20.12.2024
Brexit : « Les difficultés de Theresa May ne justifient pas de sacrifier les solidarités historiques aux saccades de l’actualité »
Interview
21 mars 2019
Les dirigeants européens se réunissent aujourd’hui à Bruxelles pour un nouveau sommet « décisif » sur le Brexit, alors que le Royaume-Uni est toujours divisé sur le sujet, à une semaine de l’échéance officielle. Quelles sont les issues envisageables ? Entretien avec Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du programme Europe, stratégie et sécurité.
Comme se fait-il que le Royaume-Uni se trouve dans une telle position de faiblesse aujourd’hui, à une semaine de la date officielle du Brexit ?
Pour tout dire, la situation dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui n’avait rien d’automatique. Le Royaume-Uni est en proie aux divisions intestines les plus vivaces depuis trois ans, certes. Il n’en reste pas moins que Londres a commis beaucoup d’erreurs « non forcées » depuis le début de ces négociations, comme l’on dirait au tennis, tant du point de vue tactique et stratégique, que du point de vue politique et intellectuel.
D’une part, les Britanniques ne sont pas dans une discussion bilatérale classique, où ils ont leurs repères et sont plutôt à l’aise. Londres a tenté de négocier en direct avec Berlin et même Dublin, avant de se rendre à l’évidence que cette négociation avait ceci de spécifique qu’elle met aux prises un pays et vingt-sept autres.
Deuxième élément que le Royaume-Uni a tardé à comprendre, c’est qu’il abordait ces négociations dans une position structurelle de faiblesse. Londres n’y est pas forcément habitué et l’Histoire y est naturellement pour beaucoup. Cela peut paraître évident, mais le poids économique et juridique du marché unique explique que le rapport de force ne soit pas en faveur des Britanniques.
Enfin, le Royaume-Uni a refusé de comprendre que l’Union européenne n’était pas uniquement un projet économique. Londres a du mal à saisir que l’on puisse privilégier un bénéfice politique à long terme, par rapport à l’impact économique à court terme sur l’industrie automobile allemande ou sur le Nord de la France. Paris et Berlin peuvent s’accommoder de certains dommages économiques à court terme, car le démantèlement de l’Union à long terme constitue aux yeux du couple franco-allemand un danger plus immédiat pour l’Europe.
C’est ce qui explique l’unité stratégique des Européens, que Michel Barnier a mise en musique de manière extrêmement méticuleuse et professionnelle. L’unité des Européens a aussi des ressorts tactiques : elle s’explique tout simplement parce que c’est une tactique qui a été très efficace, et qui continue de faire ses preuves. Le Royaume-Uni s’est davantage divisé en son sein que les vingt-sept acteurs qui lui ont fait face.
Je ne parle pas des erreurs tactiques comme la convocation d’élections générales anticipées, qui ont détruit la majorité parlementaire de Theresa May et qui la laissent aujourd’hui à la merci des Unionistes nord-irlandais, ce qui rend le problème de la frontière irlandaise inextricable.
De quelles marges de manœuvre le Royaume-Uni dispose-t-il encore dans les négociations ?
Les Européens considèrent les discussions comme achevées du point de vue de l’accord de sortie. Les négociations n’iront donc pas au-delà sur ce point. Cela n’a rien d’illogique puisque l’on sort de deux ans de négociations, mais cela n’a pas toujours été bien compris à Londres. Au contraire, l’on entend encore chez certains conservateurs que « l’Union européenne plie toujours à la fin ».
Il y a en revanche davantage de marge de manœuvre s’il s’agit d’amender la déclaration d’intention qui est adjointe à l’accord de sortie, à condition que le Royaume-Uni souhaite changer l’orientation de son rapport futur avec le bloc européen. Si une majorité parlementaire se dégageait pour un Brexit moins dur par exemple, cela pourrait se répercuter dans la déclaration politique.
Theresa May va demander un délai aux Européens ce jeudi pour prolonger les discussions sur la sortie du Royaume-Uni. Que doivent-ils faire ?
Michel Barnier a dit que l’UE ne serait pas forcément favorable à l’extension de l’article 50, car cela prolongerait l’incertitude et les coûts économiques pour les entreprises. Je comprends son point de vue, mais je trouve que l’Union commettrait une erreur non forcée si elle refusait l’extension courte.
Aux yeux des opinions publiques, la responsabilité de la situation actuelle, comme celle d’une absence d’accord éventuelle, échoit aujourd’hui au gouvernement britannique. Même les conservateurs britanniques ont du mal à convaincre que la faute en revient aux Européens, c’est dire ! Il ne faut pas prendre cette perception à la légère. Elle aura un impact à moyen et à long terme, y compris face à l’Histoire. L’Union européenne aurait tort de s’en écarter sans raison, en risquant de se rendre responsable d’une absence d’accord. En somme, il me semble que les bénéfices qu’elle retirerait d’un refus d’une extension, tels que les met en avant Barnier, ne sont pas suffisants au regard des inconvénients politiques.
Enfin, il faut faire attention à ne pas se laisser emporter par les émotions de court terme. Les difficultés de Theresa May ne justifient pas de sacrifier les solidarités historiques aux saccades de l’actualité. Le Royaume-Uni est un pays ami et voisin. Il serait dangereux qu’une acrimonie politique à court terme mette en danger les liens stratégiques à plus long terme. Même s’il s’agit de dossiers un peu moins médiatiques aujourd’hui, le continent a besoin des Britanniques pour combattre le terrorisme, assurer la stabilité du Sahel ou encore s’adresser à la Russie.
La question de l’extension longue qui s’étendrait par-delà les élections européennes est complètement différente. La lassitude provoquée par le Brexit des deux côtés de la Manche rend cette hypothèse délicate à mettre en œuvre. De même, organiser un second référendum aurait des conséquences tout à fait néfastes sur le tissu démocratique britannique, mais aussi européen. Londres a choisi la voie du référendum, il lui faut désormais aller au bout.