18.11.2024
Chine-Pakistan : des divergences sans suite ?
Tribune
28 mai 2019
« Une amitié plus haute que l’Himalaya et plus profonde que la mer d’Arabie » ; « une relation bilatérale plus douce que le miel[1] », « plus solide que l’acier[2] »… Du côté de Pékin comme d’Islamabad, depuis l’établissement des relations diplomatiques entre ces deux voisins au début des années cinquante, il est de coutume de manier les superlatifs et les compliments sans regarder à la mesure…
Paratonnerre diplomatique privilégié et partenaire commercial majeur[3] du Pakistan, la République populaire de Chine du Président Xi Jinping semble toutefois, au printemps 2019, montrer quelques signes tangibles de crispation sinon d’agacement, distillés selon un mode plus ou moins subliminal, mais difficile à manquer.
Le 1er mai, le Comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies a ajouté le citoyen pakistanais Mohammed Masood Azhar à sa (longue) liste des terroristes internationaux (global terrorists) et entités visés par les résolutions 1267/1989/2253 du Conseil de sécurité, après que la Chine se soit – enfin – prononcée en faveur de cette inclusion, qu’elle avait bloquée à diverses reprises par le passé[4]. Un revirement de jurisprudence justement opéré lors de la récente visite du Premier ministre pakistanais Imran Khan à Pékin[5], invité à participer au Second Belt and Road Forum for International Cooperation (BRF, 25-27 avril).
Dans ce qui fut perçu du côté d’Islamabad comme un manque d’égard sinon un message d’une évidente clarté, après avoir touché le sol de l’aéroport international pékinois, Imran Khan n’a pas été accueilli à la descente de l’avion par son homologue chinois Li Keqiang, ni par un de ses ministres, mais fort loin du protocole habituel, par la secrétaire générale adjointe du Comité municipal de Pékin, Mme Li Lifeng. On pouvait lire sur les traits de l’ancienne gloire nationale du cricket une évidente déception, ou plutôt un courroux mal dissimulé…
Au niveau protocolaire, ce traitement de (dé)faveur s’est prolongé jusque sur les clichés officiels immortalisant ce forum pékinois. Ainsi, sur la photo[6] du banquet rassemblant dans la Grande Salle du Peuple les 36 chefs d’État ou de gouvernement étrangers participants aux réjouissances, ne cherchez pas le chef de gouvernement pakistanais dans le périmètre immédiat de l’hôte, le président Xi Jinping : les ‘premiers rangs’ sont occupés par Vladimir Poutine, le Sultan de Brunei, le président égyptien al-Sissi, les chefs d’État chilien et portugais, Aung San Suu Kyi. On retrouve beaucoup plus loin Imran Khan…
En poste depuis l’été 2018, le 22e Premier ministre pakistanais ferait-il personnellement les frais de l’humeur de Pékin ? Que pourrait nourrir cette irritation ? Il est vrai que les autorités chinoises ont longtemps porté un regard sceptique à son endroit, du temps où ce dernier était dans l’opposition notamment. N’était-il pas indirectement impliqué[7] en 2014 dans le report de la première visite au Pakistan du chef de l’État chinois Xi Jinping ? N’avait-il pas exprimé avant son entrée en fonction quelques réserves sur l’opportunité de l’ambitieux China-Pakistan Economic Corridor (CPEC), pierre de touche de la Belt & Road Initiative (BRI) chère à Pékin ? Et son souhait de revoir à la baisse[8] le format du CPEC n’a pas été reçu avec beaucoup de chaleur dans la capitale chinoise.
Depuis lors, une kyrielle d’événements distincts a nourri un décalage, fragilisant l’axe Islamabad-Pékin. Revendiqué par des séparatistes (Baloch Liberation Army, BLA) hostiles à la présence chinoise au Baloutchistan, l’attentat perpétré le 11 mai dernier contre un hôtel de luxe à Gwadar[9] (cinq morts) a élevé une nouvelle fois les appréhensions de Pékin quant à l’aptitude des autorités pakistanaises d’assurer la sécurité des ressortissants chinois et de leurs investissements dans cette province sensible. Un mois plus tôt, une quinzaine d’individus (personnels de sécurité notamment) avait déjà perdu la vie lors d’une attaque menée à proximité de Gwadar[10]. « Can Pakistan Protect CPEC? » s’interroge ces jours derniers la revue The Diplomat[11]. Pour rappel, en novembre 2018, le consulat chinois de Karachi avait été attaqué par trois militants de la BLA, faisant quatre victimes.
