04.11.2024
« Dictionnaire amoureux de la Diplomatie » – 3 questions à Daniel Jouanneau
Édito
24 septembre 2019
Ambassadeur au Mozambique, au Liban, au Canada et au Pakistan, Daniel Jouanneau a été chef du Protocole des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac avant de diriger l’Inspection générale des Affaires étrangères. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « Dictionnaire amoureux de la Diplomatie » aux éditions Plon.
Peut-on tomber amoureux de la diplomatie, cette fonction tant décriée ?
Oui.
Cette fonction, c’est vrai, fait l’objet de préjugés, alimentés par des clichés tenaces, mais aussi par une longue histoire de commentaires ironiques, de Diderot à Michel Audiard, en passant par Victor Hugo, Balzac, Sacha Guitry. En fait, c’est une profession mal connue. On a peu d’occasions, ou pas du tout, de rencontrer des diplomates. Ils ne sont pas sur les photos quand chefs d’État ou de gouvernement se rencontrent. Or ils sont indispensables aux relations entre les Etats. Ils sont là pour expliquer la politique de leur pays et défendre ses intérêts, comprendre et anticiper, par de multiples, contacts, la situation de celui dans lequel ils servent. Les chefs d’entreprises qui ont remporté un contrat grâce aux conseils d’un bon ambassadeur, ou les Français évacués dans un contexte de crise par l’action d’un consul, savent à quoi servent les diplomates. À Bruxelles, à New York, les diplomates multilatéraux défendent, sur les sujets les plus divers, les intérêts, les idées, les valeurs de leur pays en construisant des alliances.
Diplomate, c’est un vrai métier, et c’est un métier de professionnel, tout comme les autres professions se consacrant aussi à l’international. Il offre à celui ou celle qui l’a choisi à la fin de ses études une palette très large de possibilités, avec la perspective de changer de responsabilités et d’environnement environ tous les trois ans. C’est un métier passionnant. L’envie de devenir un jour diplomate m’est venue un peu avant le baccalauréat. J’ai fait Sciences Po dans ce but, et j’ai eu la chance de pouvoir entrer au Quai d’Orsay à la sortie de l’ENA. Le hasard m’a affecté dans des pays qui connaissaient de grandes transitions : la Rhodésie quelques semaines avant l’indépendance du Zimbabwe ; la Guinée juste après la mort de Sékou Touré ; le Mozambique dans les derniers mois de la guerre civile ; le Liban alors qu’elle venait de se terminer et qu’il se reconstruisait avec Rafiq Hariri ; le Canada lors de la grande alternance libéraux/conservateurs de 2006 ; le Pakistan avec le départ de Musharraf et le retour au pouvoir des civils. Ce sont des contextes rêvés pour un diplomate, car il faut se rebrancher sur les nouvelles équipes, expliquer leur politique à Paris, et assurer la continuité de la relation d’État à l’État. J’ai eu aussi le privilège d’exercer pendant quatre ans les fonctions passionnantes de chef du Protocole, sous l’autorité de deux présidents de la République.
J’ai aimé ce métier, d’un bout à l’autre, et j’ai été un diplomate heureux.
Le Congrès de Vienne (1815) est-il un sommet inégalable de conférence diplomatique ?
Sans aucun doute.
La paix de Westphalie, qui a mis fin à trente ans de guerre, avait été l’aboutissement de quatre ans de négociations, tenues dans des lieux différents, réunissant des groupes d’Etats distincts, et débouchant sur un faisceau de traités bilatéraux parallèles. Il y avait des gagnants, à commencer par la France de Louis XIV, et un grand perdant, l’empire des Habsbourg. Le congrès de Vienne est le premier traité multilatéral de l’histoire. Il ouvre la voie à une nouvelle conception de la diplomatie, qui cherche à faire prévaloir le souci du compromis dans l’intérêt de tous. Le résultat est considérable, puisque c’est la carte de l’Europe tout entière qui est reconfigurée. Metternich et Talleyrand ont imposé une méthode de travail garantissant à la fois la légitimité (tous les Etats européens sont représentés, plus de 250 délégations participent), et l’efficacité : les 500 négociateurs sont, pour la première fois, des diplomates professionnels, et les grands compromis sont élaborés par cinq ministres (Autriche, France, Prusse, Royaume-Uni, Russie) avant d’être soumis à la plénière. L’organisation logistique est confiée à un secrétaire général, comme le sont aujourd’hui les grandes conférences (COP 21, sommets du G7 et du G20).
Serait-il possible encore aujourd’hui d’avoir un ambassadeur qui soit également un grand écrivain, comme certains que vous dépeignez ?
Ce n’est pas une question facile, car le métier d’ambassadeur n’a plus rien à voir avec celui qu’exercèrent les grands anciens. L’ambassadeur d’aujourd’hui travaille souvent dans l’urgence, et son mode d’expression s’est adapté aux techniques numériques et aux exigences instantanées des réseaux sociaux. Il a moins le temps d’écrire en plus de sa correspondance professionnelle. C’est la raison pour laquelle les ambassadeurs attendent généralement l’heure de la retraite pour écrire des mémoires couvrant l’ensemble de leur itinéraire, des biographies ou des témoignages sur tel ou tel évènement historique vécu en direct. Un ambassadeur devient-il un écrivain par le seul fait qu’il a publié ? Non. Et pour accéder au statut de grand écrivain, rejoindre Chateaubriand, Claudel ou Neruda, il lui faudra, comme eux, réussir parallèlement deux carrières très brillantes. Autrefois, elles se complétaient naturellement, et s‘enrichissaient mutuellement. Laisser derrière soi une œuvre, et pas seulement un ouvrage, ne sera pas facile, mais le défi mérite d’être relevé !