04.11.2024
« Les nationalistes à l’assaut de l’Europe » – 3 questions à Dominique Vidal
Édito
1 avril 2019
Dominique Vidal est journaliste et historien. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage dont il a supervisé la rédaction « Les Nationalistes à l’assaut de l’Europe » aux éditions Demopolis.
L’extrême droite pourrait-elle prendre le contrôle des institutions européennes après les élections de mai ? Ou être suffisamment puissante pour peser fortement sur elles ?
La participation aux élections européennes est traditionnellement très faible : en 2014 43,09 % parmi les Vingt-Huit et 42,43 % en France. C’est dire que les citoyens européens sous-estiment le rôle du Parlement européen (PE), qui, depuis le Traité de Lisbonne, élit notamment le chef du parti européen victorieux comme président de la Commission et ratifie la liste des Commissaires soumise au Conseil des chefs d’État et de gouvernement.
Si l’enjeu du scrutin du 26 mai 2019 est particulièrement important, c’est que les équilibres politiques au sein du PE pourraient, cette fois, être bouleversés. Certes, le risque d’une majorité de députés nationalistes, populistes de droite et d’extrême droite reste très limité. Mais ils pourraient être assez nombreux pour contraindre le Parti populaire européen (PPE) à faire alliance avec eux et, via cet accord, prendre partiellement le contrôle de l’Union européenne (UE).
Ce danger n’a rien d’un fantasme : les nationalistes gouvernent déjà seuls deux États (Hongrie et Pologne) et participent à la coalition au pouvoir dans dix autres États. Au total, ces forces, ajoutées à celles de l’extrême droite et des populistes de droite, frôlent ou dépassent 10 % dans dix-sept États du continent, 20 % dans huit et atteignent 30 % dans quatre. Et la dynamique s’amplifie, comme le montrent leurs récents succès en Espagne, aux Pays-Bas et surtout en Italie.
Et on n’a pas bien mesuré le tournant pris par ces forces : hier, elles voulaient quitter l’UE, aujourd’hui elles entendent s’en emparer.
La poussée nationaliste dans 24 pays européens expliquée et commentée par 20 experts… Qu’est-ce qui vous a conduit à vouloir vous lancer dans cette tâche immense ?
La principale raison, c’est bien sûr l’enjeu exceptionnel que je viens de souligner. En 2012, j’avais déjà souligné la percée des extrêmes droites européennes, dans Le Ventre est encore fécond, chez Libertalia. Depuis, le phénomène s’est accentué et complexifié, avec la conjonction d’autres courants.
D’où la deuxième raison de ce nouveau livre : dissiper la confusion qui règne dans l’opinion sur les forces dont il est question et, malheureusement, dans nombre de médias censés l’éclairer.
L’extrême droite, comme son nom l’indique, occupe une marge du champ politique, bien qu’elle revendique désormais rarement ce positionnement.
Le populisme est plus difficile à situer. Comme nous l’avons montré avec Bertrand Badie dans L’État du monde 2019. Le retour des populismes (La Découverte), il s’agit moins d’une doctrine que de pratiques politiques. Différent d’une période et d’un pays aux autres, le populisme comporte néanmoins des points communs : la prétention de dépasser le clivage gauche-droite, le mépris de la démocratie représentative, le culte du chef et bien sûr l’exaltation du peuple et de la nation…
Cette dernière caractéristique est évidemment aussi au cœur du nationalisme, qui cherche à créer une « communauté imaginée » (Benedict Anderson). Son projet politique ne s’adresse pas à une marge, mais bien à la totalité de la nation. C’est le principal défi d’aujourd’hui, avec notamment Marine Le Pen, Matteo Salvini, Viktor Orban et Jaroslaw Kaczynski.
Chacune de ces forces s’enracine évidemment de manière spécifique dans une société particulière. D’où la nécessité de faire appel à des chercheurs issus de ces différents pays ou spécialistes de leurs réalités. Outre mon introduction, j’ai donc choisi des intervenants aussi pointus et pédagogiques que possible, dont j’ai édité les textes.
Pourquoi la fin de la guerre froide n’a-t-elle pas permis de lever l’hypothèque que le stalinisme a longtemps fait peser sur la perspective d’une société socialiste ?
Au-delà des différences nationales, les forces nationalistes, populistes et d’extrême droite ont « poussé » dans un terreau commun : celui de la crise multiforme créée ou accentuée par la mondialisation néolibérale. Le passage de « Trente glorieuses » aux « Trente douloureuses » a notamment provoqué une crise sociale, mais aussi morale. Celle-ci s’inscrit dans une crise d’identité généralisée. S’y ajoute une crise de souveraineté des États ainsi qu’une crise des institutions démocratiques.
Mais toutes ces dimensions conjuguées de la crise ne sauraient suffire à expliquer l’ascension des nationalistes. La toile de fond de ce phénomène européen, mondiale, c’est l’absence d’alternatives crédibles, à droite comme à gauche. Pour cette dernière, il va de soi que la clé, c’est l’effondrement de l’Union soviétique et du camp socialiste qui, quoiqu’on en pense, ont représenté, des décennies durant un horizon pour des millions et des millions de gens à travers le monde.
Nous étions nombreux à croire que la fin du communisme lèverait l’hypothèque que le stalinisme et le néostalinisme avaient fait peser sur la possibilité d’un socialisme démocratique. Force est de reconnaître que nous nous sommes trompés. Le communisme orthodoxe n’a pas eu, depuis près de vingt ans, de successeur crédible. La gauche est comme orpheline, incapable de surmonter ses divisions pour reconstruire une réponse au capitalisme mondialisé, à ses inégalités, à sa précarité, à ses tendances liberticides, etc.
La meilleure preuve en est fournie par le groupe de Visegrad : s’il est dominé par des leaders nationalistes, c’est que le communisme, puis le postcommunisme et enfin la nomenklatura reconvertie en pseudo social-démocratie ont tout à tour trahi les promesses qu’ils avaient faites aux Polonais, aux Hongrois et aux Tchèques. La reconstitution d’une alternative démocratique me semble la condition sine qua non de toute défaite durable du nationalisme.