17.12.2024
Aux États-Unis, « les lois anti-avortement représentent le pouvoir de l’homme blanc »
Presse
18 mai 2019
Il y a une tentation de recul dans une moitié des États (sur 50 États). Ce ne sont pas forcément de nouvelles lois, mais ça peut être par exemple un changement dans une réglementation. Depuis début 2019, on en est à environ 300 nouvelles règles sur l’avortement à travers le pays !
Est-ce que seuls les États du sud et du midwest sont concernés ?
C’est essentiellement les États conservateurs de la « Bible belt » (ndlr : les États très croyants du sud-est) et de manière plus globale les États dirigés par des majorités conservatrices (gouverneur et / ou Congrès). Or, du fait du découpage électoral, la plupart des États sont dirigés par des conservateurs.
Est-ce l’offensive contre l’avortement la plus virulente que le pays ait connu ?
Il y a toujours eu des offensives contre l’avortement. Ça ne date pas de Trump et Pence. Ça a commencé dans les années 1980. Sous Reagan, c’était une sorte de contrecoup des années 1970. Puis sous George W.Bush. Il y en a eu beaucoup sous Obama. Ça prenait plus la forme de limiter les moyens liés à l’avortement. Par exemple exiger que les cliniques offrent une palette de services très larges qu’elles ne pouvaient pas offrir, sinon elles fermaient. Ou encore que les cliniques soient affiliées à un hôpital central. Et c’est comme cela que certains États se sont retrouvés avec une seule et unique clinique pratiquant des avortements (c’est le cas dans six États : Kentucky, Mississippi, Missouri, Dakota du nord, Dakota du sud et Virginie occidentale). Mais ces mesures étaient toujours prises dans le cadre de l’arrêt Roe v.Wade légalisant l’avortement depuis 1973.
Or, ces derniers mois, les attaques sont plus directes envers les termes mêmes de Roe v. Wade. On est dans une opposition plus dure, plus conflictuelle.
En quoi consiste l’arrêt Roe v. Wade ?
Cet arrêt de la Cour suprême est celui qui autorise une femme à se faire avorter. C’est une interprétation de plusieurs amendements de la Constitution, notamment le quatorzième amendement qui assure le droit à la liberté individuelle, à l’intimité, à la vie privée. Il a été renforcé en 1992, en établissant que des restrictions sur le droit à l’avortement sont inconstitutionnelles si elles imposent une « charge excessive » (undue burden) sur une femme qui veut se faire avorter avant que le fœtus soit viable. Mais chaque État peut ensuite adapter le texte en faisant valoir un intérêt irréfutable notamment « pour préserver la santé de la mère ». Donc nous sommes dans un équilibre très américain entre la loi venant d’en haut d’un coté et la liberté des États de l’autre coté. Mais faire valoir ce 14e amendement défendant la liberté individuelle est un signe très fort. Ce serait très difficile de revenir dessus car cela signifierait remettre en question de nombreuses décisions qui se sont appuyées sur cet amendement.
En quoi ce texte en Alabama peut-il remettre en cause l’arrêt Roe v.Wade ?
Tant que ces lois sont contestées en justice, elles n’entrent pas en vigueur. Or, des associations comme l’ACLU, l’association de défense des droits civiques et le Planning familial vont déposer des recours contre le texte d’Alabama. C’est d’ailleurs le cas d’autres textes qui sont allés en justice et des juges, sans aller jusqu’à la Cour suprême, les ont bloqués. Ils n’ont jamais été appliqués. Par exemple, en Indiana, dont Mike Pence était le gouverneur, une loi devait interdire l’avortement même en cas de malformation du fœtus. Mais une cour fédérale l’a rejetée. Et ce n’est pas allé plus loin. Cela dit, ça ne veut dire que la Cour suprême refusera d’étudier d’autres textes réduisant le nombre de cliniques, le nombre de semaines de grossesse, etc.
D’ailleurs la Cour suprême doit encore se prononcer sur plusieurs textes anti-avortement à travers le pays, mais qui ne vont pas aussi loin que la loi de l’Alabama. En tout cas, la volonté chez les militants anti-avortement de remettre en cause Roe v.Wade existe bel et bien.
Sans être appliqué, ce texte an Alabama peut faire pression sur les femmes. Celles qui ne sont pas totalement au courant de l’actualité risquent de se dire « je n’ai plus le droit d’avorter ». L’objectif est de les faire culpabiliser, et d’affirmer le pouvoir masculin blanc qui se sent menacé.
Par ailleurs, la configuration de la Cour suprême peut changer, si un juge s’en va par exemple. Ce sera alors à Donald Trump de nommer son ou sa remplaçant(e) et il nommera bien sur un(e) conservateur(-rice). Pour l’instant, la Cour est composée de quatre conservateurs, quatre progressistes et le Président, John Roberts, républicain, mais très attaché à la réputation de la Cour suprême. Remettre en cause Roe v. Wade serait trop frontal, trop dur. Mais peut-être que dans quelques années tout ceci changera…
Peut-on dire que les États-Unis sont traversés par un vrai mouvement anti-avortement ?
Oui c’est un vrai mouvement, c’est inquiétant. Ces attaques plus frontales de la part de certains États sont un signe des temps. Il y a chez les ultra-conservateurs, et notamment chez les évangéliques (mais pas qu’eux), un signe de la société très patriarcale américaine, et ça participe d’un retour de bâton sur l’émancipation des femmes, comme s’il y avait une nouvelle volonté de retour sur les droits des femmes. Le fait que ça arrive juste après #MeToo, après l’élection d’une Chambre des représentants très féminisée, ce n’est pas un hasard. Tout cela participe d’un climat masculiniste qui repose aussi sur un registre identitaire. Cette photo des 25 Sénateurs ayant voté la loi d’Alabama est très parlante : tous des hommes blancs. On retrouve dans la rhétorique des opposants à l’avortement les mêmes mots que chez le premier ministre polonais, chez Victor Orban en Hongrie ou dans l’Italie de Matteo Salvini : il faut que les femmes blanches fassent plus d’enfants pour éviter la menace de l’immigration. Or, aux États-Unis, d’ici 25 ou 30 ans, les blancs seront minoritaires. Plus d’un enfant sur deux qui naît aujourd’hui aux États-Unis n’est pas d’origine blanche européenne (non caucasien). Il y a cette peur identitaire en plus de la dimension patriarcale. Aux États-Unis, les lois anti-avortement représentent le pouvoir de l’homme blanc.
Trump a besoin des évangéliques pour être réél. Et il mène des actions pour eux : ces offensives sur l’avortement, le déplacement de l’ambassade américaine en Israël de Tel Aviv à Jérusalem, le plateau du Golan etc… Tout ça c’est pour récupérer les voix des évangéliques. Il mise sur l’électorat ultra, il ne cherche pas à gagner des électeurs ailleurs. Il préfère consolider sa base. Et avec l’avortement, c’est un bon moyen.