21.11.2024
États-Unis : « Tous les indices d’une réélection de Donald Trump sont présents »
Presse
18 juin 2019
Bien sûr qu’il peut gagner, tous les indices d’une réélection sont présents. D’une part, c’est un président sortant, ce qui aux États-Unis est très important car les Américains ont tendance à prolonger celui qui est déjà en place. Il peut aussi se vanter des chiffres extraordinaires sur l’économie [une croissance à 3,1 % et un taux de chômage au plus bas en cinquante ans, à 3,6 %]. Or, depuis 40 ans, c’est l’économie qui détermine la campagne présidentielle.
Par ailleurs, son socle de supporters est en béton armé. Depuis le début de son mandat, il a oscillé entre 40 et 44 % de bonnes opinions [selon l’institut de sondage Gallup, sa cote de popularité a même atteint 46 % début mai, pour la première fois depuis 2017] quoi qu’il fasse et quoi qu’il se passe dans le pays – même après des événements terribles comme la tuerie de Charlottesville ou des échecs cinglants comme celui sur l’abrogation de l’Obamacare.
Il s’est aussi rangé du côté de la majorité morale et a gommé certains traits de son caractère. Ce n’est plus le même Donald Trump qui disait à la journaliste Meghan Kelly qu’elle était en colère parce qu’elle avait ses règles. Par ailleurs, les Américains se sont habitués à ses tweets ravageurs. La détestation des élites et de Washington est toujours très forte et avec ses mauvaises manières, ses décisions à l’emporte-pièce et les scandales qui l’entourent, Donald Trump arrive encore à se présenter comme un outsider alors même qu’il est président des États-Unis. Il continue d’être celui qui peut renverser la table.
Enfin, sa notoriété est totale, contrairement à celle de ses challengers démocrates, et il dispose de beaucoup d’argent pour mener sa campagne [la structure électorale du parti républicain a déjà collecté 400 millions de dollars, assurent Les Échos]. Il faut être un peu fada, comme moi, pour dire qu’il ne sera pas réélu.
Quels sont les éléments qui vous permettent de douter de sa victoire ?
Son premier ennemi, c’est lui. Quand on est président, il faut habiter la fonction. Il ne l’a pas fait et il a du mal à séduire au-delà de ses supporters. On l’a dit, sa base électorale a été stable pendant deux ans et demi : ce qui veut dire qu’elle n’a pas monté, pas même après la révélation du rapport Mueller, qui le déclare non coupable d’une collusion avec la Russie [selon l’institut Gallup, sa cote de popularité a seulement gagné un point depuis]. Sa cote reste fixe car la personnalité de Donald Trump est clivante.
Il existe aussi des conditions structurelles, liées au système électoral américain avec les grands électeurs, qui pourraient amener sa défaite. Donald Trump a fait le pari de refaire la même opération qu’en 2016, mais à mon avis cette fois il ne pourra pas avoir le vote populaire car les Républicains ont perdu les États ouvriers du nord (Wisconsin, Virginie) aux midterms de 2018. Le bateau Trump prend aussi l’eau en Floride – ça n’est pas un hasard s’il y fait sa déclaration – où les comptes entre les candidats républicain et démocrate sont toujours très serrés, mais aussi en Géorgie, au Nouveau-Mexique, en Arizona, au Texas… S’il perdait ce dernier État, traditionnellement républicain, cela serait quasiment impossible pour lui de redevenir président.
Comment envisagez-vous la stratégie de Donald Trump pour cette nouvelle campagne ?
Il va lancer une campagne très vite, très fort, avec des annonces extraordinaires comme il avait fait avec l’annonce de la construction du mur à la frontière avec le Mexique en 2015. Il a d’ailleurs dit lundi qu’il allait déporter des ‘millions de clandestins’. Il va essayer d’obtenir des résultats sur les tensions au Moyen-Orient ou dans la guerre commerciale avec la Chine, ce qui lui permettra de dire qu’il est le plus grand négociateur de tous les temps. Il utilise les mêmes codes, le même type d’annonces… En bref, il essaie de refaire la même campagne.
À l’intérieur du pays, il va s’attacher à faire de grandes annonces sur la santé notamment, en essayant de proposer un plan pour remplacer l’Obamacare et en expliquant que les démocrates, qui vont refuser de le voter, font de l’obstruction. Enfin, j’ai l’impression qu’il fait tout pour essayer de provoquer un impeachment, en sachant très bien qu’il serait bloqué au Sénat. Cela lui permettrait de montrer qu’il existe une chasse aux sorcières, et que les démocrates ne font pas le boulot pour lequel ils ont été élus.
Face à lui, les démocrates sont très divisés avec une vingtaine de candidats pour l’investiture du parti. Est-ce que certains sont susceptibles de le battre ?
La présence de 24 candidats démocrates donne une impression de chaos, de dispersion et de non-organisation flagrante. Mais ça ne va pas durer : la plupart de ces candidats-là ne sont pas là pour être élus président, mais pour lancer leur carrière : certains essaient de se placer comme ministre, voire comme vice-président. Ils vont faire un tour de piste puis se retirer de la campagne, car très peu de candidats ont les moyens financiers pour durer. Avant la fin de l’année, on aura moitié moins de candidats démocrates.
Quant à la capacité des démocrates de gagner… Le parti est quand même dans un état assez compliqué, avec deux branches : les progressistes, qui ont fait une percée très forte ces dernières années, et les centristes, qui sont majoritaires, plutôt âgés et continuent de diriger l’appareil du parti. Le candidat qui est en train d’émerger dans les sondages, l’ancien vice-président Joe Biden, aura ainsi 78 ans au moment de la présidentielle.
Le parti n’est plus en phase avec la jeunesse et l’état du pays, et la campagne risque de très vite tourner au pugilat, les jeunes du parti dénonçant l’âge des plus vieux, et Donald Trump soufflant sur les braises.
Le fait que Joe Biden soit plutôt bien placé pour l’instant montre que les militants du parti risquent de se placer dans la continuité de l’élection perdue de 2016, en privilégiant la tendance centriste. En clair, un candidat peu extrême pour rassembler le plus de monde et pouvoir sortir Donald Trump.
Propos recueillis par Mathilde Goupil pour L’Express