21.11.2024
Mur avec le Mexique: « Il existe un État profond qui défie frontalement Donald Trump »
Presse
22 février 2019
En réalité, non. D’abord il faut savoir que toutes les décisions d’une personnalité politique sont susceptibles d’un recours en justice: c’est le principe de séparation des pouvoirs dans la démocratie américaine. Et depuis que Donald Trump est président, absolument toutes ses décisions ont été portées devant la justice !
En cela, donc, rien n’a changé par rapport à d’habitude, si ce n’est que cette fois-ci il s’agit d’un groupement d’états, dont certains sont de toute évidence dans leur droit pour faire un procès comme par exemple la Californie ou le Nouveau Mexique, qui ont une frontière avec le Mexique et qui donc peuvent légitimement discuter de l’intérêt d’avoir un mur. Pour d’autres en revanche, c’est plus complexe: l’état de New York par exemple s’est très vite dressé contre cette décision. Même si le gouverneur a dit que la décision du président américain impactait tous les états, il reste que New York est à des milliers de kilomètres de la frontière et que le juge aura à trancher de la légitimité ou non de ce recours. Ce qui aura un effet inverse à celui recherché: en prolongeant les délais de procédure judiciaire, ce sera plus compliqué d’empêcher Donald Trump de construire son mur.
Cette procédure a-t-elle une chance d’aboutir ?
Probablement pas. Car il s’agit d’une question législative avant tout et c’est donc au Congrès que cela doit se régler: il y a une loi qui régit l’état d’urgence nationale, la loi de 1976, et donc c’est à la Chambre des représentants et au Sénat d’apporter la réponse, et ce sera très difficile pour un juge de statuer tant que le processus politique ne sera pas arrivé au bout. Car le Sénat est dominé par les républicains, et même si plusieurs d’entre eux sont très réservés sur la décision de Trump (il suffit de quatre d’entre eux, en considérant que les démocrates votent tous contre Trump), le président peut encore poser son veto! Or là le Congrès a besoin d’une majorité des deux tiers pour casser le veto du président, ce qui devient très difficile à obtenir, pour ainsi dire impossible. Et ce n’est qu’au terme de ce long processus que les juges pourront enfin s’intéresser au recours déposé par les états…
Par ailleurs, si l’on regarde le fondement de la loi, celle-ci dit que le président a le pouvoir de déclarer l’état d’urgence. Visiblement il n’a pas fait autre chose que cela. La loi ne dit pas quelles sont les conditions de l’état d’urgence, qui ne repose que sur la coutume et la norme. Le juge n’a donc pas de raison a priori de s’y opposer en statuant que le président a outrepassé ses pouvoirs, à moins de faire une interprétation politique. Or si c’est le cas, on remontera à la Cour d’appel puis à la Cour suprême… qui a de fortes chances de pencher du côté conservateur.
Trump fait-il face à un «État profond», une résistance de la part de son administration qui cherche à contrer ses décisions politiques ?
L’État profond existe, en effet. Cela signifie qu’il y a aux États-Unis une bureaucratie qui possède son propre fonctionnement, qui applique des règles autonomes, et qui rend plus lente l’exécution des décisions présidentielles. Il est souvent difficile pour le chef de l’État de voir sa politique appliquée immédiatement. C’est en réalité inhérent à la démocratie, et l’État profond existe dans d’autres pays.
Maintenant, la particularité de Donald Trump est qu’il s’est fait élire en tant que populiste, et que son ambition de «retourner la table» suppose précisément de s’en prendre à l’État profond en expliquant qu’un pays démocratique doit avoir une bureaucratie loyale et réactive. Donald Trump était un chef d’entreprise avant d’être un chef d’État: il est habitué à ce que ses employés exécutent ses ordres sans discuter, il ne les payait pas pour penser ou pour mettre des délais à l’exécution de ses ordres, qu’ils soient bons ou mauvais! Or dans un pays, même démocratique, il y a nécessairement au sommet de l’État des juristes qui vérifient que les ordres soient conformes au droit, des comptables qui vérifient que les ordres soient conformes au budget, etc. Tout cela freine évidemment l’exécution des décisions, et Donald Trump se bat contre cela car il est dans la nature du populisme de se battre contre l’Etat profond en lui reprochant de lui mettre des bâtons dans les roues.
Tout cela est vrai pour l’affaire du mur: l’État profond fonctionne à plein tube, si je puis dire, et Trump le défie frontalement. Il faut dire qu’il réclame huit milliards de dollars, que le Pentagone ne parvient pas à aligner, tarde à le faire ou peine à le faire…
En mobilisant sa base électorale sur ce sujet central dans le clivage politique américain, Donald Trump se positionne donc en garant de la démocratie contre l’Etat lui-même ?
C’est en effet le positionnement logique d’un dirigeant «populiste». C’est un courant de pensée très important aux États-Unis, Bill Clinton avait par exemple écrit avant d’être élu un livre dans lequel il affirmait vouloir «un gouvernement par le peuple»! La plupart des candidats qui se présentent actuellement au parti démocrate sont aussi des populistes. Donald Trump est peut-être un exemple caricatural du populisme, mais il n’est pas le seul à qui cette étiquette puisse convenir.
Sur le sujet de l’immigration, Bernie Sanders peut-il être un «challenger» à la hauteur face à Donald Trump ?
Je ne crois pas que ce soit sur ce ressort que Bernie Sanders appuiera principalement sa candidature. Comme en 2016, il se positionne davantage sur des sujets sociaux, économiques et environnementaux. Bernie Sanders a pour idée d’imposer le socialisme, qui est d’abord la reconnaissance de l’ouvrier! Son programme est d’abord fondé là-dessus, rendre le pouvoir et l’appareil de production à l’ouvrier, comme d’ailleurs Alexandria Ocasio-Cortez, cette jeune élue new-yorkaise à la Chambre des représentants, une des étoiles montantes chez les démocrates. Les nouveaux élus, comme la plupart des candidats déjà déclarés, sont d’ailleurs presque tous des héritiers de la campagne de 2016, et se positionnent donc sur des thèmes qui n’ont pas beaucoup changé depuis trois ans: le système de santé, les inégalités, l’environnement, les armes à feu…
Le sujet de l’immigration est surtout abordé en réaction à Donald Trump. C’est en critiquant l’immoralité du président que Bernie Sanders aborde le sujet, mais il n’a pas réellement de programme, ne projette pas de grandes lois… Il se contente de formules incantatoires, et propose de défaire tout ce qu’a fait Trump. Donc non, l’immigration n’est pas le point fort de Bernie Sanders, même si son universalisme le pousse à adopter la vision d’une Amérique ouverte et accueillante aux autres.