ANALYSES

Corée du Nord : le « printemps coréen » toucherait-il déjà à sa fin ?

Tribune
13 mai 2019


« La Corée du Nord n’a aucun intérêt à perdre son temps en provocations contre qui que ce soit. Toutefois, cette situation pourrait changer si les États-Unis ne modifient pas leur mauvaise (wrong) attitude et qu’un 3e sommet[1] (Corée du Nord / États-Unis) n’est pas convenu dans la limite de temps (fin 2019) suggérée par la Corée du Nord. Si cette opportunité de négociations nucléaires vient à être manquée, ‘l’impasse nucléaire’ pourrait se répéter ». Relayée par le Choson Sinbo[2], un organe de propagande à la solde du régime nord-coréen, cette tribune nous éclaire en quelques lignes sans filtre sur le sentiment de Pyongyang en ce 8 mai 2019, célébré en d’autres capitales (occidentales) de bien meilleures manières. Quelques jours après une nouvelle manifestation d’humeur, de frustration s’il ne s’agissait pas d’une mise en garde[3] à l’endroit de l’administration américaine, la Corée du Nord porte le verbe un peu plus haut, espérant par ces gesticulations[4] évoquant un passé récent difficile[5] attirer l’attention d’une communauté internationale à nouveau préoccupée par le retour de la fébrilité dans la péninsule coréenne. Mais également, et surtout, convaincre Washington de la nécessité de relancer toute affaire cessante – en assouplissant sa position dans le sens des desiderata de Pyongyang (cf. levée des principales sanctions économiques) – les discussions sur le démantèlement de ses capacités nucléaires, la fameuse entreprise de dénucléarisation.

Face à cette montée en pression progressive de Pyongyang – cf. nouveaux tirs de missile les 9 et 10 mai[6] -, l’interlocuteur américain de la dernière dictature d’Asie se garde de montrer, du moins publiquement, empressement, assouplissement et appréhension : « Le président (Donald) Trump a engagé une diplomatie forte (tough diplomacy) visant la dénucléarisation définitive et entièrement vérifiée de la Corée du Nord (…). Cette mission est importante et la campagne de pression à laquelle la communauté internationale a pris part doit se poursuivre. Il s’agit d’un résultat impératif pour la sécurité du monde[7] », temporise le Secrétaire d’État M. Pompeo, désormais plus vraiment en cours[8] au nord du 38e parallèle. Aux prises avec un personnage (Kim Jong-un) aussi imprévisible et décidé que lui, disposé à éprouver son aptitude (vantée sans retenue) à conclure des deals, l’actuel locataire de la Maison-Blanche affiche ce qui pourrait passer pour une certaine assurance, déclarant notamment récemment : « M. Kim sait que je suis avec lui et ne veut pas rompre sa promesse envers moi. L’accord se fera ! [9]», ou encore, sûr de lui : « La relation se poursuit, mais nous verrons ce qui se passera. Je sais qu’ils veulent négocier, ils parlent de négocier. Mais je ne pense pas qu’ils soient prêts à négocier. » (Yonhap, 10 mai).

Au plus mal dans ses rapports du moment avec Pékin et Téhéran, mais soucieux de préserver quelque crédit du côté de Pyongyang comme de Séoul et de maintenir une certaine dynamique bilatérale (actuellement plus grippée que convaincante), le chef de l’exécutif américain approuva l’initiative de son allié stratégique sud-coréen visant à fournir au Nord une aide alimentaire urgente[10] à maints égards « décorrélée » de la laborieuse entreprise de dénucléarisation. « Les États-Unis n’interviendront pas si la Corée du Sud décide d’envoyer une aide alimentaire à la Corée du Nord[11] », a déclaré le gouvernement étatsunien le 8 mai, au lendemain d’un échange téléphonique consensuel entre le locataire de la Maison-Blanche et celui de la Maison Bleue, l’opiniâtre Moon Jae-in[12].

Le président sud-coréen vient d’entamer sa 3e année de mandat, bien loin de l’engouement populaire, un an plus tôt, né du Sommet de Panmunjom (27 avril 2018) réunissant dans ce village emblématique de la division de la péninsule coréenne en deux entités distinctes les présidents du Sud et du Nord.  Ce 3e Sommet intercoréen (depuis la fin de la guerre de Corée en 1953) symbolisait alors les espoirs de ce « printemps coréen » impensable seulement un an plus tôt. Une avancée historique, encourageante, saluée alors comme il se doit par l’opinion sud-coréenne (83 % d’opinion favorable, nous rappelait début mai le quotidien sud-coréen Hankyoreh[13]) ; deux ans plus tard, le volatil électorat de Séoul, Busan, Daegu ou Jeju fait montre de moins d’enthousiasme à l’endroit de son président libéral et de sa politique volontariste vis-à-vis de Pyongyang (45 % d’opinion favorable en mai 2019), à mesure que se confirme dans les faits le retour d’une frénésie balistique et le raidissement, l’impatience du régime nord-coréen. Jusqu’à altérer l’ardeur et la foi de cet ancien avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme ? « J’aimerais avertir la Corée du Nord que si un tel comportement (tir de missiles) de la part de la Corée du Nord se répète, cela pourrait rendre difficile la phase actuelle de dialogue et de négociation », a-t-il concédé le 9 mai dernier (Yonhap).

