17.12.2024
Inde/Pakistan : le 3 mai 1999 débutait la guerre de Kargil
Tribune
7 mai 2019
C’était il y a vingt ans. La guerre de Kargil, évènement considérable et préoccupant à l’époque, paraît déjà lointaine, sinon oubliée (à tout le moins en Occident…). Pourtant, dans le contexte de fortes tensions malmenant au premier semestre 2019 les fragiles relations indo-pakistanaises, cette crise majeure de 1999 résonne d’une actualité particulière.
Le 3 mai 1999, l’Inde a la désagréable surprise de découvrir que l’hiver et ses rigueurs extrêmes[1] ont été mis à profit par des éléments alors non identifiés pour occuper une série de postes d’altitude propriétés de l’Indian army, en territoire indien.
Il ne faudra pas longtemps à New Delhi pour identifier la « qualité » des occupants et la nature de leur dessein. Dans cet environnement de haute montagne extrême et des plus exigeants, l’entreprise ne peut être le seul fait de militants séparatistes comme le clame alors le voisin pakistanais : les moyens logistiques nécessaires à pareille opération pointent logiquement en direction de la Pakistan army, disposant des matériels, du savoir-faire idoine et d’une connaissance précise de l’environnement du côté indien de la line of control. Du reste, en dépit des dénégations répétées d’Islamabad, certains de ses plus hauts responsables militaires – à l’instar, une quinzaine d’années après les faits, du lieutenant général (à la retraite) Shahid Aziz, ancien chief of general staff de l’armée pakistanaise, dans un intéressant quoique tardif coming out[2]– finirent par en convenir.
Les onze semaines qui suivirent (entre début mai et fin juillet 1999) la découverte de cette présence « non désirée » sur les crêtes entourant Kargil[3] poussèrent l’Inde et le Pakistan, 28 ans après leur dernier conflit[4], à se lancer dans une nouvelle guerre, la quatrième depuis leur indépendance à l’été 1947, la troisième ayant pour théâtre principal l’ancienne principauté du Cachemire.
Le fait qu’un an plus tôt le Pakistan ait de son côté franchi le seuil nucléaire en procédant à ses cinq premiers essais atomiques (le 28 mai 1998) semblerait avoir convaincu les instigateurs de ce douteux aventurisme sur les sommets du Cachemire de leur nouvelle impunité. Il n’en fut rien et c’est une guerre conventionnelle – la première du genre entre deux nations disposant de capacités nucléaires[5] militaires – qui se chargea, au prix de plusieurs centaines de victimes des deux côtés, d’ébranler une fois de plus le fragile équilibre sécuritaire dans le sous-continent indien et d’inquiéter la communauté internationale, soudain consciente des risques pour l’humanité d’un conflit indo-pakistanais qui sortirait du « champ conventionnel », qui plus est, à proximité immédiate du territoire chinois…
En engageant l’opération Vijay (Victoire) visant à déloger manu militari[6] de la région de Kargil les intrus des 130 postes d’altitude occupés, l’Inde du Premier ministre A.B. Vajpayee démontre sans ambiguïté qu’elle ne s’en laissera pas conter et que le retrait – voire la neutralisation définitive – des importuns devra intervenir au plus vite.
Un message finalement reçu cinq sur cinq semble-t-il par le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif – le même qui accueillait sur le sol pakistanais quelques mois plus tôt (le 21 février 1999) son homologue indien Atal Bihari Vajpayee et signait avec ce dernier La Déclaration de Lahore[7] – qui, inquiet de la tournure des évènements, se rendit toute affaire cessante début juillet à Washington pour obtenir de l’influente Amérique et de son président d’alors Bill Clinton quelques garanties de « sécurité ». Ces dernières ne lui furent accordées que lorsque l’émissaire d’Islamabad accepta, sans pouvoir s’y soustraire, le principe du retrait rapide des troupes pakistanaises des périmètres occupés. Le 26 juillet, l’Indian army réintégrait l’ensemble de ses possessions avec le « retrait » vers le Pakistan des ultimes occupants.
Une vingtaine d’années plus tard, en ce printemps 2019 marqué (une fois encore) en Asie méridionale par la violence aveugle et le chaos (attentats simultanés au Sri Lanka le 21 avril causant 253 morts), c’est un contexte de tension et de confrontation hélas des plus familiers et similaires qui prévaut de part et d’autre de la line of control cachemirie. À la frontière, les accrochages entre forces indiennes et pakistanaises sont réguliers depuis le grave épisode de crise survenu un trimestre plus tôt, dans la foulée de l’attentat perpétré le 14 février à Pulwama[8] et ses 40 victimes dans les rangs de forces de sécurité indiennes, une attaque revendiquée par un groupe terroriste pakistanais (JeM) dont le fondateur, Masood Azhar, vient d’être placé (le 1er mai 2019) sur la liste noire onusienne des terroristes globaux[9], à la satisfaction que l’on devine de New Delhi qui réclamait – en vain depuis de longues années – pareille décision de la part du Conseil de sécurité[10]. Toute proportion gardée, une « victoire » d’un autre genre, ici aussi…
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[1] Dans la région de Kargil, les températures inférieures à – 50° Celsius sont à l’occasion relevées en hiver.
[2] ‘’Kargil adventure was four-man show: general’’, quotidien Dawn (Pakistan), 28 janvier 2013.
[3] Une bourgade montagneuse à 200 km au nord-est de Srinagar, la capitale d’été du Jammu-et-Cachemire (Inde).
[4] La 3e guerre indo-pakistanaise – étirée du 3 au 16 décembre 1971 – débouche sur la sécession de la province orientale du Pakistan, devenant peu après la République du Bangladesh.
[5] Pour sa part, l’Inde a réalisé son premier test atomique en 1974.
[6] En engageant notamment les appareils de l’Indian air force (dont des Mirage 2000H) et son artillerie lourde.
[7] Un traité bilatéral visant notamment à tenter de ‘normaliser’ les relations entre les deux pays et à limiter la course aux armements nucléaires.
[8] Une quarantaine de kilomètres au sud de Srinagar.
[9] ‘’UN Adds Leader of Outlawed Pakistan Group to Sanctions List’’, The New York Times, 1er mai 2019.
[10] Lequel, pour une fois, put dérouler son action sans être empêché par le véto de la République populaire de Chine.