18.12.2024
Attaques contre des sites pétroliers : « En Arabie saoudite, c’est le choc et l’inquiétude »
Presse
18 septembre 2019
C’est un sentiment de surprise, de choc, d’inquiétude et de gravité. On entend beaucoup à Riyad la formule « sans précédent », et je pense que l’expression n’est pas galvaudée. Après la double attaque de samedi, le pays a connu d’un jour sur l’autre une chute de production de 5,7 millions de barils sur les 9,7 millions qu’il produit chaque jour, soit l’équivalent de 60 % de sa production, ce qui est du jamais-vu. On ressent également un sentiment de colère maîtrisée en direction de Téhéran, car les Saoudiens n’ont guère de doute ici quant à une responsabilité, directe ou indirecte, de l’Iran. La question qu’ils se posent est de savoir jusqu’où les Iraniens vont aller et quand certains pays vont se décider à les arrêter.
Quelle est l’étendue exacte des dégâts ?
La chute de production de 60 % indique que les deux attaques ont fait très mal à l’Arabie saoudite du point de vue technique et que les dégâts ont été importants. Il faut rappeler qu’elles ont visé l’usine de traitement du pétrole d’Abqaiq, la plus grande au monde, ainsi que le champ pétrolifère de Khurais, l’un des plus importants du pays, et donc de la planète. Maintenant, pour avoir des détails plus précis sur la situation, il faut attendre la conférence de presse ce mardi du ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdelaziz ben Salmane. Mais les Saoudiens savent qu’il ne faut pas trop laisser les tradeurs de pétrole sans information, ce qui est mauvais pour l’équilibre des marchés.
Justement, quelle a été la réaction des marchés après la double attaque ?
Celle-ci a été très rapide et très forte. Samedi, jour des attaques, les marchés étaient fermés. C’est lundi, à la réouverture des Bourses, que l’on a mesuré l’ampleur de la situation. En Asie, le baril de Brent a augmenté en début de séance de 19 %, ce qui est exceptionnel. À l’issue de la journée, après la fermeture des Bourses de Londres et de New York, il était en hausse de 15 %. Nous n’avions jamais vu cela depuis que le pétrole est coté sur le marché interne de Londres (1988). Cette augmentation du prix du baril est colossale, mais elle n’est en réalité pas surprenante. On a attaqué l’Arabie saoudite, gardien du marché mondial du pétrole, premier exportateur au monde et détenteur des deuxièmes réserves de la planète, en visant deux de ses actifs les plus importants dans une attaque à l’ampleur exceptionnelle : les prix ne pouvaient que flamber.
Le cours du baril peut-il encore augmenter ?
Il est possible que les prix se résorbent, car ils ont déjà connu hier une hausse très importante. Les marchés sont actuellement dans l’attente des déclarations saoudiennes. Plusieurs questions capitales se posent. Tout d’abord combien de temps l’Arabie saoudite va-t-elle mettre pour revenir à son niveau antérieur de production de pétrole ? Plus le délai sera important, plus la réaction des marchés sera forte. Ensuite, les Saoudiens vont-ils puiser dans leurs stocks en attendant que la production redémarre ? Actuellement, l’Arabie saoudite possède des réserves lui permettant de conserver le même niveau de production pendant un mois. Autre question, les autres pays producteurs vont-ils augmenter leur production pour combler la diminution de barils, en sachant que la majorité des pays produisent souvent à 100 % de leurs capacités ? En outre, les pays membres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vont-ils utiliser leurs stocks stratégiques de pétrole (qui correspondent à 90 jours d’importations de pétrole) ? Dans des circonstances exceptionnelles, l’AIE peut autoriser des États membres à puiser dans ces réserves. Le premier d’entre eux pourrait être les États-Unis. Tout dépend de l’ampleur des dégâts et de la durée de la crise. Enfin, va-t-il y avoir d’autres attaques contre des sites pétroliers dans le Golfe ? Je vous rappelle qu’avant les incidents de samedi, des sites pétroliers saoudiens avaient été déjà visés par deux fois (en mai et en août) et que l’Iran a arraisonné plusieurs tankers dans les eaux du Golfe. Ce qui est arrivé samedi n’est donc pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Celui-ci était déjà bien couvert. Or, les tradeurs de pétrole raisonnent sur la base de faits pour anticiper l’avenir. Comment les marchés vont-ils regarder l’avenir alors que l’on a franchi un nouveau cran dans les attaques qui frappent la région depuis mai ?
L’Arabie saoudite et les États-Unis n’ont-ils pas déjà annoncé qu’ils allaient puiser dans leurs réserves stratégiques pour assurer la stabilité du marché ?
L’Arabie saoudite a indiqué qu’elle allait effectivement puiser dans ses réserves, mais elle ne l’a pas encore fait, et n’a pas précisé quel volume elle allait prélever. De la même manière, Donald Trump n’a pas dit que les États-Unis avaient commencé à utiliser leurs stocks stratégiques, ce qui en principe doit être une décision de l’AIE, pas de Washington. De toute manière, les réserves américaines à elles seules ne suffisent pas.
Quel est l’impact de la crise sur le prix du carburant à la pompe ?
Compte tenu de la forte augmentation du prix du baril de brut, on peut penser qu’il y aura dans plusieurs jours une hausse des prix du carburant, de l’ordre de 5 %. Mais cela ne correspond qu’à la hausse de 15 % du baril enregistrée lundi. Pour la suite, tout dépend des réponses aux cinq questions posées plus haut.
L’attaque qui a frappé en plein cœur le complexe pétrolier saoudien représente-t-elle un casus belli pour son allié et protecteur américain ?
Cela peut être le cas. Depuis le « Pacte de Quincy » de 1945 entre le roi Ibn Séoud et le président américain Roosevelt, les États-Unis sont engagés dans la protection du royaume saoudien en échange de l’engagement de ce dernier à contribuer à la stabilité du marché pétrolier mondial. Mais cet accord ne rentre pas dans les détails et laisse toujours une marge d’appréciation au président américain. Ce qui s’est passé samedi est très grave et si Donald Trump est convaincu de la culpabilité de l’Iran, cela peut justifier une riposte américaine au regard de l’alliance nouée avec l’Arabie saoudite. Mais dans le même temps, le président américain est en campagne électorale et ne souhaite pas s’engager dans une guerre supplémentaire. Voilà pourquoi il traîne des pieds et utilise des termes extrêmement prudents, ce qui n’est pourtant pas son habitude.
Cette double attaque n’a-t-elle pas mis en avant la faiblesse du système de défense antiaérienne saoudien ?
C’est une question extrêmement sérieuse que les Saoudiens doivent se poser, en lien avec les États-Unis qui leur fournissent le système antimissile Patriot. Et ils doivent y répondre le plus rapidement possible, car tout le monde se dit que ce n’est pas forcément la fin de l’histoire.