20.11.2024
« Pour répondre aux enjeux de l’alimentation mondiale d’ici à 2050, le maïs européen sera précieux »
Presse
26 juin 2019
Le maïs est une céréale mal connue, peut-être mal aimée. Est-ce juste ?
Pour le grand public, le maïs n’est sans doute pas considéré à sa juste valeur. Il peut même être considéré comme une plante somme toute assez banale… C’est surtout parce que ses rôles et les enjeux sont mal connus ! Le maïs est tout sauf un produit anecdotique. On parle d’une céréale et d’une plante agricole qui est utile à l’alimentation animale, à l’alimentation humaine mais qui a aussi des usages industriels (bioplastiques, emballages, textile…) et énergétiques, puisqu’il sert de base à la production de bioéthanol. Le maïs est en fait assez magique, puisqu’on en retrouve dans des colles, des céramiques, des cosmétiques et jusque dans des médicaments. Mais les personnes ont aussi un rapport intime avec le maïs lorsqu’elles consomment du pop-corn au cinéma ! Il y en a en fait partout dans notre quotidien. On ne l’achète que rarement pour ce qu’il est, hormis pour les salades, mais nous l’utilisons en permanence ou presque.
C’est devenu la céréale la plus produite au monde…
En effet, le maïs s’impose dans les chiffres impressionnants de sa production : 1,1 milliard de tonnes désormais, à comparer avec 750 millions de tonnes en blé ou 500 en riz. Ces récoltes mondiales ont doublé depuis le début du siècle. 250 millions de tonnes supplémentaires ont été produites au cours de la dernière décennie. Il y a cinquante ans, la récolte de maïs se situait à 300 millions de tonnes environ. Elle a dépassé en tonnage celle de blé à la fin de la décennie 1990. Ces dynamiques découlent à la fois de la multiplication des usages et de l’augmentation de la consommation de viande et de produits d’origine animale dans le monde. Si cette consommation stagne chez nous depuis quelques années, elle a explosé ailleurs avec l’émergence des classes moyennes sur tous les continents. 60 % du maïs produit dans le monde sert à nourrir les animaux. 10 % vont directement à l’alimentation humaine. Le dernier petit tiers est utilisé pour toutes les autres vocations industrielles et énergétiques décrites précédemment.
Quelles sont les traductions géopolitiques de cet essor du maïs dans le monde ?
La production est très polarisée. Un quart des pays seulement dans le monde en produisent, quand un pays sur deux cultive du blé. Les surfaces en maïs sont de 190 millions d’hectares environ : 30 millions de moins que pour le blé ! Trois pays concentrent 50 % de ces surfaces dédiées au maïs : la Chine et les Etats-Unis rassemblent chacun 20 % des surfaces, et le Brésil 10 %. Résultat, les Américains réalisent 40 % de la récolte mondiale, la Chine 20 % et le Brésil 10 %. Trois puissances font donc en moyenne 70 % de la production de maïs, pourtant consommé aux quatre coins du globe ! De son côté, l’Europe produit seulement 6 % du maïs mondial et la France 1 %. Notre pays néanmoins enregistre parmi les rendements les plus élevés de la planète, autour de 10 tonnes par hectare, soit trois fois plus en l’espace d’un demi-siècle, et deux fois plus à l’heure actuelle que les performances du Brésil et de la Chine.
Quelle est la situation des échanges mondiaux ?
Le commerce de maïs tourne actuellement autour de 160 millions de tonnes environ par an. C’est un peu moins que le tonnage de blé échangé sur la planète, mais c’est trois fois plus que celui du riz. Il s’agit donc d’une céréale dont l’internationalisation, c’est-à-dire la part de la production qui se retrouve sur les marchés mondiaux, atteint 15 % en moyenne ces dernières années. Une tonne exportée environ pour sept récoltées. Mais considérant la demande mondiale qui s’amplifie, ce commerce s’est lui aussi accéléré, avec un doublement des volumes depuis le début des années 2000. En valeur, au cours de la dernière décennie, et sachant que les prix ont été volatils, ces échanges de maïs ont représenté un commerce mondial de 35 à 45 milliards de dollars en moyenne annuelle. Là encore, les exportateurs sont une poignée. Quatre puissances assurent 90 % du commerce. Les Etats-Unis fournissent 40 % des volumes exportés, l’Argentine et le Brésil 18 % chacun et l’Ukraine, aux portes de l’Europe, 15 %. Certains pays sont très dépendants des importations. C’est le cas du Japon et du Mexique, qui concentrent chacun 10 % des volumes importés du monde, et qui s’approvisionnent avant tout en maïs américain. Près de 80 % des 15 millions de tonnes de maïs achetés chaque année par le Japon proviennent des Etats-Unis. L’élevage japonais en dépend, car l’Archipel s’est concentré sur la production de riz, à la quasi-exclusion des autres céréales. Après ces deux pays, dans le classement mondial des grands importateurs, figurent la Corée du Sud, l’Egypte et l’Espagne. D’ailleurs, en Europe, l’Espagne et les Pays-Bas réalisent, à eux deux, la moitié des achats des pays membres de l’Union. Là encore, c’est pour alimenter leurs élevages.
