28.11.2024
Marchés agricoles internationaux : quels sont les atouts de la France pour faire face à la concurrence ?
Interview
24 juin 2019
La France demeure compétitive sur les marchés agricoles internationaux, mais se fait de plus en plus concurrencer par les pays émergents. Comment pallier cette perte de vitesse ? Quels sont les atouts de l’industrie agricole française ? Éclairage par Sébastien Abis, chercheur associé à l’IRIS, directeur du Club Demeter.
La place de la France sur les marchés agricoles internationaux décline-t-elle ?
D’abord, précisons que la France présente une balance commerciale agricole agroalimentaire excédentaire. Il s’agit d’un des rares secteurs qui génère aujourd’hui encore davantage d’exportation que d’importation, ce que peu de domaines économiques confèrent aujourd’hui au pays. L’agriculture et l’agroalimentaire – comme l’aéronautique ou la santé – permettent de limiter le déficit du commerce extérieur national. En 2018, cela permit de générer environ 7 milliards d’euros d’excédent. Au total, les exportations ce sont plus de 60 milliards d’euros en 2018, dont deux tiers en direction des pays membres de l’Union européenne.
De telles performances peuvent être spécifiées : la France est ainsi le premier exportateur mondial de vins et de spiritueux avec près de 20 % de parts de marché, le premier exportateur d’animaux vivants, le troisième exportateur de céréales et de sucre, le quatrième dans le monde pour le lait et les produits laitiers. Mais nous sommes en revanche au douzième rang pour les fruits et légumes ainsi que pour les oléagineux, et au 24e rang pour les produits de la pêche et de l’aquaculture. Concernant ces derniers, des marges de progression existent sans doute puisque la France dispose de la deuxième plus grande zone économique exclusive maritime du monde et du plus grand domaine sous-maritime de la planète. La demande en produits de la mer augmente dans tous les pays. Cela peut être une opportunité à saisir. Notre puissance verte peut demain être aussi, en parallèle, une puissance bleue en termes d’économie alimentaire.
Aujourd’hui, la France est la sixième puissance exportatrice au niveau mondial, huitième si l’on se réfère aux produits bruts, mais quatrième si on regarde les produits transformés, derrière le trio États-Unis, Allemagne et Pays-Bas. Parmi les premiers clients de la ferme et de l’agro-industrie françaises se trouvent l’Allemagne et la Belgique, puis le Royaume-Uni. C’est à souligner, car dans l’hypothèse d’un Brexit sans accord, les conséquences ne seraient pas minces pour certaines filières qui exportent outre-Manche, à commencer par les boissons. Le poids de l’exportation sur des destinations plus lointaines, en Méditerranée, en Afrique ou en Asie, compte aussi et s’est même renforcé ces dernières années au sein de cette balance commerce agricole positive. Si l’on vend beaucoup sur les marchés communautaires, l’amplitude de notre solde commercial provient surtout des exportations vers des pays tiers.
Au final, il convient donc d’insister sur le fait que notre pays, tout petit finalement sur le planisphère, dispose d’une taille critique considérable si l’on place notre regard sur l’agriculture et l’agroalimentaire. Il est essentiel d’en avoir conscience, car nous parlons là de questions stratégiques pour tous et sur tous les continents. Et nous avons de nombreux atouts en France, que j’aime résumer à travers ces trois mots : quantité, qualité et diversité. Notre pays est capable de produire, il est réputé pour son alimentation saine et sûre et propose une large gamme d’aliments. Cette « alimentation pour tous » est le résultat d’une « agriculture de tous », puisque nous avons la chance en France de voir une vaste mosaïque de systèmes agricoles coexister. Il n’y a pas un modèle de production et un client unique, mais des agricultures au service de besoins multiples et de consommateurs pluriels, qu’ils soient en France ou à l’étranger.
Alors pourquoi ces débats en cours sur la perte de compétitivité ?
Deux rapports ont été publiés au printemps 2019 : le premier par la Cour des comptes en mars et le second par le Sénat à la fin du mois de mai. Que disent-ils ? Que la France pourrait être moins performante demain. Nous demeurons la première puissance agroalimentaire de l’Union européenne en termes de production, mais celle-ci stagne là où d’autres s’amplifient. Chez nos voisins, notamment allemand et espagnol, les volumes ont augmenté. Leurs parts de marché à l’international aussi. Dans le monde, au Brésil, aux États-Unis, en Chine, en Inde ou dans bien d’autres pays émergents comme l’Indonésie, le Vietnam, le Mexique ou la Thaïlande, on produit de plus en plus pour répondre aux besoins. Et n’oublions pas la Russie et l’Ukraine, qui dans le secteur des céréales ou des huiles, ont mis le turbo depuis le début du siècle. Pour le dire autrement, depuis deux décennies, la France accélère bien moins vite que d’autres. Et peut-être même qu’elle n’avance plus en ce qui concerne son potentiel productif. Donc à l’international, notre position s’est dégradée. La France était la seconde puissance exportatrice dans les années 1990.
