Quelle place pour la Chine en Europe après le Brexit ?
Si les projets d’investissements chinois connus sous le nom d’Initiative de la ceinture et de la route (BRI) furent officialisés par Xi Jinping en 2013, ils se matérialisaient déjà sous l’autorité de son prédécesseur Hu Jintao. La Chine a ainsi multiplié au cours des deux dernières décennies ses investissements dans toutes les régions du monde. En Europe, le principal bénéficiaire fut le Royaume-Uni, longtemps identifié par Pékin comme la porte d’entrée de l’Union européenne. Londres se hissa ainsi comme premier destinataire des investissements chinois, et deuxième partenaire commercial de Pékin, après Berlin. Le Brexit a cependant profondément modifié la donne. Quelle conséquence le retrait du Royaume-Uni a-t-il sur la présence chinoise en Europe ? Et comment peut se cristalliser la relation Londres-Pékin dans un contexte post-Brexit ? Derrière ces questions, c’est l’avenir de la politique européenne de la Chine qui est en jeu, mais aussi la stabilité de l’Union européenne face aux turbulences internes et internationales et à la politique commerciale de Donald Trump.
De nouveaux partenaires privilégiés pour Pékin
L’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Chine, et donc une priorité pour Pékin et la BRI. À ce titre, la Chine voit dans la consolidation de ses accords bilatéraux avec des pays membres de l’Union européenne la possibilité d’avancer vers un accord global Chine-UE plus qu’une volonté de réduire l’influence de Bruxelles. La rencontre entre Xi Jinping, Emmanuel Macron, Angela Merkel et Jean-Claude Junker à Paris en avril 2019 est ainsi révélatrice de la volonté de Pékin de parvenir à un accord avec Bruxelles, plus que de faire jouer les États membres les uns contre les autres, comme c’est actuellement le cas. Cette stratégie a modifié les priorités après la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Si l’Allemagne reste incontournable de par son poids économique, la France a considérablement gagné en importance aux yeux des dirigeants chinois, Paris étant à la fois un acteur économique de premier plan au sein de l’Union, mais aussi la principale puissance stratégique et diplomatique, avec son statut de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et ses capacités de projection de forces sur des théâtres extérieurs. Les initiatives en direction de la France se sont ainsi multipliées depuis le vote du Brexit en 2016 et l’élection d’Emmanuel Macron l’année suivante, Pékin craignant une nouvelle désillusion avec une hypothétique victoire de Marine Le Pen.
Ce regain d’intérêt pour Paris se traduit également par un renforcement, aux yeux de Pékin, du couple franco-allemand. Mais dans le même temps, et pour pousser un accord avec Bruxelles, la Chine a avancé ses pions avec les États d’Europe centrale et orientale (PECO), la Grèce et plus récemment l’Italie, premier membre du G7 et membre fondateur des institutions européennes à se rallier à la BRI. Cette approche chinoise se double de perceptions très hétérogènes de la Chine parmi les États membres, et se traduit donc par un risque de déstabilisation de l’Union, déjà affectée par la politique commerciale de Donald Trump, les effets du Brexit et la tentation pour certains partis politiques de suivre la voie de Londres. Aussi la question d’un partenariat accru avec Pékin, si elle semble évidente compte-tenu de l’importance de la relation économique et commerciale autant que des convergences de vues sur des enjeux internationaux comme la lutte contre le changement climatique ou une approche multilatérale de la sécurité, est déstabilisante en Europe. Doit-elle privilégier un consensus à 27 – difficilement envisageable à court terme – ou au contraire reposer sur le renforcement des liens bilatéraux ? La sortie de l’UE du Royaume-Uni, si elle rebat les cartes, ne simplifie pas la relation avec la Chine en ce qu’elle met en exergue les dissonances entre les États membres. Plus que jamais, un dialogue à 27 s’impose, autant qu’une meilleure communication entre Bruxelles et Pékin concernant les intentions chinoises, afin d’éviter des situations perçues comme un état de fait, ce qui fut le cas à l’occasion de l’annonce de l’adhésion de l’Italie à la BRI.
« Le Brexit a mis en relief le risque d’une dépendance accrue du Royaume-Uni à l’égard de la Chine. »
Quelle relation Chine – Royaume-Uni après le Brexit ?
En plus de diviser les Européens et d’exacerber les divergences sur la relation entre l’UE et Pékin, le Brexit a mis en relief le risque d’une dépendance accrue du Royaume-Uni à l’égard de la Chine. Une dépendance illustrée par la visite en Chine de Theresa May en février 2018, peu après Emmanuel Macron, à l’occasion de laquelle la Première ministre britannique souhaitait préparer le terrain à un maintien, voire un renforcement, du lien Pékin-Londres post-Brexit. La possibilité de voir les échanges commerciaux avec la Chine (moins de 5 % du total) compenser une éventuelle baisse de ceux avec l’Union européenne (près de 45%) reste cependant illusoire, mais elle est révélatrice de la recherche de nouveaux partenaires pour Londres. Un tel rapprochement, qui divise la classe politique britannique, permettrait d’éviter des effets économiques du Brexit trop brutaux, mais créerait une situation de dépendance aux conséquences incertaines. Les récents développements autour de la présence de Huawei au Royaume-Uni et le limogeage fin avril 2019 du ministre de la défense Gavin Williamson, accusé d’avoir fuité sur l’ouverture du développement de la 5G à l’équipementier chinois, n’ont fait que relancer les craintes d’une perte de contrôle du gouvernement britannique dans un domaine stratégique.
Dans le même temps, l’hypothèse d’un accord commercial bilatéral solide entre le Royaume-Uni et la Chine nourrissant une bonne croissance pourrait tenter certains dirigeants eurosceptiques et les conforter dans la nécessité de s’émanciper d’une Union européenne à leurs yeux trop frileuse à l’égard de Pékin. On pense notamment à des pays d’Europe centrale et orientale, où la Chine a consolidé sa présence et où dans le même temps les critiques à l’égard de Bruxelles n’ont fait que se multiplier. Si le cas de la Hongrie est souvent cité, il n’est pas isolé. Une telle perspective ne fait que justifier une approche concertée permettant de clarifier les orientations de la relation UE-Chine.
Enfin, la question politico-stratégique ne saurait être sous-estimée dans l’examen de l’avenir de la relation Londres-Pékin. Si la Chine s’est montrée attentiste, compte-tenu des incertitudes politiques du Royaume-Uni depuis 2016, ce pays n’en demeure pas moins un acteur incontournable des relations internationales, et dès lors que l’orage du Brexit sera passé, la possibilité d’engager un partenariat stratégique sera tout sauf inappropriée. La relation spéciale avec les États-Unis réduit cependant actuellement la marge de manœuvre d’une relation stratégique sino-britannique élargie, mais il est indiscutable que Pékin voit en Londres un partenaire économique et commercial, mais également une puissance disposant d’atouts certains, tout en étant confrontée à la peur du vide. La Chine pourrait ainsi, de manière multiforme, renforcer sa présence au Royaume-Uni, et l’exemple de Huawei n’en serait alors qu’un premier épisode.