ANALYSES

L’Atlantique s’élargit entre l’Europe et les Etats-Unis

Presse
25 février 2019
La conférence sur la sécurité de Munich est traditionnellement le lieu où les pays membres de l’Alliance atlantique célèbrent leur unité et la solidité de leur alliance. La Wehrkunde – nom de cette conférence – est considérée comme le Davos des affaires stratégiques, forum mondial où se pressent dirigeants, journalistes et experts et où chacun délivre sa vision du monde. Le président américain Donald Trump n’était pas présent, et c’est son vice-président, Mike Pence, qui était venu représenter les États-Unis. Après avoir évoqué le bilan du président, il a marqué un silence, espérant des applaudissements. Un silence glacial a suivi de façon gênante témoignant de l’impopularité du locataire de la Maison-Blanche dans une telle enceinte.

Cela est venu rappeler les rires qui avaient accompagné le discours de Trump lors de l’Assemblée générale des Nations unies à l’automne. À New York, c’est Emmanuel Macron qui avait donné la réplique à Donald Trump, se faisant le champion du multilatéralisme face à l’unilatéralisme américain. Retenu par la crise des gilets jaunes en France, Emmanuel Macron n’était pas présent à Munich. C’est Angela Merkel qui a tenu le rôle d’opposant numéro un à Donald Trump. Ceci est d’autant plus significatif qu’il y a une tradition bien établie à ce que le président français tienne tête au président américain – comme l’ont régulièrement fait de Gaulle, Mitterrand et Chirac – mais pas la chancelière allemande.

Historiquement, le chef du gouvernement allemand est depuis le début des années 1950 l’allié le plus sûr des États-Unis en Europe. Pendant toute la guerre froide, c’est la protection des États-Unis qui avait permis le maintien de l’indépendance de l’Allemagne menacée par l’Union soviétique. En retour les Allemands soutenaient les positions américaines sur le plan diplomatique. Il y eut une première exception, lorsque le chancelier Schröder a condamné, avec Chirac, la guerre d’Irak en 2003. L’URSS n’existait plus, et l’Allemagne se sentait moins dépendante de la protection américaine et donc plus libre de proclamer son opposition en cas de graves divergences. Il y eut par la suite une totale réconciliation.

Mais aujourd’hui tout semble opposer l’Allemagne et les États-Unis. Depuis déjà quelque temps, les dirigeants allemands sont agacés, mais il faut dire que Donald Trump ne prend pas particulièrement d’égards vis-à-vis des Européens. Sa conception de la politique étrangère vis-à-vis d’eux est plutôt de prendre des décisions dont il les informe par la suite, ceux-ci étant priés de les respecter et de les mettre en œuvre le plus rapidement.

Après le retrait de l’accord de Paris pour la lutte contre le réchauffement climatique, le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, le retrait précipité et non négocié des forces américaines de Syrie, la volonté d’interdire tout contact commercial avec l’Iran, la dénonciation de l’accord sur les forces nucléaires intermédiaires qui a été signé en 1987 par Reagan et Gorbatchev, et qui avait donné le signal de la fin de la guerre froide, vient renforcer l’opposition entre les États-Unis et l’Allemagne. Les menaces de Washington de surtaxer les exportations automobiles allemandes sont aussi vues comme un geste suprême d’hostilité, l’industrie automobile allemande étant au cœur de l’économie et de la prospérité de la nation.

Mais les Britanniques s’éloignent eux aussi des États-Unis sur ces sujets, ce qui est encore plus remarquable, du fait de la « special relationship » entre Londres et Washington.

Il y a en fait un fossé entre les pays historiquement membres de l’Alliance atlantique, ceux d’Europe de l’Ouest et les États-Unis, mais également un fossé interne à l’Europe, entre les pays occidentaux et ceux d’Europe de l’Est qui, eux, restent fidèles à Washington. Le double divorce est fondamental. Que va-t-il se passer ? L’Atlantique s’élargit entre l’Europe et les États-Unis, mais le clivage entre l’Est et l’Ouest européen, aboli à la fin de la guerre froide, resurgit sous une nouvelle forme.
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