ANALYSES

Les tensions entre le Pakistan et l’Inde « pourraient conduire les deux pays au bord de la guerre »

Presse
21 février 2019
Interview de Georges Lefeuvre - La Croix
L’Inde accuse le Pakistan de soutenir le groupe terroriste qui a revendiqué l’attaque ayant fait 41 morts chez les paramilitaires au Cachemire le 14 février. Elle menace d’une intervention militaire. Faut-il prendre cette crise au sérieux ?

Depuis quelques années, le Pakistan se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosé. Certes il a soutenu des groupes terroristes par le passé pour se prémunir de la menace afghane et indienne, mais il n’arrive plus à les contrôler aujourd’hui. Or ce n’est plus dans son intérêt de faire monter la pression contre l’Inde.

Ce qui se passe est assez grave parce que des attentats de ce type-là pourraient conduire les deux pays au bord de la guerre. Et c’est ce que veulent les terroristes. Le Jaish-e-Mohammed (JeM), qui a revendiqué l’attaque de la semaine dernière, n’en est pas à son coup d’essai en Inde. Ce sont des tenants de l’islam wahhabite. Ils dénient le concept d’État-nation et veulent recréer un califat islamique.

L’Iran a aussi demandé des comptes à Islamabad sur un attentat commis, à un jour d’intervalle de celui en Inde, sur son sol. Cette dégradation des relations entre les deux pays menace-t-elle d’isoler le Pakistan ?

Le groupe qui a revendiqué l’attentat, Jaïch al-Adel (Armée de la Justice), est en réalité une résurgence du groupe disparu du Jundallah, assimilé à Al-Qaida. Ces terroristes sunnites radicaux ne sont pas installés au Pakistan (comme l’affirme le commandant des gardiens de la Révolution, le général Mohammad Ali Jafari, NDLR) mais dans le Sistan-Baloutchistan iranien, au sud-est du pays. Mais les groupes terroristes ne connaissant pas les frontières, ils ont très bien pu se cacher dans la partie désertique du Pakistan après l’attaque. En tout cas, ce n’est donc pas ce pays qui l’a commanditée.

Il ne s’agit pas pour autant d’une crise majeure entre les deux pays. N’oublions pas que l’Iran soutient les talibans au Pakistan et en Afghanistan, bien qu’ils soient sunnites : à ses yeux ils sont moins dangereux que Daech car ils n’ont pas vocations à s’étendre à l’international. Alors que Daech, même en l’état de faiblesse actuelle, peut essaimer des cellules et déstabiliser l’Iran. Du point de vue économique, Téhéran a également un intérêt commun avec le Pakistan. Il existe un projet de gazoduc et d’oléoduc entre l’Iran, l’Inde et le Pakistan. Les Pakistanais ont aussi besoin de cette relation avec l’Iran pour pouvoir avoir du gaz et du pétrole.

Le Prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane effectue actuellement une tournée en Asie. Au Pakistan puis en Inde, il a appelé cette semaine à la désescalade entre les deux pays. Quel poids peut-il avoir ?

Mohammed ben Salmane (MBS) achète les amitiés dont il a besoin, aussi bien en Inde qu’au Pakistan. Ce n’est pas étonnant qu’il se présente comme temporisateur. Mais cela n’aura pas beaucoup plus d’effet que l’effervescence médiatique actuelle. Ce n’est pas MBS qui mène le jeu. Aujourd’hui, nous avons affaire à un nouveau grand jeu géopolitique autour de la zone Pachtoune entre le Pakistan et l’Afghanistan. Tous les groupes terroristes et insurgés sont à cheval entre les deux pays.

Tout se joue désormais sur la compétition entre Moscou et Washington, qui tentent chacun de négocier avec les talibans. Mais il y a aussi Pékin. La Chine investit énormément dans les nouvelles routes de la soie, qui passent dans les zones de peuplement pachtoune au Pakistan.

Propos recueillis par Caroline Vinet
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