18.11.2024
« Vivre mieux et plus vieux »… Est-ce toujours possible ?
Tribune
9 mai 2019
Nous humains, nés chasseurs-cueilleurs, nous avons perdu en taille et en espérance de vie après avoir domestiqué les animaux et commencé l’agriculture, la proximité des animaux de nos lieux de vie ayant entrainé de nombreuses maladies. Jusqu’en 1750, la moitié de nos enfants n’atteignait pas dix ans. Nous devons notre première victoire sur notre environnement à l’apparition de la vaccination et aux progrès obstétricaux. Nous voilà espérant vivre 43 ans en moyenne en 1850. La deuxième révolution médicinale se passe au milieu du XXe siècle avec la découverte des ATB (antibiotiques). Véritables armes contre les maladies infectieuses, les antibiotiques ont permis à l’humanité de découvrir le troisième âge et entre autres ses pathologies : les maladies cardio-vasculaires et les cancers. Nous affichons donc aujourd’hui en France, une espérance de vie de 79 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes.
Alors même qu’au niveau mondial, entre 2000 et 2016 l’espérance de vie à la naissance a augmenté de 5,5 ans…, une double menace pèse sur notre santé individuelle comme collective :
- La méfiance envers les vaccins est de plus en plus présente dans certains pays, remettant en cause le principe d’immunité de groupe et favorisant la résurgence de pathologies parfois mortelles.
- Nos antibiotiques, devant lutter contre de nouvelles résistances, ne sont plus aussi efficaces qu’avant.
Pourquoi ce retour en arrière ?
Lorsqu’on retourne à la genèse du doute, on trouve une étude établissant un lien entre vaccin du ROR (Rougeole-Oreillons-Rubéole) et autisme publié par The Lancet (la référence de la publication médicale au niveau mondial). Considérant qu’un résultat pour être validé se doit d’être reproductible, de multiples études indépendantes ont été lancées à la suite de cette publication… et ont finalement invalidé cette relation liant le vaccin ROR à l’apparition de l’autisme. D’autre part, les intérêts que pouvait avoir le médecin auteur à discriminer le vaccin ROR et systématiser un vaccin unique (dont il avait le brevet) ont été mis à jour. L’étude a été retirée du Lancet.
Le monde scientifique laisse là l’affaire, mais la fausse information commence à prendre racine dans les réseaux sociaux naissants. Près de 15 ans après, le germe est devenu envahissant au point d’être l’une des fake news les plus pathogènes. D’autant plus que les réseaux sociaux et moteurs de recherche Internet ne classent pas leurs résultats en fonction de la véracité de ceux-ci, mais en fonction du nombre de réactions générées, ce qui augmente encore plus la visibilité et la crédibilité relatives de la fausse information. Plus récemment, c’est la polémique autour des adjuvants aluminiques (les molécules qui présentent le vaccin au système immunitaire) qui alimente la méfiance et vient de nouveau diminuer la couverture vaccinale de la population générale. D’autre part, la communauté « antivax » infiltre peu à peu la tendance du « naturel » et du « bio » en surfant sur la vague « je prends soin de ma planète = je prends soin de moi » pour en faire un amalgame au final pathogène : « sans pesticide et sans vaccin ».
En cette année 2019, « l’hésitation vaccinale » est considérée par l’OMS comme l’une des 10 plus grandes menaces venant impacter les progrès de la médecine de ces 50 dernières années. Aujourd’hui, les « antivax » risquent de contracter la maladie, mais surtout de la transmettre aux patients les plus faibles (et donc non vaccinés). Être anti-vaccin ce n’est pas rouler sans ceinture, c’est rouler sur la voie de gauche. On risque la vie de l’autre[1].
L’autre grande menace de ces dernières années est la résistance grandissante des bactéries aux antibiotiques. Ces molécules miracles qui nous permettaient de lutter contre les agents infectieux de presque toute sorte. Cette résistance vient de l’utilisation abusive des antibiotiques ; on parle d’administration systématique d’antibiotique dans la filière de l’agroalimentaire, dans l’environnement, mais aussi chez l’homme.
Les antibiotiques sont une large famille, avec des ATB de première, deuxième et troisième intentions. Le principe de soigner une primo-infection avec l’ATB de première intention et de garder « l’artillerie lourde » (la deuxième et troisième ligne) pour les fois prochaines et pour les complications. Sauf qu’un peu partout dans le monde, on a pris l’habitude de sortir l’artillerie lourde pour les petites choses… Suite à la demande du patient (« celui-là en piqûre est plus efficace docteur »), ou parce que dans certaines régions il n’y a pas de médecin et que le personnel de santé n’est pas assez formé à l’utilisation des ATB, ou encore par automédication…
Ces petites bactéries « nourries » aux ATB ont donc muté et sont devenues résistantes à nos ATB première, deuxième et troisième ligne. Elles sont devenues des BMR, « bactéries multirésistantes ». C’est là que ça se complique pour nous. L’incapacité de prévenir les infections peut aller jusqu’à la remise en cause des actes chirurgicaux et des chimiothérapies, tout comme la capacité de guérir d’une « banale » bronchite…. Pour achever le tableau de notre trop grande vulnérabilité, les bactéries ont développé la capacité de transmettre cette résistance aux bactéries voisines. C’est la BHRE, « Bactérie hautement résistante émergente », et ce n’est pas une bonne nouvelle non plus, considérant qu’elle est déjà dans nos hôpitaux. Il est donc temps de nous remettre en question dans notre confiance et nos comportements. C’est de là que vient la devise désormais célèbre, mais néanmoins pas assez efficace : « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique ».
Ces deux thématiques n’ont pas l’apanage des menaces en santé publique internationale en 2019, elles sont accompagnées de la pollution atmosphérique, des maladies non transmissibles (diabètes, HTA…), de la pandémie de grippe, Ebola, la dengue et le VIH…
Mais la méfiance à l’égard des vaccins et la résistance aux antibiotiques, associés au challenge du changement climatique risquent de nous voir dire un jour prochain : « Félicitations Mesdames et Messieurs, nous venons de débloquer le niveau : « Welcome back au Moyen-Âge, notre nouvelle espérance de vie est estimée à 45 ans ! »
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[1] Cf. « Les vaccins : la remise en cause de nos super-héros. Doutes et conséquences », Observatoire de la santé mondiale, Programme Humanitaire et développement, IRIS, mai 2019.