ANALYSES

Cette base lunaire que la Chine entend construire dans les dix ans à venir

Presse
1 mai 2019
En décembre 2013, le rover chinois Yutu se posait sur la face visible de la Lune. Cinq ans plus tard, en janvier 2019, la Chine a accompli un exploit dans l’exploration spatiale en posant un nouveau rover, cette fois-ci sur la face cachée de la Lune. Plus récemment, l’agence spatiale chinoise a annoncé l’installation d’ici dix ans d’une station de recherche sur la Lune. Quel intérêts motivent cette accélération des missions spatiales chinoises ?

Il est difficile de parler d’exploit quand il s’agit de l’atterrissage, en 2019, d’un rover sur la face cachée de la Lune. Ce qui a été affiché comme tel, plus par des admirateurs inconditionnels de Pékin que par des analystes sérieux, est certes une belle réussite technologique, mais ce n’est une première que pour une seule raison : ni l’URSS ni les USA n’ont jugé bon d’investir dans une telle mission quiaurait été parfaitement à leur portée il y a plus de quarante ans.

Quand on compare les dates auxquelles ont eu lieu les « premières » spatiales, tant de l’Union soviétique que des Etats Unis, avec la date du même type d’événement aux couleurs chinoises, la première chose qui apparaît est la grande distance entre eux. En moyenne, quarante années. Cet écart demeure très important, même s’il tend à se réduire. Non pas tant parce que la Chine « rattrape son retard », mais surtout parce que les deux compétiteurs d’origine ont d’autres priorités. Quand le vainqueur a passé la ligne d’arrivée, celui qui en est encore loin continue de s’en rapprocher.

Une fois cette nécessaire relativisation posée, il n’en demeure pas moins que la Chine continue de progresser dans le domaine de la conquête spatiale et qu’elle le fait vite. Cette progression, qui n’a rien de surprenant, est la conséquence à la fois d’un contexte global de progrès technologiques, qui font que le spatial est à la fois évident et nécessaire, et par une volonté d’affichage de puissance. Dans tous les pays qui misent -en y mettant les moyens- sur un fort développement technologique, l’espace est à la fois un moteur et le bénéficiaire de retombées. Ce qui fait que les moyens qui lui sont consacrés ne servent pas, loin de là, qu’à faire briller une vitrine. Quand cette constatation est faite on peut ajouter quela participation à la conquête de l’espace est aussi un facteur de fierté (et d’adhésion à la gouvernance) pour les populations des pays qui ont un programme spatial. Et, à l’extérieur, c’est un marqueur de puissance. Autant de raisons qui suffisent à expliquer l’importance de moyens attribués par la Chine à cette aventure. Les ambitions spatiales du Japon ou de l’Inde, très peu médiatisées, en sont aussi une bonne illustration.

Dans ce contexte, l’annonce -plus réaliste que certains pourraient le penser- de l’installation à l’horizon 2030 d’une station habitée sur le satellite de la Terreest logique. Cette réalisation est techniquement abordable. Il ne faut quand même pas oublier que, principalement pour des raisons économiques, les Etats Unis et l’Union Soviétique ont refusé de le faire il y a trente ans alors qu’ils en étaient parfaitement capables. Une telle réalisation pourra être présentée par Pékin, avec beaucoup de fierté, comme une grande première. Ce qui, dans le factuel, sera tout à fait exact.

Le 3 mars dernier, Wu Weiren, le concepteur en chef du programme d’exploration lunaire de la Chine, a dévoilé un nouveau projet concernant l’envoi d’une sonde sur Mars d’ici 2020. Les Etats-Unis et l’Europe parlent aussi de missions vers la planète rouge. S’agit-il du prochain terrain de compétition entre les grands de ce monde ? A quel niveau peut se positionner la Chine ?

Les missions habitées en direction de la Lune ont été possibles avec les technologies disponibles à la fin des années 60. Les premières sondes envoyées en direction des autres planètes par l’URSS et les USA l’ont été au tout début des années 60. En 1976, les Etats-Unis ont posé deux engins sur Mars (programme Viking), qui ont fonctionné pendant plusieurs années.Donc, là encore, le programme chinois en direction de Mars intervient plusieurs dizaines d’années après les premières réalisations dans ce sens. Les Etats-Unis et, avec une moindre envergure, l’Europe parlent de reprendre des missions en direction de Mars. Ce qui voudrait dire que la compétition est relancée, avec un nouveau participant, la Chine. Toutefois celle-ci part avec un retard considérable, qu’elle n’a que partiellement comblé en profitant d’une longue pause faite par le leader de la course. Si elle veut se placer comme un rival potentiel pour la première place, elle devra rattraper un lourd retard, ce qui est une question de moyens mais aussi de temps.

Selon ce même Wu Weiren, « la Chine est en voie de devenir une nation spatiale forte ». De quel œil faut-il voir ces rapides avancées de la Chine dans la conquête spatiale ? Quelles seraient les conséquences géopolitiques si l’Empire du milieu venait à devancer les Etats-Unis et la Russie dans ce domaine ?

Il est tout à fait vrai que la Chine est en train de devenir « une nation spatiale forte ». Pour autant, ses avancées se font à un rythme qui demeure tout à fait comparable avec celui que l’on a connu ailleurs, dans les années 50 à 80, quand il n’y avait que deux nations en course. Parce que, même en en faisant une priorité absolue, le spatial ne construit pas en dehors de l’avancée technologique globale d’un pays. Si la Chine progresse beaucoup, elle le fait de manière très inégale selon les domaines. Dans la synthèse des capacités d’une nation au profit du spatial, c’est le moins performant qui impose son train à tout le reste. Il y a une trentaine d’années de cela, la Chine s’est présentée comme le futur fournisseur -au niveau mondial- de lancements commerciaux bon marché. Elle n’a pas réussi à convaincre.

On peut imaginer que la Chine devienne un jour le leader dans le domaine de l’espace. Il pourrait y avoir deux raisons à cela, avec des conséquences très différentes. Dans une première hypothèse, il faudrait que Moscou comme Washington décident de ne plus consacrer de moyens à la conquête de l’espace, tout en poursuivant leurs efforts de développement. C’est en fait ce qui s’est produit dans les dernières décennies. On remarque que, dans ce cas, le substrat demeure. Il suffit de « remettre un coup d’accélérateur » pour redémarrer la course en tête. Les Etats-Unis de Trump semblent vouloir reprendre cette course. L’autre hypothèse est celle d’une accélération du développement de la Chine qui se concentrerait dans le domaine du spatial, au détriment de la synergie avec le reste du développement du pays. C’est la voie qu’avait assez largement suivie l’URSS. Il n’est pas sûr que ce qui a été « accepté » il y a cinquante ans et plus par une population soviétique largement isolée du monde extérieur le soit aujourd’hui par un peuple chinois qui, malgré les efforts de ses dirigeants, garde quelques moyens de s’informer sur la vraie vie du monde.
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