20.11.2024
Golfe Persique : « À force de jouer avec des allumettes, on peut mettre le feu »
Presse
15 mai 2019
L’Iran joue cette musique : «puisqu’on nous empêche de vendre notre pétrole, on montre notre capacité à perturber les livraisons de pétrole dans le Golfe». Les attaques de ces derniers jours ont visé les livraisons qui ne peuvent se faire que de deux façons : par tankers ou oléoducs. Or, on a vu d’abord les actes de sabotage contre quatre pétroliers géants au large des Emirats arabes unis, deux saoudiens, un norvégien et un cargo émirati. Puis les attaques de drones armés revendiqués par les rebelles houthis au Yémen, soutenus par l’Iran, contre deux stations de pompage en Arabie Saoudite ; elles ont interrompu un pipeline qui relie le Golfe à la mer Rouge, avec une capacité de 5 millions de barils par jour. L’Iran veut montrer la vulnérabilité des deux modes de transport de l’or noir avec de petits moyens. Sa stratégie est d’affoler le marché pétrolier pour faire monter les prix.
C’est un coup de bluff ?
Il s’agit de faire monter la tension, déjà très élevée dans la région, mais sans aller trop loin. Les attaques n’ont causé en effet que de faibles dommages sur les tankers et l’oléoduc. C’est une stratégie astucieuse mais risquée.
Outre l’affirmation de sa capacité de nuisance, l’Iran espère faire monter les prix pour compenser ses pertes. Sa stratégie a d’ailleurs produit de premiers résultats. Le prix du baril de Brent a fait un bond d’1 dollar mardi après les attaques de drones sur les installations saoudiennes, dépassant les 71 dollars [63,3 euros, ndlr].
Comment l’Iran pourrait-il bénéficier d’une hausse des prix du pétrole alors que ses exportations sont quasiment bloquées à cause des sanctions renforcées par les Etats-Unis ?
A la veille de la décision de Donald Trump de se retirer de l’accord nucléaire en mai 2018, l’Iran produisait près de 4 millions de barils par jour et en exportait 2,5 millions. Aujourd’hui, ses exportations ne dépassent pas 1 million de barils par jour. L’impact des sanctions a été très fort en un an et va sans doute s’aggraver. Car les effets de la suppression des exemptions temporaires accordées à un certain nombre de pays asiatiques par Trump pour l’achat de pétrole iranien ne se sont pas encore fait pleinement sentir. La production iranienne de pétrole va encore chuter et les exportations diminuer. Mais, quelles que soient les quantités exportées, l’Iran a intérêt à ce que les prix montent pour en tirer le plus de bénéfices possible.
Comment compenser la production iranienne sur les marchés ?
Washington ne veut pas provoquer une pénurie mondiale de pétrole. La compensation est déjà assurée, d’abord par une augmentation importante de la production américaine. L’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, qui ont applaudi la décision de Trump de «déchirer» l’accord nucléaire avec l’Iran, sont obligés de renvoyer l’ascenseur en accélérant leur production pour maîtriser les prix. La réunion de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), fin juin, devrait déterminer les efforts de production de chacun des quatorze pays membres, sachant que même dix producteurs non membres de l’organisation, comme la Russie, coordonnent leur stratégie.
Peut-on craindre un embrasement militaire ?
Toutes les tensions montent dans une région qui est une poudrière politique et une éponge à pétrole mondiale. A force de jouer avec des allumettes, on peut mettre le feu, même si les discours et les menaces de la part des Etats-Unis et de l’Iran peuvent faire monter les prix du pétrole sans déboucher sur un embrasement. Et l’Iran n’a pas intérêt à provoquer une frappe. Personne ne veut la guerre, mais cela ne veut pas dire qu’on la fuira si elle s’impose. Si une attaque significative est menée par l’Iran ou l’un de ses alliés dans la région, comme les Houthis, les représailles viendront. Des frappes aériennes américaines sur ses industries et ses installations pétrolières mettraient l’Iran à terre.
Entretien réalisé par Hala Kodmani pour Liberation.