ANALYSES

Pakistan : élections indiennes, allégations pakistanaises, interrogations internationales

Tribune
24 avril 2019


« Une nouvelle agression indienne contre le Pakistan est possible entre le 16 et le 20 avril. D’après les renseignements fiables en notre possession, l’Inde planifierait un nouvel incident de type Pulwama (voir détail paragraphe suivant) pour accroître la pression diplomatique sur le Pakistan et justifier une action militaire contre notre pays (…). Après consultation avec le Premier ministre Imran Khan, nous avons décidé de partager immédiatement cette information avec le peuple pakistanais ainsi qu’avec la communauté internationale. Le Pakistan a informé les cinq États membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies des velléités de l’Inde de perturber la paix (…)[1] ».

Quelle mouche a donc bien pu piquer dimanche 7 avril le chef de la diplomatie pakistanaise, S.M. Qureshi, alors en déplacement à Multan (province du Punjab), pour aborder avec une telle virulence et aussi abruptement, un sujet d’une telle gravité ? Serait-ce l’imminence du scrutin parlementaire chez le voisin indien (étiré du 11 avril au 19 mai) et la tentation d’en altérer d’une manière ou l’autre le cours ? S’agirait-il d’une « célébration par anticipation », avec un mois d’avance sur le calendrier, du 20e anniversaire du dernier conflit indo-pakistanais (« crise de Kargil[2] ») ? Sont-ce là « simplement » les ondes de choc printanières des récents incidents hivernaux entre ces deux pierres de touche du sous-continent ? Pour rappel, le 14 février 2019, un attentat suicide revendiqué par le groupe terroriste pakistanais Jaish-e-Mohamed (JeM) perpétré au Jammu-et-Cachemire indien (région de Pulwama ; 40 km au sud de Srinagar) coûtait la vie à une cinquantaine de personnels de sécurité indiens (Central Reserve Police Force), dans ce qui constituait l’attentat de plus meurtrier des trois dernières décennies à frapper le Cachemire. Une douzaine de jours plus tard, l’Inde et le Pakistan menaient des frappes contre des cibles se trouvant sur leur territoire respectif et engageaient brièvement leurs chasseurs dans des combats aériens ; une première depuis 1971 et la 3e guerre indo-pakistanaise[3].

Quelle que soit l’inspiration (douteuse et bien mal avisée) du ministre pakistanais des Affaires étrangères, cette saillie dangereuse ne pouvait demeurer sans réponse de la part de New Delhi qui, par la voix du porte-parole du ministère des Affaires extérieures, apporta dès le 7 avril à ces propos étonnants la réponse cinglante suivante :

« L’Inde rejette la déclaration irresponsable et absurde du ministre des Affaires étrangères du Pakistan, dont l’objectif est clairement de susciter l’hystérie guerrière dans la région. Cette ruse publique semble être un appel aux terroristes pakistanais à commettre un attentat en Inde. Il a été clairement indiqué au Pakistan qu’il ne peut se dégager de sa responsabilité en cas d’attentat terroriste transfrontalier en Inde (…). L’Inde se réserve le droit de réagir fermement et résolument à toute attaque terroriste transfrontière ».

Une dizaine de jours après ces échanges tendus, on demeure encore perplexe sur l’opportunité, la finalité et la valeur ajoutée d’une telle « prophétie ». Depuis fin février, n’observait-on pas jusqu’alors une certaine décrispation entre Islamabad et New Delhi ? Par ailleurs, le jour même où S.M. Qureshi proférait ces allégations (non documentées ou précisées), la République islamique du Pakistan ne libérait-elle pas, en guise de « bonne volonté », une centaine de prisonniers indiens (des marins pour la plupart « égarés » dans les eaux pakistanaises) embastillés[4] dans ses geôles ?

