ANALYSES

Libye : « Il n’est pas impossible que le pays en tant qu’entité politique ne puisse pas survivre »

Presse
6 juillet 2019
Interview de Brahim Oumansour - TV5-Monde
Où en est la situation politique et militaire en Libye ?

Brahim Oumansour : Le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle actuellement l’est du pays, pensait s’emparer de Tripoli au cours d’une guerre éclair de quelques jours, et faire ainsi tomber le gouvernement de Tripoli reconnu par l’ONU. Son offensive lancée il y a trois mois s’est enrayée et il vient de subir un revers militaire dans la ville de Gharyan, à 100 kilomètres au sud-ouest de Tripoli, qu’il a dû abandonner. Cette contre-offensive des forces du GNA est un coup d’arrêt pour l’homme fort de l’Est du pays qui espérait réunir le pays sous sa botte. À l’image de Mouammar Kadhafi.

L’échec devant Tripoli des forces de Khalifa Haftar peut-il relancer un processus de négociations entre les deux parties, puisqu’aucune résolution militaire du conflit ne semble possible pour l’instant ?

Je ne crois pas. Nous assistons plutôt à une escalade militaire malgré l’échec des offensives de Haftar. Les forces de l’homme fort de la Libye s’en sont prises à des pétroliers turcs au large de la Libye car la Turquie soutient le GNA. La désescalade est pour le moment impossible car le pays est en effet le théâtre d’un conflit indirect, qui le dépasse, entre les puissances régionales proches des Frères musulmans et celles qui y sont opposées.

La Turquie et le Qatar soutiennent le GNA de Tripoli en livrant des armes notamment. Khalifa Haftar est soutenu par les Emirats arabes unis, ennemis du Qatar, et par l’Egypte du maréchal Sissi allergique aux Frères musulmans. La fracture idéologique est cependant de fait moins nette entre les deux parties en présence. Le GNA est soutenu par des milices islamistes. Le maréchal Haftar est bien loin de représenter un camp laïc : son armée est épaulée par des milices salafistes.

Quel rôle jouent les puissances occidentales dans ce conflit ?

La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont soutenu sans réserve le maréchal Haftar. Ce dernier s’est représenté comme l’homme capable enfin d’unir le pays, en proie au chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi. La France a cru notamment que Khalifa Haftar serait capable de lutter contre les groupes djihadistes et que surtout, il serait capable de créer un état unificateur avec une armée forte susceptible de contrôler les flux migratoires vers l’Europe.

La Libye est une porte d’entrée vers le Sahel. Et le pays est riche en gaz et en pétrole. C’est pour cela que les Européens et les Américains se sont rapprochés de l’homme fort de l’Est du pays. La France et les autres pays européens ont commencé à prendre leurs distances avec le maréchal. Depuis le début de l’offensive, le militaire est perçu comme étant un élément perturbateur dans le pays, bien plus qu’une force stabilisatrice et unificatrice.

La France tenait un discours ambigu. Elle ne cessait d’affirmer son respect du droit international (le GNA est le seul gouvernement libyen reconnu par l’ONU) tout en soutenant Khalifa Haftar. L’Amérique de Donald Trump continue de soutenir le maréchal. Washington a ainsi empêché l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une condamnation unanime sur l’attaque meurtrière en Libye du camp de détention de migrants. Les forces de Haftar sont accusées d’être à l’origine du massacre.

L’Union africaine organise le 7 juillet un sommet extraordinaire à Niamey consacré à la situation en Libye. L’Union africaine peut-elle faire quelque chose ?

L’Union africaine n’a pas réellement de pouvoir de contrainte, tout comme l’ONU. Les états de l’Union africaine sont sans doute plus sensibles à ce qui se passe en Libye car beaucoup de leurs citoyens migrants sont victimes de ce chaos libyen. Mais les marges de manœuvres de l’Union africaine restent très minces.

Une issue au conflit est-elle cependant possible ?

Tant que des états étrangers, et notamment des puissances régionales, continueront de nourrir le conflit, d’armer et de financer le GNA ou le camp du maréchal Khalifa Haftar, il sera très compliqué de trouver une solution politique. Le niveau actuel de tensions entre ces puissances régionales, entre la Turquie, le Qatar d’un côté et, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis de l’autre, interdit tout règlement proche de ce conflit.

La Libye en tant que nation peut-elle survivre à ce conflit ?

La Libye est une très jeune nation qui s’est surtout forgée et constituée sous Mouammar Kadhafi. Le pays est traversé par des forces centrifuges. La Cyrénaïque, autour de Benghazi, a toujours été réfractaire à l’autorité de Tripoli. C’est notamment depuis Benghazi que s’est constituée la contestation contre le pouvoir de Kadhafi. La structure tribale traverse la société libyenne et l’emporte sur la notion de nationalité, très récente dans le pays. Si le conflit perdure avec cette division territoriale entre l’ouest et l’est du pays, il n’est pas impossible que la Libye en tant qu’entité politique ne puisse pas survivre.
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