Certes, tout interdits par diverses résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et condamnables soient-ils, ces récents tirs de missiles balistiques par la RPDC – jusqu’alors « restreints » en matière de portée – ne remettent pas en cause selon Pyongyang le principe du moratoire unilatéral sur les tirs de missiles à plus longue portée (cf. on pense ici aux missiles balistiques intercontinentaux, ICBM) en vigueur depuis l’automne 2017 (dernier tir d’un ICBM en novembre 2017). Tout serait donc une simple question de portée… Un paramètre moins technique et métrique que politique qui, de Séoul à Tokyo, de Pékin à Washington, apparaîtra bien ténu…

En ce printemps 2019, décidément moins serein dans la péninsule coréenne, jusqu’où Pyongyang compte-t-elle élever le curseur de son humeur et la portée de ses vecteurs balistiques pour faire frémir Séoul, pousser cette dernière à s’émanciper des États-Unis, et inciter Washington à se montrer plus à l’écoute de son agenda, à convenir dans un futur proche d’un 3e sommet Trump-Kim Jong-un à l’issue plus aboutie ? De son côté, jusqu’à quand et quel niveau de provocation le tempétueux chef de l’exécutif américain composera-t-il « sereinement » avec le renouveau de l’aventurisme militaire ordonné par Kim Jong Un dont il « tomba amoureux[14] » à l’automne 2018 ? Au rythme des événements et déclarations martiales de ces derniers jours ourdis depuis les austères couloirs du pouvoir nord-coréen, il est à craindre que la température ne finisse également par gagner quelques degrés chez ceux, plus cossus, mais tout aussi erratiques, de la Maison-Blanche, et que leur irascible occupant ne voit sa tension elle aussi s’orienter à la hausse… En dépit de l’existence de déclarations enflammées et de séjours romantiques dans des destinations lointaines (sommet de Singapour du 12 juin 2018), les histoires d’amour peuvent elles aussi connaître un terme printanier contrarié, ce que l’on ne saurait naturellement souhaiter.

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[1] Auquel participeraient comme lors des deux précédentes initiatives (Singapour, en juin 2018 ; Hanoi, en février 2019) le président américain D. Trump et son ‘homologue’ nord-coréen Kim Jong-un.

[2] ‘’Pro-N. Korea paper warns of ‘nuclear confrontation’ if Washington loses chance for negotiations’’, Yonhap, 9 mai 2019.

[3] Le tir, le 4 mai, d’une dizaine / vingtaine de missiles (aux caractéristiques techniques a priori proches du missile russe SS-26 Iskander…) à courte moyenne portée en direction de la mer de l’Est. Des « armes tactiques guidées », selon Pyongyang.

[4] ‘’The recent drill conducted by our army is nothing more than part of the regular military training’’, minimise la très fleurie Korean Central News Agency (KCNA) le 9 mai 2019…

[5] La période 2016-2017, rythmée par une frénésie de tirs de missiles balistiques et d’essais atomiques.

[6] ‘’North Korea Fires Two Short-Range Ballistic Missiles, South Says’’, The New York Times, 9 mai 2019.

[7] ‘’Pompeo says int’l pressure on N. Korea must continue’’, Yonhap News Agency, 9 mai 2019.

[8] ‘’North Korea demands removal of US Secretary of State Mike Pompeo from talks’’, BBC News, 18 avril 2019.

[9] ‘’Trump Supports Food Aid for North Korea, South Says’’, The New York Times, 7 mai 2019.

[10] Début mai, un rapport du Programme alimentaire mondial et de la FAO estimait que la production agricole a atteint en 2019 son plus bas niveau depuis 2008. 10 millions de Nord-Coréens (40 % de la pop.) auraient besoin d’une aide alimentaire.

[11] ‘’US won’t ‘intervene’ if S. Korea sends food aid to North: White House’’, The Korea Herald, 9 mai 2019.

[12] « Moon Jae-in, inlassable artisan de la paix », Courrier International, 12 avril 2019.

[13] ‘’Moon’s approval ratings at 45% after 2 years in office’’, Hankyoreh, 5 mai 2019.

[14] ‘’President Donald Trump on Kim Jong Un: ‘We fell in love’ over ‘beautiful letters’’, USA TODAY, 30 septembre 2018.
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