21.11.2024
La procédure de destitution contre Trump sera « au cœur de la campagne présidentielle »
Presse
25 septembre 2019
D’abord parce que le soupçon est grand d’un abus de pouvoir présidentiel dans le cadre de la campagne. Ensuite, il y a le soupçon de la mise en danger de la sécurité de l’Etat. Enfin, celui d’une obstruction à la justice, puisque l’administration Trump a empêché le Congrès d’avoir accès à tous les éléments du rapport du renseignement fait par le lanceur d’alerte. Nancy Pelosi et le Parti démocrate se disent peut-être qu’un cap a été franchi sur ces trois niveaux et que, s’ils laissent faire, c’est laisser le champ libre à Donald Trump pour qu’il aille encore plus loin.
Le précédent du rapport Mueller a montré qu’en laissant trop longtemps la main à la présidence elle finissait par faire ce qu’elle voulait des documents officiels. Elle ne les donnait pas en entier, en faisait son propre résumé, en tirait des conclusions partisanes, réussissant à tourner le message médiatique à son avantage, permettant au président de répéter : « No collusion. »
De plus, la presse risque d’accuser le Parti démocrate de passivité, ce qui pourrait les fragiliser.
Quel est l’intérêt de cette procédure, maintenant ?
Certes, la perspective d’une procédure en destitution s’était estompée avec la fin de l’enquête sur le « Russiagate » par le procureur spécial Robert Mueller. Mais, justement, les démocrates ne veulent pas être « bernés » une deuxième fois. En cela, le précédent du rapport Mueller est une leçon pour eux.
Je pense que c’est une question d’honneur pour Nancy Pelosi, qui reproche à Trump de pratiquer une obstruction systématique à l’égard du Congrès, notamment sur le travail législatif et sur le contrôle, par le Congrès, du travail de l’exécutif, qui est pourtant inscrit dans la Constitution. Elle veut ne pas donner l’impression, y compris à Trump lui-même, qu’il a le champ libre. C’est le point culminant de l’affrontement entre la Chambre démocrate et la Maison Blanche.
Si Nancy Pelosi, qui se refusait depuis les élections de mi-mandat à lancer une procédure d’impeachment, se range à l’avis (ou à la pression ?) de l’aile gauche de la Chambre, c’est sans doute parce qu’elle a des éléments solides. C’est une femme politique aguerrie et prudente, or les mots qu’elle a prononcés hier et écrits sur Twitter sont très durs contre le président.
Finalement, dans cette présidence hors norme, on voit que les institutions démocratiques résistent aux tentatives d’abus de pouvoir du président.
Quelles sont les chances d’une mise en accusation d’aboutir à la destitution du président ?
Elles sont très faibles, à ce stade, avec un Sénat majoritairement républicain. D’autant que certains sénateurs républicains qui jouent leur réélection en 2020 et ceux de certains territoires-clés (« swing states ») regardent de près les sondages de cet été ; ajoutons le fait que les indépendants semblent très majoritairement contre l’impeachment.
Cependant, tout est possible, parce qu’il est question de sécurité nationale, d’Ukraine et, donc, des ombres de la guerre froide, autant de sujets qui parlent aux républicains. Et parce qu’au fur et à mesure que seront dévoilés les détails de l’affaire, l’opinion publique va peut-être évoluer.
Du reste, le Sénat a voté à l’unanimité, mardi, une résolution demandant à l’administration Trump de lui fournir l’intégralité du rapport du lanceur d’alerte, qu’il va peut-être auditionner. En fonction des éléments à venir qui seront dévoilés, on est dans l’expectative…
Quel sera l’effet de cette procédure sur la campagne présidentielle ?
Les éléments de langage présidentiels vont être ceux de la « persécution de Trump par les démocrates » : il a déjà commencé à tweeter en lettres capitales ses slogans « chasse aux sorcières », « harcèlement contre le président » et il pourra réactiver l’argument du « seul contre tous ».
Mais ce qui me frappe aussi, c’est qu’il essaie de garder la main sur la communication. Il essaie d’avoir un temps d’avance, dans une technique de « teasing défensif ». Il valide en partie les informations publiées par la presse américaine, tout en se donnant le beau rôle : il a voulu défendre la sécurité des Etats-Unis parce qu’il pense que la famille Biden est corrompue, mais aussi que l’Ukraine est corrompue, d’où son souhait de ne pas leur accorder l’aide financière prévue, etc.
La destitution va être au cœur de la campagne présidentielle et l’attention va être focalisée sur l’honnêteté de Joe Biden. Il va devoir répondre aux questions sur les « affaires » de son fils avec l’Ukraine. On se rappelle que l’affaire des courriels a empoisonné la campagne de Clinton en 2016.
L’enjeu est donc énorme pour les deux camps : la nation va être encore plus divisée qu’aujourd’hui, si cela est possible. Les électeurs des deux partis vont être galvanisés.
Qui en sortira gagnant ? Tout dépend de ce que va révéler le témoignage du lanceur d’alerte : si ça va loin, ça peut desservir les républicains lors des élections législatives [qui auront lieu en même temps que l’élection de novembre 2020], donc Donald Trump.
Propos recueillis par Pierre Bouvier