12.12.2024
Une Coupe du Monde aux enjeux multiples et internationaux
Presse
11 juin 2019
Il me semble compliqué de comparer les deux évènements. Alors que la première édition masculine s’est déroulée en 1930, il aura fallu attendre 1991 pour les femmes. Ce décalage de plus de 60 ans (100 ans à l’échelle olympique), dû à des interdictions de compétitions basées sur des arguments pseudo « scientifiques », « médicaux » ou de pudeur, a eu des répercussions concrètes, tant en termes de pratique (moins de 10% des pratiquantes sont des femmes à l’échelle internationale) qu’au niveau des différents enjeux qu’une telle compétition peut avoir.
D’un point de vue économique, on a pu le voir, la dotation de la FIFA est 10 fois inférieure pour cette compétition que pour celle s’étant déroulée l’année dernière. Les droits télévisés sont également beaucoup moins importants, tout comme la présence de sponsors. Pourtant, compte tenu de l’importance que prend la pratique féminine dans le monde, de la volonté de la FIFA de (enfin !) développer ce secteur, mais également de l’intérêt de plus en plus de sponsors, de médias, il est fort à parier que nous assisterons à un développement exponentiel de ces enjeux.
L’enjeu de cette compétition n’est-il pas plus sociétal qu’économique ou politique (cf. affaire « Allyson Félix vs Nike », même si c’est dans l’athlétisme) ?
Les enjeux de cette Coupe du monde sont nombreux. On peut en souligner 4 principaux.
D’une part, et comme toute compétition, il est avant tout sportif. Les pronostics quant aux finalistes sont assez variés et c’est aussi ça qui fait le sel de la compétition. Dans le cas spécifique de la France, il est certain que cette Coupe du monde, surtout si elle est couplée avec une bonne performance de l’équipe de France, marquera un tournant dans le développement de la féminisation du football. Il sera intéressant d’être attentif à l’augmentation d’inscriptions dans les clubs, l’affluence dans les stades, la médiatisation croissante etc. L’étude de l’héritage de ce grand évènement sportif sera fondamental.
Où en est le football au féminin dans le monde ? Est-ce qu’il s’agit d’un sport comme un autre ou est-ce qu’il a un rôle particulier ?
Il est aujourd’hui très difficile d’avoir des données exactes sur la pratique féminine, cela a d’ailleurs été une des principales difficultés que l’on a pu rencontrer dans l’écriture de notre rapport. Si nous disposons de toute sorte de statistiques et données concernant la pratique masculine, trouver des informations fiables côté féminin relève de la gageure. D’après un rapport datant de 2014, il y aurait plus de 30 millions de pratiquantes dans le monde. La FIFA entend doubler ce chiffre d’ici 2026. Différents plans de féminisation sont également lancés pour les arbitres, entraîneuses, dirigeantes, afin de mettre en œuvre une réelle féminisation.
Lors de l’écriture du rapport « Quand le football s’accorde au féminin » , nous avons pu noter de réels progrès. Si seulement 50 sélections féminines nationales avaient joué au moins un match en 1991, elles étaient 159 en 2018. Le nombre de matchs joués par ces sélections est également en hausse, sans compter les progrès au niveau des compétitions nationales de plus en plus nombreuses. Enfin, l’attribution du tout premier Ballon d’Or attribué à Ada Hegerberg en décembre 2018 est extrêmement encourageant. Toutefois, les disparités sont encore criantes et le développement de la pratique féminine ne saurait être homogène au travers les confédérations, voire au sein même d’un pays. Il est aussi essentiel de rappeler que l’enjeu de la féminisation dépasse les « seules » joueuses, il faut également parler de la féminisation du corps arbitral, des entraîneuses, des supportrices mais également des instances qui est encore un processus assez lent et qui reste confronté à des nombreux freins.
Ensuite, c’est un enjeu évidemment sociétal, car cela permet d’aborder, pendant au moins un mois (et bien plus on peut espérer), la question de la féminisation du football et plus largement du sport. Cela permet de mettre en lumière les inégalités, les stéréotypes persistants et les combats (nombreux) qu’il reste à mener, mais également de mettre en avant les progrès incontestables faits, la multitude de projets, d’actions, d’initiatives mises en place et qui font concrètement avancer les choses.
Cela permet également de faire comprendre à quel point, en France comme ailleurs, la féminisation du sport peut être un levier d’émancipation précieux. En d’autres termes, ça permet aussi de mettre les projecteurs sur un pan entier du football, encore largement méconnu et de toucher du doigt l’immense potentiel qu’il peut avoir. C’est également une occasion parfaite pour médiatiser, au moins pendant un mois, ces joueuses, ces équipes, de rendre visibles ces « invisibles » et qu’elles puissent devenir des role models. Si le football se dit universel, force est de constater qu’une moitié de l’humanité avait sacrément été négligé jusqu’à présent.
Enfin, cette Coupe du monde amène à s’intéresser aux enjeux économiques, puisque la pratique féminine est aujourd’hui à un tournant et doit donc faire un choix quant à son modèle économique. Vers quel modèle se tourner ? Faut-il imiter le modèle économique des hommes aussi imparfait soit-il ? Faut-il en imaginer un, sui generis ? Quels choix faire ? Pourquoi ? C’est aussi cela qui est passionnant, puisque ce n’est pas un enjeu sur le long terme, c’est une réflexion qui doit continuer à se développer dès aujourd’hui.
Il est également intéressant de noter que des revendications très différentes peuvent être liées à la pratique du football : en Argentine, par exemple, cela est considéré par certain(e)s comme un acte militant, en Chine, cette pratique est encouragée par le régime qui entend devenir une nation de premier plan dans le football (pratiqué par des hommes comme par des femmes) ; dans d’autres pays, la pratique du football est couplée avec un accès à l’éducation. C’est cette diversité d’enjeux qui est passionnante mais qui demeure encore insuffisamment étudié. Pour l’instant.