ANALYSES

Corée du Nord : il y a un an le sommet Trump/Kim Jong-un

Tribune
12 juin 2019


Qu’elle semble déjà lointaine l’image enjouée, optimiste sinon surréaliste de l’insolite « rencontre des contraires », le 12 juin 2018, à l’occasion d’un sommet réunissant dans la paisible cité-État singapourienne un chef de l’exécutif américain en exercice (Donald Trump) et le dirigeant-dictateur (Kim Jong-un) de l’imprédictible République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) ! « Le sommet entre les États-Unis et la RPDC – le premier de l’histoire – a été un événement historique d’une grande importance pour surmonter des décennies de tensions et d’hostilités entre les deux pays et pour ouvrir un nouveau chapitre[1]», s’enflammait-on alors pareillement à Washington et Pyongyang.

Douze mois plus tard, l’enthousiasme excessif qui enveloppait alors cet événement impensable un semestre plus tôt a cédé le pas à une atmosphère pesante et préoccupante.

Un trimestre après un acte II (sommet Trump – Kim Jong-un du 27 février 2019 à Hanoï) aux dividendes aussi maigres que reflétant l’écart considérable des positions de Washington et de Pyongyang sur le tempo de la fameuse dénucléarisation, la péninsule coréenne semble se réapproprier un scénario hélas familier, dicté depuis le nord du 38e parallèle, subi par le Pays du Matin calme : celui d’un chapitre où l’impatience de Pyongyang se mue en crispation à Séoul, où la dictature septentrionale remuscle sa logorrhée et ses avertissements à l’endroit de Washington tout en rappelant à sa voisine du sud, en des tournures de plus en plus explicites, combien le « printemps coréen », engagé début 2018, reste un exercice ténu, incertain, soumis avant tout autre paramètre à la bonne volonté de la dictature kimiste. Une évolution regrettable qui à cette heure semble bien moins préoccuper la Maison-Blanche que la Maison-Bleue (la présidence sud-coréenne).

Du côté de Washington – bien « occupée » actuellement par une série de dossiers asiatiques retors (guerre commerciale avec Pékin, velléité de retrait d’Afghanistan, montée en tension avec Téhéran) -, on feint de ne pas trop s’émouvoir de l’impatience de Pyongyang, quand bien même cette dernière serait déjà visiblement émoussée : « Les États-Unis devraient revenir sur l’année écoulée et réfléchir à la bonne stratégie à adopter avant qu’il ne soit trop tard (…) et répondre à notre demande dès que possible. Il y a une limite à notre patience[2] », tonnait le 5 juin un porte-parole du ministre nord-coréen des Affaires étrangères. Avant de poursuivre, dans un registre mêlant susceptibilité froissée et avertissement sans frais : « Le fait que les États-Unis aient qualifié la RPDC, leur partenaire de dialogue ‘d’État voyou’ est une violation flagrante de notre souveraineté et de notre dignité, et il ne s’agit rien de moins que d’une déclaration de confrontation[3] ».

Lors de son récent déplacement à Berne (Suisse), le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo donna la mesure de l’approche malaisée de son administration vis-à-vis de son susceptible interlocuteur atomique d’Asie orientale, contraint à la fois de faire montre de constance et de fermeté… Sans pour autant fermer la porte à une reprise prochaine (souhaitée) du dialogue bilatéral, ni donner matière à Pyongyang de verser plus avant dans la provocation (balistique) : « Oui, en effet, ils (Nord-Coréens) ont probablement violé les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (en procédant à de nouveaux tirs de missiles en mai). Mais le plus important, c’est que la campagne dans laquelle nous nous sommes engagés – pas seulement les États-Unis, mais le monde entier – donne les résultats que nous recherchons (…). Nous nous efforçons de trouver une solution négociée pour que Kim Jong-un honore l’engagement qu’il a pris, l’engagement qu’il a pris envers son propre peuple et l’engagement qu’il a pris envers le Président Trump à Singapour de dénucléariser son pays[4] ».

Des propos s’inscrivant dans la droite ligne des dernières sorties sur le locataire de la Maison-Blanche, lequel préfère aujourd’hui voir en son homologue nord-coréen un « very smart man[5] » qu’il s’agit de cajoler de belles paroles et d’abreuver de vagues promesses de succès économique futur, plutôt qu’un « little rocket man[6] »…

Prise comme toujours entre ces deux feux, la Corée du Sud et son très entreprenant président Moon Jae-in le déplorent sans trop se plaindre, ni totalement se désespérer de l’impasse dans laquelle le binôme contre nature Trump /Kim Jong-un enserre les 75 millions de Coréens. Serrant les dents, faisant le dos rond et bonne figure, redoutant autant les tweets impromptus et les inconséquences de son homologue américain que les éruptions de colère et ses manifestations diverses de son jeune « collègue » du Nord, le chef de l’État sud-coréen s’emploie – à temps plein – à ménager Washington et Pyongyang, à tempérer les ardeurs et atténuer les rancœurs, à maintenir une alliance stratégique avec les États-Unis sans pour autant lui sacrifier le bénéfice d’un rapprochement, d’une décrispation inédite depuis dix-huit mois avec la RPDC. Des exercices éprouvants, qu’il s’agit de renouveler sans cesse ni de s’en émouvoir, sans garantie aucune de résultats…

À Séoul, un peu plus d’un an après le sommet intercoréen (3e du genre seulement depuis la fin de la guerre de Corée en 1953) de Panmunjom (27 avril 2018) où Moon Jae-in et Kim Jong-un convinrent, dans la Peace House de ce site emblématique de la division de la péninsule, de la nécessité de se projeter vers un avenir où la confrontation et la tension céderaient le pas à la dénucléarisation et à la coopération[7], on se prend à croire en une réamorce prochaine du dialogue États-Unis / Corée du Nord, à un acte III plus en phase avec les promesses et attentes initiales.

En attendant cette éventuelle résurrection, on se montre, du côté de la Maison-Bleue, entre résilience et espérance, réaliste et « prudemment optimiste[8] » sur les chances d’un possible nouveau sommet intercoréen, dans un « avenir pas si lointain » (in the not-so-distant future). À défaut de mieux pour le moment…

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[1] Déclaration conjointe États-Unis / Corée du Nord, 12 juin 2018.

[2] ‘’N. Korea urges U.S. to change calculus, warns patience has limit’’, Yonhap News Agency, 5 juin 2019.

[3] ‘’N. Korea protests against ‘rogue state’ remark by Washington’’, Yonhap News Agency, 5 juin 2019.

[4] ‘’Pompeo says N.K. launches ‘probably’ violated U.N. resolutions’’, Yonhap News Agency, 4 juin 2019.

[5] ‘’Trump urges Kim to seize chance to transform N.K. through denuclearization’’, Yonhap News Agency, 27 mai 2019.

[6] Tweet de D. Trump du 30 novembre 2017.

[7] Panmunjom Declaration on Peace, Prosperity and Reunification of the Korean Peninsula, 27 avril 2018.

[8] ‘’Cheong Wa Dae ‘cautiously optimistic’ about possible inter-Korean summit’’, Yonhap News Agency, 7 juin 2019.
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