04.11.2024
Le quitte ou double de Trump
Édito
15 avril 2019
Donald Trump affirme vouloir rompre avec la politique d’hégémonie libérale suivie par ses prédécesseurs depuis la fin de la guerre froide. Celle-ci a conduit, au nom des bonnes intentions de promotion de la démocratie, à des interventions militaires qui n’ont débouché que sur des catastrophes.
Barack Obama a reconnu que la participation des États-Unis à l’intervention militaire en Libye constituait la pire erreur de ses deux mandats à la présidence du pays. Il était d’ailleurs plus que réticent pour s’y engager et a accepté de le faire après un fort lobbying en ce sens d’Hillary Clinton, alors secrétaire d’État.
Donald Trump affirmait vouloir se rapprocher de la Russie et s’éloigner de l’OTAN. Il n’a pas pu le faire, la structure de sécurité américaine l’en ayant empêché. Il n’a pas non plus pu, comme il le voulait, mettre totalement fin à la présence militaire américaine en Syrie ou en Afghanistan, le Pentagone et les services américains ayant eu le dernier mot.
Mais Donald Trump ne veut pas abandonner une politique d’hégémonie libérale pour adopter une politique multilatérale, chacun l’a bien compris.
Ses slogans Make America Great Again, ou America First marquent bien sa volonté de voir l’Amérique dominer le monde et imposer sa loi. Mais lui qui est si éloigné d’Obama, le rejoint sur un point : l’Amérique ne peut plus être le gendarme du monde, au sens militaire du terme.
Certes, il laisse officiellement sur la table l’option d’une intervention militaire au Venezuela, une telle intervention n’est pas non plus totalement exclue concernant l’Iran.
Donald Trump a choisi une autre voie pour ancrer la suprématie américaine. Les menaces de sanctions s’appuyant à la fois sur l’attractivité du marché américain et sur l’application de plus en plus intense d’une législation américaine au caractère extraterritorial.
Adam Szubin, ancien sous-secrétaire au Trésor pour les questions de terrorisme et d’intelligence économique sous Barack Obama, et Paula Dobriansky, ancienne sous-secrétaire aux affaires mondiales sous Georges W.Bush, viennent de publier un rapport « Maintaining America’s coercitive economic strenght ». Leur objectif est donc bien de maintenir une capacité coercitive des États-Unis et non de passer à une politique multilatérale. Et c’est pour maintenir cette capacité qu’ils critiquent la politique mise en place par Donald Trump.
Ils estiment que l’utilisation plus agressive des sanctions risque, à terme, d’avoir des répercussions négatives tant économiques que diplomatiques, du fait de l’opposition grandissante qu’elles suscitent. Elles sont, de plus, jugées illégales au regard de leur caractère extraterritorial. Ils redoutent que l’activisme du Congrès sur ces sujets (il est toujours populaire de décréter des sanctions contre les pays ayant une mauvaise image) n’entrave la liberté d’action de l’exécutif.
Elles peuvent avoir des effets négatifs non désirés (augmentation des prix de l’énergie ou d’autres matières premières). Mais surtout, les auteurs mettent en garde contre le regain d’effort des gouvernements étrangers (Russie, Chine, Europe) pour contourner les sanctions, qui leur fait prendre des distances avec le système financier américain, jusqu’ici incontournable. A terme, l’usage excessif des sanctions pourrait affaiblir le rôle du dollar, et, plus généralement, brider la puissance des États-Unis.
Donald Trump aime à se montrer brutal et intransigeant. Mais il est avant tout pragmatique. Et malgré ses rodomontades et ses excès, il a déjà reculé lorsque le rapport de force l’y a contraint. Ce fut notamment le cas lorsque l’Union européenne a menacé de répliquer face à sa menace de hausse des taxes à l’importation sur des produits européens, par des taxes comparables sur les produits américains exportés vers l’Europe.
La multiplication et l’intensification des menaces de sanctions, d’extraterritorialité, placent les autres pays face à une alternative simple : soit ils cèdent et entrainent alors réellement le monde vers l’unipolarité rêvée par les dirigeants américains après la fin de la guerre froide, mais qui n’était pas jusqu’ici devenu réalité ; soit ils répliquent, notamment en délaissant le dollar pour leurs échanges internationaux et alors, le pari de Trump basé sur le chantage échouera.
Le test sera de voir si prochainement des achats de pétrole seront facturés dans une autre monnaie que le dollar.
Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, vient de publier « Requiem pour le monde occidental » aux éditions Eyrolles. Disponible sur le site de l’IRIS.