Le rapport du Sénat insiste sur l’accroissement significatif des importations agricoles et alimentaires en France, qui, en volume, ont doublé depuis 2000. Cela vaut notamment pour les fruits et légumes dont la moitié de la consommation en France vient de l’extérieur. C’est aussi le cas de la viande de volaille, qui pour un tiers provient de l’étranger. En outre, le rapport du Sénat s’alarme sur le non-respect des normes exigées en France pour bon nombre de produits importés. 10 à 25% d’entre eux seraient non conformes aux règles que l’on fixe en France et que les agriculteurs ici doivent respecter. Cette concurrence déloyale représenterait 10 milliards d’euros de ventes illégales. L’autre problème identifié, c’est que cet excédent commercial sectoriel repose sur finalement assez peu de produits : les semences, le lait et les produits laitiers, les céréales et surtout les boissons avec les vins et les spiritueux. D’où l’interrogation dans ce rapport : la France va-t-elle conserver son excédent commercial agricole et agroalimentaire après 2020 ? La Cour des comptes, un peu plus tôt, avait situé son analyse sur les mêmes enjeux géoéconomiques, se demandant si la France savait encore soutenir son agriculture et ses exportations, avec un cadre stratégique cohérent et misant sur le temps long.
Comment expliquer ces tendances et comment les corriger ? La France a-t-elle encore les moyens de rebondir et de reconquérir des marchés ?
D’abord, si l’on s’en tient à ces deux rapports récents, plusieurs observations convergent à propos des facteurs qui pénalisent la compétitivité de la France : un coût du travail important, une fiscalité moins favorable que dans d’autres pays, une réglementation environnementale exigeante et parfois excessive, des difficultés persistantes pour de nombreuses PME à opérer sur les marchés internationaux, des filières qui ne sont pas encore suffisamment organisées pour agir avec efficacité dans la mondialisation et des dispositifs imparfaits pour que la France soit un champion durable de l’agroalimentaire. La compétitivité prix n’est pas bonne.
Les recommandations, pour retrouver de la compétitivité internationale, sont généralement orientées vers la mise en place d’un cadre interministériel plus stable et simplifié d’appui aux entreprises pour leurs opérations dans le monde ou encore le développement d’un marketing diplomatique optimisé avec les marques ombrelles « Choose France » et « Taste France » qui devraient dominer dans les communications… Ces éléments sont bien indiqués dans la réponse que le Premier ministre a faite en mai 2019 au rapport de la Cour des comptes. Il y est aussi souligné à quel point il convient de pouvoir « mieux conjuguer les efforts et les initiatives des acteurs, nationaux et régionaux, publics et privés ». En somme, jouer plus collectif, resserrer les lignes et apparaître plus compact afin de mettre en place des coalitions gagnantes dans la mondialisation. À ce titre, le travail de la direction de la diplomatie économique au Quai d’Orsay est précieux et mériterait d’être renforcé.
Par ailleurs, ne sous-estimons pas le rôle de politiques à forte dimension géostratégique. La compétitivité de l’agriculture et de l’agroalimentaire français passe d’abord par la volonté, dans ce pays, de miser sur ce secteur et de le maintenir parmi les priorités de développement et de souveraineté. Nous ne jouons pas assez avec certains atouts : la recherche, nos écoles agricoles, la francophonie, notre logistique terre-mer, notre continuum extérieur entre commerce, coopération et influence. C’est ensuite l’échelle européenne, avec la future politique agricole commune et ses contours, tant budgétaires que thématiques. La France agricole est forte dans une Europe agricole puissante. Si l’Europe demain diminue ses efforts pour la PAC – qui est, disons-le, une politique alimentaire citoyenne pour 500 millions de consommateurs, avant d’être une politique agricole commune pour quelques millions d’agriculteurs – les dynamiques de la France seront fragilisées. Le Président de la République, Emmanuel Macron, dans son discours d’ouverture du dernier salon de l’agriculture à Paris en février dernier, outre ses recommandations envers le défi du renouvellement générationnel, a plaidé pour le maintien d’une PAC ambitieuse et qui protège. Il avait aussi plaidé pour des transformations. Et c’est en cours et depuis longtemps. Les agricultures sont toutes en transition, innovent et s’adaptent. Ce que les États généraux de l’alimentation (EGA), menés par l’actuel gouvernement ont permis, c’est surtout de favoriser une accélération de ces transitions et un plus grand dialogue entre tous les acteurs et maillons de la chaîne agroalimentaire. Il faut à la fois veiller à un meilleur partage de la valeur ajoutée entre ces acteurs, mais également à la création de valeur dans tous les territoires. L’agriculture et l’agroalimentaire offrent des emplois et des revenus dans ces régions rurales dont on s’occupe bien trop peu.
En revanche, et c’est peut-être là où le bât blesse, la volonté de miser sur la seule montée en gamme peut porter à terme quelques incidences notables. S’il faut bien évidemment faire demain encore mieux qu’hier, et améliorer sans cesse la qualité des produits, il convient de préserver cette alimentation pour tous et qui ne soit pas exclusive économiquement. Pour le marché national français comme pour la conquête de clients internationaux, attention à ne pas tomber dans le piège du très haut de gamme, avec des produits dont les prix ne seraient accessibles qu’à une minorité. Tout le monde veut manger sain et réclame de la qualité. Il faut pouvoir répondre à cette demande, mais sans élitisme économique, car nombreux sont les consommateurs en France et dans le monde qui regardent le prix avant tout dans leurs achats alimentaires. Demain, en France, il faut continuer à produire aussi pour ces personnes. Soyons ambitieux, mais dans un état d’esprit positif et inclusif : l’alimentation pour tous grâce aux agricultures de tous, avec des circuits courts et des circuits longs, des productions en quantité ou de niche, mais toutes mobilisées pour la plus grande sécurité alimentaire et les objectifs de développement durable. Dans cette perspective, il y a plein de métiers et de missions passionnantes pour les jeunes de ce pays, pour faire toujours mieux demain en agriculture et dans le secteur alimentaire.