ANALYSES

Crise dans le Golfe : « Les États-Unis jouent à un jeu dangereux »

Presse
14 juin 2019
Interview de Thierry Coville - LCI.fr
En quoi cette zone du globe est-elle aussi stratégique ?

Vous avez dans cette zone le détroit d’Ormuz, qui fait seulement 40 km de large, et par lequel passe 30% du trafic pétrolier mondial. C’est une zone stratégique utilisée par les pays du Golfe persique pour exporter leur pétrole avec des tanker.

Les États-Unis accusent l’Iran d’avoir attaqué les deux navires. Ces accusations vous paraissent-elles crédibles ? 

Il faut rappeler qu’on est dans une guerre de communication. Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain, essaie de faire croire que les États-Unis sont les chevaliers blancs et que les Iraniens doivent apprendre à répondre par la diplomatie. C’est le sens de la venue de Shinzo Abe, le premier ministre japonais, en Iran. Mais c’est un narratif qui me semble en dehors de la réalité.

Pourquoi ?

Parce qu’il y avait un accord sur le nucléaire iranien. Il n’était pas parfait mais il avait été signé par les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne, puis validé par une résolution de l’ONU et respecté à la lettre par l’Iran. Cet accord a été déchiré par les États-Unis qui, depuis, appliquent des sanctions massives envers l’Iran, ce dont Donald Trump se vante. Les exportations de pétrole iranien ont été divisées par quatre, alors qu’elles constituent 80% des exportations du pays et représentent 50% de son budget. Les Iraniens affirment que 40% de la population est désormais en dessous du seuil de pauvreté, qu’il y a des pénuries de médicaments.

Comment l’Iran agit-il sous cette pression ?

La stratégie de pression maximale des États-Unis est d’exiger 12 conditions draconiennes pour un nouvel accord avec l’Iran, et d’affirmer « négociez avec nous, sinon la rue vous imposera un changement de régime ». Mais ces 12 points reviennent implicitement à changer le régime iranien. L’Iran ne veut de toute façon pas négocier car elle se trouve en position de faiblesse. Téhéran dit aux États-Unis : « Nous discuterons si vous revenez dans l’accord ».

La situation donne-t-elle du crédit au camp des radicaux en Iran ?

C’est évident. En sortant du droit international, Trump pense qu’il peut faire comme en Corée du Nord. Sauf qu’en Iran, le pouvoir est réparti : il y a un camp des modérés, qui est en déconfiture. Il se compose de la classe urbaine, déçue par la situation économique. Élu par cette classe urbaine, le Premier ministre iranien Hassan Rohani est désormais obligé de durcir son discours. Quant au camp des « durs », qui affirmait que l’accord sur le nucléaire était un piège des Américains, il voit son discours validé par les faits. Le guide suprême iranien, qui joue un rôle d’arbitre, avait donné sa chance à l’accord, mais il vient d’affirmer qu’il faut donner le pouvoir à des jeunes révolutionnaires plus radicaux. Le nouveau commandant des Gardiens de la révolution est aussi radical. Tout porte à croire que ce camp-là va gagner les prochaines élections.



Si les positions sont radicales des deux côtés, une sortie de crise devient-elle impossible ?

Selon moi, il y a trois scénarios. Le premier, c’est que l’Iran ne veut pas discuter parce qu’il se considère en position de faiblesse. Dans un mois, Téhéran risque donc de prendre d’autres mesures pour sortir de l’accord sur le nucléaire, sans en sortir complètement. L’idée serait ainsi de tenir jusqu’au prochaines élections américaines. Dans ce scénario, les tensions resteraient élevées et pourraient avoir des conséquences sur le prix du pétrole.

Le deuxième scénario est celui d’une sortie de crise. Trump, en envoyant Shinzo Abe en Iran, pourrait parvenir à discuter avec Téhéran, mais je n’y crois pas, car le président américain ne semble pas avoir compris que les bases de discussions ne sont pas acceptées par l’Iran. Il reste malgré tout une piste : le ministre des affaires étrangères iranien s’est rendu aux États-Unis fin avril, et a affirmé qu’un échange de prisonnier était possible. Il pourrait aussi y avoir d’autres signes d’apaisement indirects, comme le fait, pour Washington, d’autoriser les Japonais à continuer à acheter le pétrole iranien.

Le troisième scénario est celui d’un affrontement militaire, mais aucun pays n’aurait un intérêt à cela. L’Iran n’est jamais entré dans un conflit qu’il était sûr de perdre, et la stratégie de Téhéran est celle de la riposte asymétrique. Ça consiste à dire : « Si vous nous attaquez, la riposte sera telle qu’il ne vaut mieux pas nous attaquer ».

Le premier scénario me semble le plus crédible, d’autant plus que le maintien des tensions bénéficie aux Américains. Avec la menace iranienne, ils peuvent en effet continuer à vendre des armes sans l’autorisation du Congrès. En faisant remonter le cours du baril, les tensions permettent également à Washington de renchérir ses exportations de pétrole. Enfin, la diabolisation de l’Iran maintient l’UE dans les cordes, et les Européens affichent un niveau de faiblesse face aux États-Unis rarement atteint. Mais en faisant cela, les États-Unis jouent un jeu dangereux, car les Iraniens pourraient se sentir forcés de sortir définitivement de l’accord sur le nucléaire.


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