17.12.2024
Qui trop embrase mal éteint ? : le Mexique demande des excuses à l’Espagne colonisatrice
Presse
9 avril 2019
Personne ne sait ce que dit la lettre de tentative de réconciliation d’AMLO. Or celui-ci en a donné l’essence dans un message vidéo filmé sur les ruines préhispaniques de Comalcalco, sur ses terres de Tabasco. «J’ai envoyé cette lettre pour qu’un pardon soit transmis aux peuples originaires, pour les violations de ce qu’on appelle aujourd’hui les droits de l’homme, les tueries de la prétendue conquête […] l’excommunication des pères de la patrie.»
Pourquoi cette initiative que rien ne laissait soupçonner ? Pourquoi seule l’Espagne est-elle visée ? Y aurait-il un contentieux entre les deux pays qui permettrait de comprendre cette initiative inamicale ? Pourquoi Paris et Washington n’ont-ils pas reçu une missive identique ? Les États-Unis et la France ont-ils eux aussi gravement bousculé l’intégrité territoriale du Mexique ?
Les rapports entre anciens colonisés et colonisateurs restent marqués par ce péché originel. Le colonisateur est condamné à la mauvaise conscience. Le colonisé, à l’exaltation de son geste indépendantiste. La mémoire collective des uns, les Mexicains, et des autres, les Espagnols, reflète une vision croisée. L’histoire officielle, véhiculée par les manuels scolaires en porte la trace. Le Mexique se veut indien, et même aztèque. Il a relégué les restes du «conquistador» Hernán Cortés, dans le quasi-anonymat d’une petite église de sa capitale. Les Espagnols souvent contestent, comme le romancier Arturo Pérez-Reverte, la réalité d’une légende noire. Mieux ou pire, Pablo Casado, responsable du Parti populaire, a revendiqué ce moment comme «le plus brillant de l’histoire de l’humanité».
L’Espagne et le Mexique avaient déjà fait l’expérience de cette incompréhension mutuelle pour commémorer 1992. Cette date était-elle l’année du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique comme le proposaient les Espagnols ? Ou était-elle l’an I d’une légende noire comme cela était avancé au Mexique ? Au terme de négociations ardues, 1992 aura été finalement le cinquième centenaire de la rencontre entre deux mondes. Juste après la tenue du premier sommet ibéro-américain en 1991, dans la ville mexicaine de Guadalajara. Alors que les Espagnols auraient préféré à Séville, en 1992.
Cependant, ce courrier a surpris. Philippe VI, présent pour sa prise de fonction, avait salué AMLO le 1er décembre 2018. Le Président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, a effectué une visite officielle à Mexico le 29 janvier 2019. Ces deux contacts bilatéraux s’étaient déroulés sans incident. 2021 sera une année de manifestations destinées à contribuer au rappel d’un passé, et à partager amitié et coopérations.
Les incompréhensions récentes pourront sans doute être surmontées dans les prochains mois. Comme cela avait été le cas en 1992. Cette lettre présidentielle mexicaine adressée au monarque ibérique n’était sans doute pas nécessaire. Plusieurs voix ont signalé en Espagne, mais aussi au Mexique, que les Indiens n’ont pas été bien traités par les gouvernants du Mexique indépendant, plus «espagnols» qu’indigènes. Certains historiens mexicains, comme José Maria Murria, Antonio García de León et Carlos Martínez Assad, mais aussi leur collègue espagnol, José Álvarez Junco, ont rappelé que les générations espagnoles actuelles ne pouvaient être considérées coupables et comptables de crimes commis il y a plusieurs siècles. Les opposants mexicains au président AMLO ont dénoncé une initiative électoraliste, dommageable aux rapports bilatéraux avec l’Espagne. Ceux de Pedro Sánchez ont critiqué son «ami gauchiste» AMLO.
Finalement, le Pape François interpellé par une missive parallèle a répondu en jésuite par la voix de son porte-parole : «Le Saint-Père aurait été enchanté de se rendre au Mexique pour commémorer en 2021 500 ans d’évangélisation des Amériques. Mais il a déjà visité le Mexique. D’autres pays espèrent sa venue.»