Au Pakistan même, l’opposition politique s’est également autosaisie de ce sujet contentieux, la porte-parole du Pakistan people party (PPP) estimant qu’il s’agissait là « d’une tentative visant à détourner l’attention de la population d’autres questions importantes et de l’incapacité du gouvernement à résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté[5] ». Dans une veine proche, un autre cadre en vue de ce parti considère que « le gouvernement PTI[6] est le seul responsable de l’état actuel de l’économie et de la flambée des prix dans le pays, ce qui pourrait expliquer qu’il affirme être en possession de preuves crédibles d’une attaque imminente de l’Inde[7] (pour détourner l’attention des citoyens) ».

Loin de prétendre connaître la feuille de route pakistanaise des décideurs politiques indiens – à l’avant-veille d’un scrutin mobilisant du 11 avril au 19 mai, en sept dates et rendez-vous distincts, quelque 900 millions d’électeurs, cinq millions de fonctionnaires et de personnels de sécurité, nécessitant l’installation d’un million de bureaux de vote et une logistique électorale inouïe – on voit cependant assez mal les autorités indiennes se lancer dans une entreprise aussi risquée que hasardeuse. Pour quel gain ? Placer au printemps 2019 l’Asie méridionale, ses deux milliards d’individus, ses deux composantes nucléaires, au bord d’un nouveau chaos ?

Il y a précisément 20 ans, au printemps 1999, l’Union indienne se mobilisait pour convier un semestre plus tard (septembre) sa population aux urnes afin de renouveler sa chambre basse (Lok Sabha) ; la préparation de ce rendez-vous électoral quinquennal ne se fit pas précisément dans la sérénité la plus aboutie. En amont de ces élections, durant un long trimestre[8], les troupes indiennes et pakistanaises s’affrontèrent sur les hauteurs du Cachemire – opération Vijay (Victoire) pour l’Indian army[9] – dans la région de Kargil (200 km au nord-est de Srinagar), après que des troupes pakistanaises et autres combattants infiltrés ont investi durant l’hiver une kyrielle de postes militaires d’altitude indiens situés sur la Line of control[10].

« Facilitée » alors par les États-Unis, la sortie de crise coûta peu après son poste au Premier ministre pakistanais civil d’alors (N. Sharif), alors que le chef des armées pakistanaises, le général P. Musharraf (investi un an plus tôt par N. Sharif…), perpétrait en octobre 1999 le 3e coup d’État militaire[11] de l’histoire agitée de ce pays, conservant le pouvoir jusqu’à sa démission une décennie plus tard (été 2008). Deux décennies après ces événements regrettables, en Asie du Sud et ailleurs, il est assurément peu de monde à plébisciter un scénario similaire.

En ce vendredi 19 avril 2019, l’événement grave suggéré brutalement une douzaine de jours plus tôt par le chef de la diplomatie pakistanaise ne s’est fort heureusement pas matérialisé ; sans surprendre qui que ce soit, en vérité.

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[1] ‘’India preparing for another attack: Qureshi’’, quotidien The News (Pakistan), 7 avril 2019.

[2] Étiré au printemps-été 1999 (entre mai et début juillet) sur les hauteurs du Cachemire (région de Kargil). La 4e guerre indo-pakistanaise depuis l’indépendance des deux pays à l’été 1948.

[3] De courte durée (3 au 16 décembre 1971) ; un million d’hommes engagés (une douzaine de milliers de victimes) ; des hostilités qui débouchèrent notamment sur l’indépendance de la province orientale du Pakistan se muant alors en République populaire du Bangladesh.

[4] ‘’100 Indian fishermen released from Pakistan jail as goodwill gesture’’, India Today, 8 avril 2019.

[5] ‘’PPP terms Qureshi’s statement an attempt to divert people’s attention’’, Dawn, 8 avril 2019.

[6] Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) ou Mouvement du Pakistan pour la justice, au pouvoir depuis août 2018.

[7] ‘’Qureshi’s India attack talk draws skepticism’’, Business Recorder, 9 avril 2019.

[8] Du 3 mai au 26 juillet 1999.

[9] Laquelle mobilisa pour l’occasion 200 000 hommes…

[10] La frontière de facto séparant sur 720 km de long les parties du Cachemire administrées par l’Inde (État du Jammu-et-Cachemire) et le Pakistan.

[11] Après les précédents de 1958-1971 et 1977-1988.
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