ANALYSES

28 mai 2019 : un domino allemand sur la table de jeu latino-américaine

Tribune
13 juin 2019


L’Allemagne en quête de stratégie globale, diplomatique, climatique, commerciale, a pris le 28 mai le chemin de l’Amérique latine. Après, et sans doute avant, bien d’autres. La fin des tensions entre blocs antagonistes a relâché la pression des États-Unis sur son Sud à la fin du siècle dernier. L’Italie a en 1966 anticipé l’ouverture d’un sous-continent en créant l’Oiila, l’Organisation internationale italo-latino-américaine et les Conférences Italie-Amérique latine en 2003.  L’Espagne a suivi l’Italie, en 1991 avec les Sommets ibéro-américains, puis en posant la première pierre du SEGIB Secrétariat général ibéro-américain. L’Union européenne en 1999 a élargi la brèche avec les sommets intercontinentaux Europe-Amérique latine. La Chine a publié son premier livre blanc en 2008, réactualisé en 2016 et prolongé par une extension au Chili, au Pérou et en Uruguay de la Route de la soie.

L’Allemagne a donc tenu sa première conférence avec les pays latino-américains le 28 mai 2019 à Berlin, Lateinamerika Karibik Initiative dans le texte original. La publication en 2010 d’une note d’orientation, « Concept du Gouvernement fédéral allemand sur l’Amérique latine et la Caraïbe », avait révélé un intérêt. Confirmé depuis quelques années par les visites de la chancelière Angela Merkel en Argentine (2017 et 2018), en Bolivie (2018), au Brésil (2008, 2014, 2015), au Chili (2013), en Colombie (2008), au Mexique (2008, 2012, 2017), au Pérou (2008). Un ambassadeur chargé du suivi des accords de paix en Colombie, Tom Koenigs, avait été désigné en 2015. Restait à consolider ces approches croisées et parallèles, ce qui a été fait mardi 28 mai 2019 sous l’autorité et la responsabilité du ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas.

L’Allemagne dira-t-on renoue avec les précurseurs envoyés outre-Atlantique par l’empereur Charles Ier et V, selon les usages des uns, en Allemagne ou des autres en Espagne, avec les Alfinger-Ehringer, Federman, Spier, qui avaient tenté avec les deniers de la banque Welser de fonder une nouvelle Augsbourg sur le territoire actuel du Venezuela. L’Auswärtiges Amt (AA) a préféré une référence plus savante, celle d’Alexandre de Humboldt, qui a laissé un témoignage scientifique incontesté de son périple dans les Amériques de 1799 à 1803. Le 250e anniversaire de la naissance de cet Allemand universel a ainsi accompagné l’initiative latino-américaine de l’AA.

Humboldt, les valeurs universelles et européennes, la démocratie, la culture, la science et les droits de l’homme, le combat pour l’environnement ont été au cœur des discours échangés le 28 mai dernier à Berlin. Mais s’agissait-il seulement de cela ? Heiko Maas, ministre des Affaires étrangères avait invité au dialogue dans la « Weltsaal » de son ministère les gouvernements d’Amérique latine, de la Caraïbe, Michelle Bachelet, Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, Luis Alberto Moreno, président de la Banque interaméricaine du développement, Alicia Barcena, Secrétaire générale de la CEPAL (Commission économique de l’ONU pour l’Amérique latine et la Caraïbe), des universitaires allemands et latino-américains, des représentants de Fondations et ONG. Le ministre a justifié l’événement par les défis de mondialisation. La pression économique chinoise, la diplomatie militarisée de la Russie, l’imprévisibilité des États-Unis, affectent l’Allemagne comme l’Amérique latine, a-t-il dit. La loi du plus fort se substitue de plus en plus à la force du droit. Nous parlons beaucoup et avec raison de la crise du Venezuela. Mais a-t-il ajouté, « on ne peut pas limiter notre dialogue à cette crise diplomatique ».

Il faut ensemble conforter le multilatéralisme. « L’Amérique latine et la Caraïbe doivent entrer dans l’agenda de la politique extérieure de l’Allemagne et sans doute dans celui de l’Union européenne ». Au nom des valeurs et des intérêts partagés. Au nom de la démocratie pratiquée des deux côtés de l’Océan. Au nom des droits de l’homme et des libertés économiques. Au nom du défi climatique. Toutes choses qui font des uns et des autres, selon Heiko Maas, des « alliés naturels ».

Incontestablement, la crise des équilibres multilatéraux du monde, provoquée par le président des États-Unis, Donald Trump, le bras de fer commercial qu’il a engagé avec la Chine, l’avance silencieuse prise par Pékin qui a investi plus de 75 milliards d’euros dans la région depuis dix ans selon Andreas Renschler, président du Comité d’affaires allemand pour l’Amérique latine, sont à l’origine de l’initiative allemande. Afin de préserver l’ordre international « pour être voisins d’un nouveau monde, celui du XXIe siècle ». Tout en recherchant une meilleure insertion économique et commerciale dans un sous-continent négligé par Berlin et Bruxelles. On notait aux côtés du ministre et des hauts fonctionnaires de l’AA, les représentants des entreprises membres de l’Initiative économique allemande pour l’Amérique latine, aux premiers rangs desquels Siemens.

Sujets plus qu’acteurs de la société internationale, les Latino-Américains se sont réjouis d’une initiative qui élargit les options et la concurrence. « Nous espérons, a commenté la Secrétaire générale de la CEPAL, que l’événement permette la création de canaux pérennes de coopération entre l’Allemagne et l’Amérique latine ».
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