« Le genre demeure trop peu mobilisé en géopolitique »
En tant que concept, champ de recherches et outil d’analyse du réel, le genre demeure trop peu mobilisé en géopolitique. La réflexion comme l’action publique en pâtissent. Or, d’une part, les droits des femmes, ceux des LGBTI, les violences sexuelles et sexistes, les questions relatives au corps, à la sexualité, aux rapports sociaux de sexe, quelle que soit l’aire géographique, deviennent des préoccupations incontournables.
D’autre part, des items plus « classiques » de l’agenda géopolitique comme la pauvreté et les inégalités sociales, les discriminations liées à l’origine, la religion, le développement, la santé, les migrations, le travail, l’économie, l’éducation, l’environnement, le sport, la culture, le militaire gagnent à être appréhendés grâce aux études de genre, en les croisant avec d’autres approches, parce que la domination et le pouvoir revêtent des formes multiples.
Ce sont donc de nouvelles lunettes que l’on doit chausser pour enrichir notre compréhension du réel dans sa complexité. Outre les sciences sociales, la biologie, la médecine ou les sciences du numérique s’y intéressent – déconstruire les biais de genre dans la création des algorithmes, le big data, l’intelligence artificielle est un enjeu géopolitique.
Prendre en compte la dimension genrée des sujets de l’agenda a un intérêt politique et prospectif si l’on veut nourrir efficacement la décision publique internationale. Lorsque les objectifs politiques sont gender-neutral, c’est le masculin, dans ses représentations dominantes, stéréotypées, qui est favorisé.
De plus en plus, la diplomatie, en particulier la diplomatie française, tient compte des enjeux de genre pour mieux cibler les populations vulnérables dans l’aide au développement. S’il est évident que certains pays ou régions sont plus avancés que d’autres dans la lutte contre les discriminations et violences sexistes, sexuelles ou liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre réelles ou supposées, et dans l’accès aux droits et aux ressources, partout les retours en arrière sont possibles.
L’actualité est particulièrement riche. Renforcer et justifier les stéréotypes et les inégalités genrés et lutter contre leur déconstruction sont une obsession des populistes nationalistes et des régimes autoritaires : fermeture des départements « études de genre » à l’université en Hongrie, pression des Etats-Unis à l’ONU pour qu’on ne parle pas de « santé sexuelle et reproductive » des femmes en cas de viols de guerre, tentatives pour restreindre les droits des LGBTI au Brésil, incarcération des femmes militant contre le port obligatoire du voile en Iran, gender washing en Arabie saoudite (avec une communication qui emprunte au féminisme pour paraître plus ouvert aux droits des femmes), etc. Le slogan de 2016 « Don’t be a pussy, vote Trump » (« ne soyez pas une mauviette, votez Trump ») annonçait la présidence masculiniste américaine. En outre, les travaux scientifiques démontrant le rôle de la « masculinité toxique » dans des fusillades de masse et le suprémacisme sont de plus en plus mis au jour.
Un ressort de contestation
Inversement, avec #metoo, les Women’s marches, les manifestations en Hongrie, en Argentine, en Irlande, les mobilisations sociales menées par des femmes se multiplient parce que la lutte contre les inégalités de genre est un ressort de contestation. Aux combats pour la liberté de disposer de son corps, pour l’émancipation politique ou économique s’ajoutent souvent des revendications de justice sociale pour tous, de lutte contre les inégalités d’accès à la santé et à l’éducation, de défense de l’environnement, etc.
Il ne faut pas négliger, en effet, la subjectivité, la capacité d’action des populations souffrant d’injustices. Ne pas en tenir compte fait courir un risque d’essentialisation et de généralisation, en réduisant les femmes au statut de victimes et confortant alors, non sans paradoxe, le patriarcat. Aussi l’ONU encourage-t-elle le rôle des femmes dans les processus de paix et de transition politique. Au Soudan, en Iran, en Algérie, elles sont en première ligne pour promouvoir la liberté, faire tomber oppressions et conservatismes, mais le pouvoir reste confisqué par les hommes. Leur combat pour ne pas être écartées des instances de décision doit susciter une plus grande attention médiatique et diplomatique, un plus grand soutien.
On le voit, ajouter aux analyses traditionnelles du réel une approche par les études de genre, en s’appuyant sur la recherche pluridisciplinaire, permet de traiter de manière plus efficiente, et en transversalité, nombre d’items d’un agenda géopolitique émancipateur. Une diplomatie féministe en est un aspect essentiel mais n’épuise pas le sujet. Souhaitons que les dirigeants du G7, qui se réunissent à Biarritz, s’en inspirent.