ANALYSES

Peste porcine africaine : la Chine fragilisée, la planète secouée

Interview
22 mai 2019
Le point de vue de Sébastien Abis


La peste porcine africaine fait des ravages en Chine et menace de se propager dans les pays voisins. Cette épizootie, très difficile à contrôler, fait grimper les prix sur le marché mondial et impacte l’équilibre des échanges. Elle souligne à quel point les enjeux de la santé animale ont un caractère géopolitique bien marqué, à l’instar de l’agriculture dans son ensemble. Le point avec Sébastien Abis, chercheur associé à l’IRIS, directeur du Club Demeter.

Qu’est-ce que la peste porcine africaine ?

C’est une maladie contagieuse qui touche les cochons. Les animaux infectés présentent des symptômes divers : fièvre, perte d’appétit, manque d’énergie, fausses couches, hémorragie interne et hémorragies visibles sur les oreilles et les flancs. Les souches les plus virulentes de la peste porcine africaine (PPA) sont généralement fatales et l’animal meurt dans les 10 jours qui suivent l’infection. Les porcs peuvent être contaminés par un contact direct avec des congénères infectés ou des produits issus d’animaux malades. Les parasites comme les tiques sont aussi porteurs de la maladie. Le contact avec du matériel agricole, des véhicules ou des vêtements contaminés peuvent également transmettre le virus. Si la maladie ne présente pas de menace pour les hommes, la PPA est un virus dévastateur dans les élevages de porcs, par son intensité, sa rapidité et sa résistance. Il peut survivre longtemps dans les produits porcins secs ou cuits, réfrigérés ou congelés. Contrairement à la peste porcine classique, il n’existe actuellement aucun vaccin ni traitement efficace pour l’éradiquer, bien que les symptômes soient similaires. L’abattage est par conséquent le seul moyen pour stopper la propagation de la PPA dans les zones infectées. La prévention pour éviter la contamination reste la meilleure méthode pour éviter des pertes économiques considérables.

La peste porcine africaine tire son nom de son caractère endémique dans certaines zones d’Afrique subsaharienne où elle était cantonnée jusque dans les années 1960, période à laquelle des cas ont été ensuite recensés en Méditerranée (Espagne, Portugal, Sardaigne). Des épizooties sévères sont ensuite survenues de l’autre côté de l’océan Atlantique, au Brésil (1978-1981) et à Haïti (1978-1984). Des foyers limités sont plus tard apparus en Belgique (1985) et aux Pays-Bas (1986). Plus récemment, des foyers de PPA ont été recensés en 2007 autour de la mer Noire (Géorgie, Russie, Ukraine et Biélorussie).

Où se trouvent les foyers de peste porcine africaine aujourd’hui dans le monde ?

La Chine, premier producteur et consommateur mondial de viande de porc doit faire face à la plus importante épizootie de PPA connue. Les premiers cas ont été recensés en août 2018 et l’épizootie ne cesse de se répandre depuis. Près de 130 foyers de contamination ont été identifiés. Les autorités chinoises ont dû mettre en place des mesures drastiques pour tenter d’enrayer la crise : 1,2 million de porcs sont morts ou ont été abattus, soit déjà plus de 10% du cheptel chinois. À ce rythme, la production 2019 pourrait décliner d’un tiers au total. Il est probable que la circulation des produits à bases de viande de porc ait causé la propagation du virus et cela ne s’arrête pas à la Chine. Les pays voisins sont également touchés, comme le Vietnam, cinquième producteur mondial, où les autorités sanitaires ont déclaré avoir abattu plus d’un million de porcs à ce jour. Hong Kong tente également de contenir l’épizootie, mais dans la cité côtière, 6000 porcs ont été éliminés dans un élevage dès découverte début mai 2019 d’un cochon infecté en provenance de Chine. De plus, des aliments contaminés ont été détectés dans plusieurs pays de la zone Asie-Pacifique : Australie, Corée du Sud, Thaïlande, Taïwan et Japon. Si la PPA se concentre essentiellement en Chine, elle commence donc à dangereusement se propager dans l’espace et sur des distances considérables.

D’autre part, en septembre 2018, la maladie a frappé l’Europe. Neuf cas de sangliers infectés par la PPA ont été découverts dans le sud de la Belgique. Une zone de confinement avec interdiction de circuler et de chasser a été instaurée à la frontière avec la France et des mesures d’abattages préventifs ont eu lieu dans les exploitations à proximité. Cependant, la maladie s’est propagée et d’autres sangliers sauvages infectés se sont déplacés. Si l’épizootie a été résorbée pour le moment, plus de 700 cas de PPA ont été recensés entre septembre 2018 et avril 2019 dans cette zone belge.

Quelles conséquences pour le marché mondial du porc ?

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) prévoit une baisse de la production mondiale de viande pour 2019, alors qu’elle était en croissance constante depuis 20 ans, afin de répondre à une demande soutenue (malgré la stabilisation ou la réduction de viande chez des individus dans plusieurs pays de la planète, celle-ci est plus peuplée avec environ 1,5 milliard d’habitants en plus depuis deux décennies). L’épizootie de la PPA impacte l’ensemble de la chaîne de production, notamment chinoise, et modifie l’équilibre du marché international, car ce pays assure la moitié de la production mondiale de porcs… La baisse de la production, significative depuis quelques mois, fait monter les prix. C’est d’abord le cas en Chine (+21% en un an), qui par ailleurs compense sa baisse de production en s’approvisionnent davantage sur le marché mondial.

