19.11.2024
Échange de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie : « un événement significatif »
Presse
8 septembre 2019
C’est un échange sans précédent. L’Ukraine et la Russie ont procédé samedi à un échange sans précédent de 70 prisonniers. Parmi eux, notamment le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, dont la libération par les autorités russes était exigée par la communauté internationale, et 24 marins ukrainiens capturés par la Russie au large de la Crimée en novembre.
Cet échange a été immédiatement salué par la communauté internationale. De nombreux chefs d’État occidentaux, dont le président américain Donald Trump, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, ont exprimé leur espoir que cet événement contribue à la poursuite du processus de paix. Arnaud Dubien, directeur de l’observatoire franco-russe et chercheur associé à l’Institut de relations Internationales et stratégiques (IRIS), décrypte cette détente dans les relations entre les deux pays.
L’échange de 70 prisonniers entre la Russie et l’Ukraine a été salué comme un « premier pas » par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Quelle est la portée diplomatique de ce geste ?
C’est un événement significatif parce que la situation était bloquée depuis longtemps entre ces deux pays et parce que les précédents efforts n’avaient abouti à rien. Cet échange s’inscrit dans un contexte politique nouveau. Avec Petro Porochenko, le précédent président ukrainien, le pouvoir à Kiev était sur une ligne de rupture – politique, économique, linguistique, religieuse, humaine – totale avec la Russie. Ce projet a été sévèrement battu lors de l’élection présidentielle, en avril dernier, et lors des élections législatives, en juillet.
Le nouveau pouvoir ukrainien n’est plus sur la même ligne que le précédent sur cette question. Volodymyr Zelensky semble plus ouvert envers la Russie, ce qui créé des opportunités qu’il ne faut pas laisser passer. Cet échange de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie s’inscrit également dans le contexte d’une esquisse d’un réchauffement des relations entre Moscou et Paris.
Quelle a été l’implication de Paris sur ce dossier ?
Avec l’Allemagne, la France parraine depuis 2014 le « processus de Normandie » et les « accords de Minsk ». Paris a repris en main le dossier diplomatique sur fond de relative passivité allemande ces derniers mois, qui s’explique par l’affaiblissement de la Chancelière Angela Merkel. Si l’on compare avec ses homologues, c’est le président Emmanuel Macron qui a le plus parlé à Volodymyr Zelensky depuis l’élection de ce dernier. La France est donc bien placée.
Emmanuel Macron a par ailleurs reçu Vladimir Poutine à Brégançon le 19 août, avant le G7, et les échanges semblent s’être bien déroulés entre les deux chefs d’État. Le président français a également prononcé un discours remarqué lors de la conférence annuelle des ambassadeurs, le 27 août. Ses passages sur la Russie ont surpris, voire contrariés certaines personnes, notamment sa mise en garde à l’égard de sa propre administration, où certains pourraient être tentés d’ignorer ou de saboter sa nouvelle politique russe.
Au-delà de la dimension bilatérale, le dossier ukrainien est la clef d’un rapprochement russo-européen. Cet échange de prisonniers est donc peut-être l’amorce de quelque chose de plus important. Ceci dit, rien ne sera simple. Les choses sont allées très loin, et beaucoup de gens sont opposés à un réchauffement des relations entre l’Ukraine et la Russie. La fenêtre d’opportunités risque de ne pas durer : si le dialogue franco-russe ne débouchait sur rien de concret d’ici la Toussaint, il faut s’attendre à un retour de balancier.
D’autres avancées pourraient-elles voir le jour prochainement ?
Une séquence diplomatique très dense s’ouvre sur le dossier ukrainien. Le prochain rendez-vous important est la réunion du groupe de contact trilatéral (TCG) sur le règlement du Donbass, le 18 septembre à Minsk [avec la Russie, l’Ukraine et l’OSCE]. Il pourrait y avoir à cette occasion une vague de libération de prisonniers encore plus importante, peut-être une centaine de personnes de chaque côté. Il y aura aussi un sommet Normandie, a priori fin septembre, avec la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine à Paris.
La question du Donbass est primordiale. Plusieurs questions se posent : est-ce que l’on réécrit l’accord de Minsk 2 signé en février 2015 ? Qu’est-ce que l’on remet à plat et qu’est-ce que l’on conserve ? Qu’est-ce que l’on met dans la balance ? Cela va dessiner un rapport de force pour de longues années. Il y a par ailleurs un autre sujet, qui concerne les européens : le contrat sur le transit du gaz russe vers l’Europe via le territoire ukrainien, qui arrive à son terme à la fin de l’année. Tous ces dossiers sont liés.
Propos recueillis par Julien Chabrout