troisième Protocole optionnel de la Convention qui autorise depuis 2014 des enfants à porter plainte devant le comité des droits de l’enfant de l’ONU, s’ils estiment que leurs droits sont bafoués. Plus précisément, ce protocole, signé par 44 pays, implique la saisine d’un comité d’expert ne pouvant émettre que des recommandations, et n’implique pas d’avocats, de procès ou de sanctions. Ainsi, d’après Arnaud Gossement, avocat spécialiste du Droit de l’Environnement, l’intérêt de cette procédure n’est pas d’aboutir à un jugement auprès d’une cour, mais de statuer sur le lien entre changement climatique et droit de l’homme, dont les droits de l’enfant ; et si oui dans quelle mesure les droits de l’enfant sont menacés par l’inaction climatique des pays poursuivis.
Bien que ce ne soit pas la première fois que des pays sont poursuivis en justice pour leur manque d’action dans la lutte contre le réchauffement climatique (Urgenda aux Pays-Bas, l’Affaire du Siècle en France), cette annonce a depuis largement été commentée et critiquée. Entre autres, a été reproché aux plaignants de ne pas poursuivre en justice les principaux émetteurs de GES – soit les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie. Or, ces derniers n’ayant pas signé le protocole susmentionné, ils ne peuvent être poursuivis en justice dans le cadre de ce dernier. De plus, la position de ces 16 jeunes, pour qui les pays poursuivis ont « causé et perpétué sciemment la crise climatique », se justifie du fait qu’ils font partie des premiers pollueurs mondiaux – la France et l’Allemagne ayant surtout une responsabilité historique d’émissions de GES. En outre, ces cinq pays sont influents au sein du G20, qui regroupe des pays responsables de plus de 80% des émissions mondiales de GES.
Il faut ici bien comprendre que seule l’exemplarité des pays considérés historiquement responsables du changement climatique permettra de continuer à mettre la pression sur les États « en développement » qui procrastinent ou refusent pour l’heure de s’engager. Demander, comme certains esprits égarés ont pu le faire, aux jeunes d’aller manifester en Chine ou à Greta Thunberg de suivre un traitement médical est souvent idiot, parfois injurieux, mais surtout montre une méconnaissance de la diversité de la mobilisation des jeunes, du système international et des traités en vigueur. La pression populaire contre les gouvernements chinois ou indien doit émaner des Chinois et des Indiens eux-mêmes, pas des Français ou des Suédois. Les diplomates occidentaux, par leur habileté et leur discrétion, peuvent exercer une forme de pression sur les décideurs de ces pays qui doivent aussi prendre leur responsabilité. Mais les jeunes du Nord invectivant le Sud ne seraient pas audibles et fourniraient d’utiles arguments aux adversaires de la cause climatique dans le monde en développement.
Si la France n’est pas le plus mauvais élève, loin de là, elle n’atteint pas les objectifs qu’elle se fixe – contrairement à la Chine, même si a encore beaucoup à faire en tant que premier émetteur – et donne bien souvent des leçons à nombre de ses partenaires internationaux. Il s’agit simplement de le rappeler. De même, l’assignation en justice n’est rien d’autre qu’une stratégie de plaidoyer et d’influence, une possibilité offerte par le droit, que les citoyens peuvent utiliser pour interpeller les décideurs et l’opinion publique. Qu’elle ne puisse convaincre tout le monde est inévitable. Toutefois, il est bien dommage que certains n’y voient qu’une occasion de pousser des cris d’orfraie devant l’engagement – radical, vraiment ? – de jeunes qui n’ont pas le droit de vote, mais se soucient de la trajectoire de développement des sociétés auxquelles ils appartiendront plus longtemps que leurs détracteurs zélés. Sans doute les critiques sont-elles davantage dirigées contre celle qui a été désignée égérie de ce mouvement, Greta Thunberg, et son style indéniablement clivant, que contre le principe lui-même.
S’il y a une forme d’hystérie, ce n’est pas chez la jeune militante suédoise qu’on la trouve, mais plutôt dans les commentaires dont elle fait l’objet, de la part d’éditorialistes qui l’insultent sur les plateaux de télévision tout en expliquant qu’au nom de la – si pratique – bien-pensance, il est impossible de la critiquer parce qu’elle est autiste. Il reste à espérer que l’on puisse rapidement prendre un peu de hauteur et laisser de côté la rhétorique du messager pour revenir au sujet du message, ce dont nous avons besoin pour progresser collectivement dans la réflexion sur les solutions à mettre en œuvre pour lutter efficacement contre le changement climatique.
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[1] Liste non exhaustive.
[2] La liste complète des parties prenantes est disponible ici: https://www.cop25.cl/en/alianza-de-ambicion-climatica-las-naciones-impulsan-una-accion-de-alto-nivel-para-2020-y-lograr-neutralidad-de-carbono-para-2050/