C’est une aubaine pour les pays producteurs épargnés par la PPA, à commencer par les éleveurs européens et brésiliens qui voient leur prix à l’exportation augmenter. Les États-Unis exportent aussi davantage malgré le fait que la viande de porc soit taxée à 62% par la Chine, contre 12% en temps ordinaire, compte tenu des différends commerciaux en cours entre Washington et Pékin. Il faudra voir si cela peut durer et si tel est le cas, quelles seront les nouvelles origines capables de fournir la Chine. Soulignons que l’action de Tyson Food, le plus important producteur américain de viande, a gagné 40 % depuis le début de l’année. L’élevage français bénéficie aussi d’une hausse des prix de la viande de porc, celui-ci a augmenté de 20% en un mois dans l’Hexagone. L’épizootie devrait également affecter le prix du poulet qui représente une alternative au porc. À ce titre, le département américain de l’Agriculture anticipe une hausse des importations chinoises de poulet de 70 % en 2019. L’augmentation des prix n’est pas près de s’arrêter : le pic des prix devrait être atteint entre le dernier trimestre 2019 et début 2020, une fois que les réserves de viande seront épuisées.

La rapide propagation de la PPA pourrait également affecter le marché mondial du soja. La Chine reste le premier importateur mondial de soja (environ 100 millions de tonnes par an, soit 70% des achats de la planète), qui est pour moitié utilisé par les éleveurs de porcs chinois afin de nourrir ces animaux. Dans une moindre mesure, les marchés du maïs et du lait en poudre seront aussi touchés, ces deux éléments faisant partie du régime alimentaire des porcs.

Quelles mesures pour contenir l’épizootie ?

Sachant qu’il n’existe ni traitement ni vaccin contre la PPA, il convient de prévenir un maximum la propagation de la maladie. Dans les pays indemnes, comme en Amérique du Nord, la prévention est la meilleure option en mettant en place des mesures de contrôle de l’importation pour interdire l’entrée sur le territoire des porcs infectés vivants ou des produits issus de porcs malades. Dans les zones affectées, le contrôle est difficile, le virus est très difficile à éradiquer. Il peut non seulement contaminer la viande, mais aussi les sols et l’eau. Il y aura toujours un risque de réinfection tant qu’il y aura de la viande contaminée en circulation. L’abattage des animaux et l’élimination correcte des carcasses et des autres déchets couplés à une désinfection approfondie des installations restent la méthode la plus efficace. Un contrôle des pratiques à risque est aussi de mise, sachant qu’environ la moitié des porcs chinois sont élevés dans des exploitations familiales où ils mangent les restes alimentaires des éleveurs qui sont potentiellement du porc contaminé. À la vue de l’ampleur de l’épizootie, il faudra probablement plusieurs années avant d’éradiquer complètement la maladie en Chine. Sachant que le pays consomme davantage que l’ensemble des exportations mondiales de viande de porc, le marché mondial pourrait être impacté pendant longtemps.

En quoi la peste porcine revêt un caractère géopolitique ?

La PPA est une crise sanitaire majeure qui frappe les systèmes agricoles et alimentaires, perturbe la logistique et les marchés, mais aussi tire les prix à la hausse. Les éleveurs dont les exploitations sont touchées par l’épizootie, mais aussi les consommateurs au bout de la chaîne se retrouvent fragilisés par cette dynamique de difficultés. Les effets sont tels qu’il faut l’armée pour intervenir en pareille circonstance. Au Vietnam comme en Chine, ce sont les militaires qui ont été mobilisés pour l’abattage et les mesures de rétention du virus. C’est ici qu’il faut rappeler à quel point les zoonoses sont des affaires stratégiques sérieuses. La protection des animaux détermine la sécurité alimentaire et la santé des populations.

À ce titre, il faut souligner le travail difficile, mais remarquable effectué par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) dont le siège est situé à Paris et qui existe depuis 1924 et l’apparition en Europe de la peste bovine qui nécessita une réponse transnationale et coordonnée, tant scientifique que politique… L’enjeu n’était pas nouveau, mais enfin une initiative multilatérale sur la santé animale naissait. Il faut ici dire que la peste bovine, dont l’éradication complète fut annoncée uniquement en 2011, sans grande médiatisation soit dit en passant, aura été à l’origine de plusieurs événements géopolitiques majeurs dans l’histoire. Elle aurait ainsi contribué à accélérer la chute de l’Empire romain lors des grandes invasions du IVe siècle durant lesquelles les troupeaux furent frappés par l’épizootie, provoquant la famine des populations. La peste bovine aurait également handicapé les stratégies de conquête territoriale de Charlemagne, tandis qu’elle aurait joué un rôle selon les historiens dans les facteurs de déclenchement des révolutions française puis russe.

Il faut donc mettre en perspective la question de la PPA qui actuellement frappe la Chine et l’Asie, car c’est globalement le sujet de la santé des animaux qui est en jeu quotidiennement et qui nécessite de la vigilance de la part des agriculteurs, des recherches scientifiques, des solutions médicales et des mesures de protection sanitaire à la hauteur des enjeux. Et ils ne sont pas cantonnés au seul domaine de l’animal terrestre. L’aquaculture, secteur en pleine croissance dans le monde, doit se préparer à gérer le risque que représentent les maladies des animaux aquatiques. Le secteur du végétal est aussi concerné par ces risques à prévenir ou à traiter. Prenons le seul exemple de la bactérie Xylella fastidiosa, qui depuis quelques années frappe les oliveraies du sud de l’Italie et d’autres pays de la Méditerranée, fragilisant ainsi l’ensemble de la filière oléicole régionale. Face à ces risques, il faut plus de coordination des acteurs, plus de surveillance intégrée et plus de solutions agropharmaceutiques adaptées. 
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