18.11.2024
Birmanie : retour des sanctions américaines ?
Interview
19 juillet 2019
Engagée dans une improbable partie de poker menteur, de ‘sommets’ bilatéraux et de visite impromptue[1] avec la dictature nord-coréenne, cheville ouvrière visiblement très motivée[2] des discussions préliminaires de paix (délocalisées au Qatar) avec l’insurrection radicale talibane afghane[3], menant une guérilla économique et comptable à la volumétrie préoccupante avec le rival stratégique chinois, l’administration Trump n’oublie pas pour autant de consacrer quelque attention, à seize mois du prochain rendez-vous électoral (présidentielles du 3 novembre 2020), à un autre théâtre asiatique tourmenté au sujet duquel le 45e locataire de la Maison-Blanche tient à se démarquer de l’action de son prédécesseur : la Birmanie d’Aung San Suu Kyi, des généraux omnipotents et irritables officiellement en retrait des affaires politiques… Tout en étant encore si présents, où se déroule depuis bientôt une décennie, sur un tempo contrarié, une laborieuse transition vers la démocratie.
Mardi 16 juillet, par la voix du chef de la diplomatie et secrétaire d’État Mike Pompeo, le département d’État américain a annoncé des sanctions « administratives » à l’encontre du commandant en chef des armées birmanes, Min Aung Hlaing, et de trois généraux pour leurs responsabilités dans les violences perpétrées par l’armée depuis l’été 2017 et une opération insurrectionnelle controversée en Arakan (ouest du pays) contre la communauté Rohingya. À compter de mi-juillet, l’entrée sur le sol des États-Unis d’Amérique est désormais interdite aux quatre hauts gradés birmans concernés (ainsi qu’à leurs proches) par ces sanctions. Cette annonce n’a cependant pas vraiment ébranlé la toute-puissante caste des généraux birmans, très à son aise et sereine. Ni ranimé trop haut la flamme de l’espoir dans le camp des partisans d’une transition démocratique plus aboutie…
Relevons qu’un an plus tôt, le 17 août 2018, le département du Trésor américain[4] avait déjà appliqué des sanctions à l’encontre d’un quatuor de responsables militaires birmans impliqués dans le « nettoyage ethnique» à l’endroit des Rohingyas en Arakan… Autre temps autre posture, deux années plus tôt, à l’été 2016, alors que résidait à la Maison-Blanche un chef de l’exécutif démocrate plus éclairé et personnellement très investi sur le dossier birman[5], l’administration américaine allégeait l’éventail des sanctions économiques[6] appliquées depuis deux décennies au régime birman.
« Nous demeurons préoccupés par le fait que le gouvernement birman n’a pris aucune mesure pour sanctionner les responsables des violations des droits de l’homme et des abus (en Arakan) », a déclaré trois ans plus tard le chef de la diplomatie américaine du moment, M. Pompeo. De fait, les sanctions administratives annoncées le 16 juillet 2019 se révèlent aussi politiques que symboliques, les responsables militaires visés n’étant pas des visiteurs réguliers connus du territoire américain.
En revanche, alors que les rapports entre les autorités civiles et militaires birmanes et l’administration américaines se sont fort dégradés depuis l’été 2017 – dans la foulée de la gestion sujette à caution du dossier Rohingya en Arakan –, le camouflet infligé à la fière institution militaire birmane et à son (très) influent chef des armées ne va pas réduire le fossé existant entre Naypyidaw et Washington, bien au contraire.
Pour sa part, revenu en grâce à Naypyidaw et Rangoun à la faveur de la détérioration des relations avec l’Occident observée depuis deux ans, le voisin et partenaire chinois[7] considérera la décision de l’administration Trump sous un jour différent, directement profitable à ses intérêts…
Plébiscité depuis l’été 2017 par une partie de l’opinion publique, la société civile, une cohorte d’institutions internationales (cf. ONU), d’ONG de défense des droits de l’homme et un nombre croissant de parlementaires du Congrès, le raidissement de l’administration Trump à l’endroit des responsables militaires birmans ne constitue pas à proprement parler une surprise ; le fait en revanche que le puissant chef des armées Min Aung Hlaing soit nommément sanctionné par les autorités américaines est tout sauf anodin, même si la portée de la mesure reste très relative et peu ou prou indolore pour les individus concernés.
À noter que le gouvernement civil aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de l’emblématique Aung San Suu Kyi présidant – dans une certaine mesure[8] – depuis avril 2016 ce pays d’Asie du Sud-Est longtemps aux mains d’une junte militaire inflexible (1962-2010) échappe pour l’heure, malgré un concert de critique et de stigmatisation entretenu depuis l’été 2017 (crise en Arakan[9]), à ce retour homéopathique des sanctions américaines. À un an du prochain scrutin national birman prévu à l’automne 2020, l’ancienne passionaria de la cause démocratique birmane à l’aura aujourd’hui ternie (dans les capitales des grandes démocraties occidentales notamment) ne saurait naturellement s’en plaindre.
À moins, ainsi que le redoute une partie de la communauté birmane des affaires, divers investisseurs occidentaux déjà échaudés par le cours erratique des événements observés ces dernières années, que la décision du département d’État du 16 juillet ne soit le prélude à une logique à venir plus sévère et étendue de sanctions contre le régime birman et ses divers pôles concurrents de pouvoir…
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[1] Rencontre de Donald Trump et de Kim Jong-un le 30 juin à Panmunjom, dans la zone démilitarisée séparant les deux Corées.
[2] En juin, le Secrétaire d’État M. Pompeo laissait entendre qu’un accord de paix mettant un terme au conflit afghan pourrait intervenir avant le 1er septembre 2019.
[3] Dernier round de discussions en date le 8 juillet 2019.
[4] ‘’U.S. sanctions Myanmar military commanders and units for their role in ‘ethnic cleansing’, The Washington Post, 18 août 2018.
[5] Le Président Barack Obama s’est rendu es qualité à deux reprises en Birmanie, en 2014 et 2016.
[6] Lesquelles ‘prévenaient’ les entreprises US et les investisseurs étrangers utilisant les services financiers américains de faire des affaires avec une centaine d’entrepreneurs birmans liés à l’ancienne junte militaire.
[7] Sous les angles diplomatique, économique, financier et comptable.
[8] Tant la Constitution en vigueur (2008) octroie à l’armée des prérogatives considérables (cf. 1/4 des sièges dans toutes les assemblées réservées aux militaires, hors scrutin ; le chef des armées ne rend pas compte au gouvernement et nomme personnellement les ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires frontalières.)
[9] 700 000 Rohingyas réfugiés dans des camps de fortune au Bangladesh, dans la région de Cox’s Bazar.