Toujours au sujet de Gwadar, les critiques de Pékin à l’endroit du gouvernement pakistanais portent également sur l’implication croissante de la présence saoudienne, et la volumétrie de ses investissements sur place. En janvier dernier, le ministre saoudien de l’Énergie annonçait, lors d’un déplacement à Gwadar : « L’Arabie saoudite souhaite stabiliser le développement économique du Pakistan en établissant une raffinerie de pétrole et un partenariat avec le Pakistan dans le CPEC ». Un investissement à hauteur de 10 milliards de dollars[12] qui s’ajoute à un autre ‘geste comptable’ significatif effectué un an plus tôt par Riyad (financement des importations de pétrole à hauteur de six milliards de dollars) ; des largesses intéressées qui, sans surprise, ne semblent pas précisément être du goût des autorités chinoises…
Cette fébrilité inhabituelle dans les rapports sino-pakistanais se décline également dans la très sensible sphère militaire : le 23 avril 2019, la marine chinoise célébrait son 70e anniversaire en organisant à Qingdao (province du Shandong à l’Est du pays) une grande revue de sa flotte. Des festivités auxquelles furent conviés une dizaine de pays, déployant aux côtés des navires chinois une vingtaine de bâtiments : la Russie, le Vietnam, la Thaïlande mais également l’Inde ont participé à cet événement relevant autant de la défense que de la diplomatie. Mais pas le Pakistan, dont l’absence fut abondamment commentée[13]. Serait-ce là la manifestation la plus parlante du déplaisir de Pékin ? Les sommets de l’Himalaya seraient-ils soudain devenus moins culminants ?
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[1] Mots du Premier ministre Nawaz Sharif lors de sa réception à Pékin par son homologue chinois Li Keqiang en juillet 2013.
[2] Propos du Premier ministre pakistanais Syed Yusuf Raza Gilani lors de la visite à Islamabad (décembre 2010) de son homologue chinois Wen Jiabao, à l’occasion du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques Chine – Pakistan.
[3] En 2018, la Chine était le premier partenaire à l’import du Pakistan (27 % du total), le 3e à l’export.
[4] ‘’Moving Beyond the Listing of Masood Azhar’’, Sujan R. Chinoy, IDSA (New Delhi), 16 mai 2019.
[5] ‘’Breakthrough in Azhar case struck during Imran Khan’s China trip: Pak media reports’’, The Times of India, 2 mai 2019.
[6] ’’China looks West for Belt and Road allies amid Asia pushback’’, Nikkei Asian Review, 27 avril 2019.
[7] En étant la cheville ouvrière d’une importante mobilisation populaire antigouvernementale (contestation du résultat du dernier scrutin parlementaire).
[8] On pense notamment ici au retrait du Pakistan du coûteux projet de barrage Diamer-Bhasha (14 milliards $), estimant le financement proposé par Pékin trop rude pour les finances pakistanaises, déjà exsangues.
[9] Ouvert sur la mer d’Oman, ce port en eau profonde est situé à proximité du golfe Arabo-Persique et du détroit d’Ormuz. C’est également le point d’arrivée du CPEC, ce corridor de 3 000 kilomètres de long s’étirant depuis Kashgar (Xinjiang chinois).
[10] ‘’With economic corridor’s viability on the line, Beijing searches for an answer to Pakistan terrorism’’, South China Morning Post, 18 mai 2019.
[11] ‘’Can Pakistan Protect CPEC?’’, The Diplomat, 20 mai 2019.
[12] ‘’Saudi investment in Pakistan stokes tensions with China’’, Nikkei Asian Review, 28 janvier 2019.
[13] ‘’ Indian naval ships arrive for Chinese Navy fleet review, Pakistan to miss’’, The Economic Times (Inde), 21 avril 2019.