Comment évolue la carte mondiale du maïs ?
Le maïs a dessiné des échanges bilatéraux intéressants. Entre le Brésil et l’Iran par exemple : 20 % du maïs exporté par le Brésil part en Iran, où il représente 80 % des approvisionnements. Il a aussi créé une route entre l’Argentine et le Vietnam, qui achète à ce pays d’Amérique du Sud la moitié de son maïs. La Chine réalise en moyenne deux tiers de ses importations avec du maïs ukrainien. C’est une carte insolite qui dit l’importance de cette céréale dans le paysage de la mondialisation et dans la modification des habitudes alimentaires sur la planète. Le maïs matérialise aussi l’émergence de la classe moyenne qui a une alimentation plus riche en produits carnés.
On voit aussi émerger de nouvelles zones de production qui montent rapidement en puissance !
C’est le cas du bassin de la mer Noire qui a fait croître de façon spectaculaire ses productions de maïs, comme de blé. En dix ans, sa production a été multipliée par deux en Ukraine, atteignant 32 à 35 millions de tonnes actuellement. La Russie a multiplié la sienne par trois : elle atteint désormais 13 millions de tonnes. D’Ukraine et de Russie sont désormais en moyenne exportées 20 et 5 millions de tonnes de mais chaque année respectivement. 15 % des exportations mondiales de maïs ! Elles ont clairement fait le choix depuis plus de dix ans de miser sur leurs céréales pour à la fois nourrir leur économie nationale et leur influence internationale. Dans le cas du Kremlin, c’est très clair : le pays s’affirme comme le leader mondial de l’exportation de céréales. Pour Kiev, les productions et exportations de maïs se dirigent vers l’Asie et la Chine, mais surtout vers l’Union européenne, qui lui a accordé des contingents à droit nuls. L’UE, qui est depuis peu la première zone d’importation mondiale de maïs, a aussi contribué à financer le développement de l’agriculture en Ukraine. Dans ce pays, aux terres agricoles fertiles, les rendements en céréales peuvent s’accroître demain. Reste à savoir dans quelle mesure les performances agricoles de ce pays seront capables de résister aux chocs de la géopolitique. Rien n’est vraiment stable sur les bords de la mer Noire…
Un mot sur les États-Unis, qui ont choisi de mettre l’accent sur le maïs au détriment du blé ces dernières années…
Cela est-il appelé à durer ? Le pays a retrouvé une indépendance énergétique grâce aux gaz de schistes et le potentiel débouché du bioéthanol est devenu sans doute moins porteur, en tout cas dans un horizon proche. D’autre part, la relation commerciale s’obscurcit avec la Chine qui était l’un des principaux débouchés en croissance du maïs américain. On le voit, cette carte mondiale du maïs est loin d’être figée. Il est bon de garder cela à l’esprit : les dynamiques géopolitiques et les aspects extra-agricoles peuvent provoquer d’importantes inflexions ou ruptures.
Cela a-t-il encore du sens de produire du maïs en Europe, alors que la place de cette céréale y est réduite ?
Cela en a évidemment si l’on regarde non pas notre propre nombril mais la carte globale du monde et de ses besoins. D’ici à 2050, avec l’accroissement de la population et, parallèlement, la croissance de la consommation de viande sur la planète, il va falloir augmenter la production de maïs dans le monde d’un tiers, pour atteindre environ 1,5 milliard de tonnes. Il va falloir aller les chercher, ces tonnages de maïs ! Si, en Europe, la décélération ou tout au moins la stabilité de la consommation de viande est là, ce n’est pas du tout le cas sur le reste de la planète, où l’augmentation de la population fait mécaniquement croître les besoins. Les apports européens en maïs seront précieux. Les producteurs européens ont d’autant plus intérêt à continuer qu’ils peuvent faire valoir la diversité et la qualité de leurs productions, des produits bien normés, garantis sans OGM – ce qui peut être un avantage aussi sur certains marchés à l’export. Ce sont des éléments de différenciation positive à faire valoir. Si l’on abandonne la filière européenne du maïs, on abandonne aussi des sphères d’influence alimentaire et une occasion de faire valoir les hauts standards européens en la matière. Plus largement, et au-delà du seul cas maïs, pour l’Europe comme la France, il serait périlleux de sacrifier le secteur agricole et de le classer parmi les vestiges du passé. Le futur du monde passe par des systèmes agricoles plus performants et par une meilleure alimentation pour tous. Pouvons-nous ignorer ces enjeux globaux alors que nous avons des atouts en la matière et une certaine responsabilité à participer à cette sécurité collective ?
Entretien réalisé par Emmanuelle Ducros pour l’Opinion