ANALYSES

« Le détroit d’Ormuz est une artère vitale pour le marché du pétrole »

Presse
16 mai 2019
Interview de Francis Perrin - La Croix
En l’espace de quelques jours, quatre pétroliers ont subi des attaques dans le Golfe persique, tandis qu’un oléoduc en Arabie saoudite a également été visé et que l’Iran menace de fermer le détroit d’Ormuz. Quelle est la gravité de cette crise ?

Le détroit d’Ormuz reste une artère vitale pour le marché du pétrole. Un tiers à 40 % du brut consommé dans le monde transite par là. La moitié des réserves mondiales connues de pétrole se trouvent dans cette région et 41 % des réserves connues de gaz.

Pour transporter du pétrole, on ne peut le faire que de deux façons : par des oléoducs et par des navires. Or ces deux moyens ont été attaqués en l’espace de quelques jours : une première fois par des sabotages assez mystérieux de navires pétroliers dans le Golfe persique et une deuxième fois par des attaques conduites au moyen de drones qui ont atteint des stations de pompage en Arabie saoudite.

Dans les deux cas, les dégâts sont mineurs. C’est pourquoi les marchés ne se sont pas affolés. On est dans une situation qui reste sous contrôle. Mais on s’approche de la zone des dangers.

En cas de blocus du détroit d’Ormuz, est-ce qu’il existe une autre voie pour exporter le pétrole du Golfe persique ?

Les tankers doivent obligatoirement franchir ce détroit pour se rendre ensuite vers l’Asie, les États-Unis ou l’Europe. C’est pourquoi cette région est la plus surveillée du monde.

La seule alternative est un grand oléoduc qui traverse l’Arabie saoudite et débouche sur la Mer Rouge. Mais sa capacité est faible. Il peut transporter 6 à 7 millions de barils par jour. En comparaison, 17 millions de barils par jour transitent grâce aux navires qui franchissent le détroit. Un blocus total du détroit ne pourrait donc pas être compensé par d’autres moyens.

Si le détroit venait à se trouver bloqué, ce serait immédiatement considéré comme un acte de guerre. Aucune grande puissance ne pourrait l’accepter. Et les États-Unis seraient probablement les premiers à réagir. Leur 5e flotte est basée à Bahreïn, dans le Golfe. Ils ont renforcé leurs capacités militaires dans la zone ces derniers jours avec un groupe naval accompagnant un énorme porte-avions. Il y aurait alors le risque de basculer vers un affrontement armé.

Personne n’a revendiqué les attaques contre les pétroliers. Cependant, tous les regards se tournent vers l’Iran, après la décision américaine de renforcer l’embargo sur le pétrole iranien. Quel est le jeu de l’Iran ?

L’Iran use régulièrement de la menace de fermer le détroit d’Ormuz. Son intérêt est de faire monter les prix. Car ce pays peut de moins en moins exporter. Il a donc intérêt à ce que le cours augmente pour conserver le même niveau de revenus.

Cependant, l’Iran sait qu’il est difficile de mettre cette menace à exécution car le pays s’exposerait à des représailles immédiates. Le monde ne peut se passer de pétrole… Il reste la source d’énergie la plus consommée. Aujourd’hui, on sait encore peu de chose sur les dernières attaques. Et tous ceux qui ont des informations ne les partagent pas, car on est sur un sujet particulièrement sensible.

En cas de blocus sur les exportations de pétrole du Moyen-Orient, le pétrole américain pourrait-il compenser pour éviter une flambée des cours ?

Les États-Unis sont devenus ces dernières années le premier producteur mondial de pétrole brut, grâce notamment au pétrole de schiste, devant l’Arabie saoudite et la Russie. Leur production augmente de façon continue depuis 10 ans.

Donald Trump a réussi à montrer que le monde peut se passer du pétrole iranien. En effet, malgré le renforcement des sanctions, le cours du pétrole n’a pas trop augmenté. Il y a un an, l’Iran exportait 2,5 millions de barils par jour. Puis les États-Unis ont renforcé les sanctions. Désormais, l’Iran n’exporte plus qu’un million de barils par jour. Mais le cours reste aux environs de 70 dollars. Cela montre bien que d’autres pays ont pu compenser la perte des exportations iraniennes, dont les États-Unis.

Aujourd’hui, on consomme plus de 100 millions de barils par jour dans le monde. On a franchi ce cap en 2018. Et la consommation continue de monter. Donald Trump ne veut pas d’augmentation des prix, car il ne veut pas mécontenter les consommateurs américains. Et pour l’instant, il a réussi à l’éviter. En revanche, si la situation dans le Golfe persique devait s’aggraver, il est certain qu’on assisterait à une flambée des cours.
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