ANALYSES

S’émanciper par le sport, exploser les stéréotypes de genre

Tribune
24 mai 2019
À quelques jours du début de la Coupe du monde féminine de football qui se tient en France à partir du 7 juin, il demeure important de poser la question non seulement des inégalités entre les femmes et les hommes dans le sport, mais aussi du rôle de levier que le sport peut incarner pour la liberté et l’émancipation des filles et des femmes dans l’ensemble des pays du monde.

En France et en Europe, les voix contestant la légitimité des filles et des femmes à pratiquer un sport, amateur, professionnel, de loisir ou de haut niveau, sont de moins en moins nombreuses et, lorsqu’elles s’expriment, sont largement contestées.

Ce fut ainsi le cas suite aux remarques sexistes contre la championne Ada Hegerberg après qu’elle a été récompensée d’un ballon d’or ou à propos de journalistes de la vieille génération qui dénigrent le jeu footballistique des femmes.

Cette légitimité des femmes n’est pas acquise en de nombreux points du globe, bien que l’accès au sport soit reconnu, notamment par l’Unesco, comme un droit fondamental des individus, quel que soit leur sexe.

L’interdit de donner à voir le corps des femmes


Dans beaucoup de pays ou régions du monde, les filles et les femmes sont confrontées à l’interdiction de donner à voir leur corps par la pratique et le jeu sportifs, de se mouvoir en dehors des gestes rendus nécessaires par la vie domestique, parentale, parfois économique, sans parler de faire de la compétition ou d’assister à des matches.

Elles doivent souvent rester confinées au foyer, l’espace public étant masculin. La perpétuation de discriminations et d’inégalités de genre divise le monde social en deux parties, vues comme complémentaires mais séparées, hiérarchiques, figées dans une dichotomie jugée incontestable.

Néanmoins, de nombreuses femmes bravent ou contournent les interdits pour pouvoir pratiquer ou entrer dans des stades et la répression est de plus en plus difficile à mettre en place du fait du soutien dont elles bénéficient au niveau international.

Les contraintes sur les femmes sont d’abord collectives


L’émancipation, l’empowerment sont des mots beaucoup plus employés aujourd’hui par les organisations internationales, les États, les associations, les entreprises, pour parler des droits des filles et des femmes.

Ils signifient « rendre libre », affranchir d’une domination, d’un joug, d’une dépendance familiale, culturelle, économique, religieuse.

Il faut veiller cependant à ne pas limiter ce souhait d’émancipation à une simple démarche individuelle, relevant uniquement de la volonté. Il ne faut pas ainsi céder à cette sirène néolibérale qui consiste à minimiser le poids des structures sociales dans la perpétuation des discriminations et des violences.

Car les contraintes qui pèsent sur les filles et les femmes sont avant tout structurelles, collectives : les préjugés, les traditions et les discriminations qui en découlent ou en ont découlé, parfois jusque dans la réglementation sportive, relèvent de constructions sociales anciennes et encore insuffisamment conscientisées.

Le sport une soft law à faire appliquer


Certes, les lois inscrivant l’égalité dans les textes doivent se généraliser et être respectées par tous et par tous les moyens. Mais c’est aussi la soft law, autrement dit les normes sociales explicites, qui doit progresser.

Le sport, en renversant les stéréotypes qui le traversent encore, en est un levier parmi d’autres. Se réapproprier son corps après des violences sexuelles dans un contexte de guerre, grâce à la pratique du karaté dans le cadre de l’association « Fight for Dignity » en RDC ; apprendre aux jeunes filles comment développer leurs compétences sociales et lutter contre leur sentiment d’infériorité genrée grâce au dispositif « One Win Leads to Another » au Brésil en sont deux exemples.

En s’inscrivant dans des dispositifs plus vastes sur les plans éducatifs, économiques, sociaux ou communautaires ou en permettant, inversement, de renforcer et de légitimer ces derniers ; en s’appuyant sur des partenaires locaux ou internationaux, sur des ministères ou des agences nationales, ou encore sur les organisations mondiales du sport ; en s’adressant à quelques dizaines de personnes ou en étant d’ores et déjà développées à grande échelle, de nombreuses expériences témoignent de la grande palette des enjeux portés par le sport dans un but d’égalité entre les femmes et les hommes.
Laurence Fischer, karateka de haut niveau et fondatrice de Fight for Dignity.

Le sport, au cœur d’une planète apprenante


Les valeurs du sport ne se décrètent pas. Mais bien utilisé, le sport montre aussi la capacité d’action des populations victimes des stéréotypes et des violences de genre à être actrices du changement en combattant l’autocensure, en valorisant, sans essentialisme, le potentiel des jeunes filles et des femmes. Le gâchis de compétences et de richesses économiques et humaines, pour les pays comme pour les individus, qui découle directement des inégalités de genre dans le monde a été dénoncé par toutes les organisations internationales, y compris le FMI.

Parler d’émancipation est donc essentiel, à condition qu’elle soit individuelle et collective pour ouvrir le champ des possibles.

La confiance en soi, l’estime de soi sont des étapes déterminantes vers l’égalité et la liberté, celle de choisir sa vie, de devenir « soi », d’accéder à l’autonomie économique. Ce rapport positif à soi passe avant tout par le corps, ce « moi véritable », source de l’expérience intime au monde, tel que l’a décrit Nietzsche.




Le think-tank Sport et Citoyenneté organise le 27 mai à l’Hôtel de Ville de Paris une conférence intitulée « L’émancipation des filles par le sport, s’inspirer des bonnes pratiques dans le monde ». Entrée gratuite sur inscription.The Conversation

Marie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée à l’IRIS, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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