18.11.2024
Inde : le Jammu-et-Cachemire, entre deuil, colère et tentation de représailles
Tribune
20 février 2019
Le 14 février, l’ancienne principauté du Cachemire fut une nouvelle fois le théâtre d’un effroyable attentat – le plus meurtrier perpétré dans la région depuis trente ans – lorsqu’une voiture chargée d’explosifs déflagra au passage d’un convoi de véhicules militaires transportant entre Jammu et Srinagar plusieurs centaines de soldats indiens. La puissance de l’explosion éventra rien de moins que deux autocars, emportant dans le trépas une quarantaine d’individus, en blessant plusieurs dizaines d’autres.
Cet attentat ensanglantant à nouveau le fébrile Jammu-et-Cachemire fut sans tarder revendiqué par un groupe terroriste à la notoriété tristement établie en Inde, le Jaish-e-Muhammad (l’armée de Mohamet, JeM). Le JeM est d’ores et déjà responsable d’une longue série d’actions terroristes sur le sol indien au cours des deux dernières décennies, à l’instar notamment d’une précédente attaque au Cachemire contre une base militaire de l’Indian Army à Uri, menée en septembre 2016 (une vingtaine de victimes dans les rangs des forces indiennes).Un autre site militaire de la province indienne du Punjab (Pathankot air station) en janvier 2016 ou encore l’attentat contre le Parlement perpétré dans la capitale New Delhi en décembre 2001 (une quinzaine de morts) sont également l’œuvre du Jaish-e-Muhammad.
Le JeM est une entité terroriste inscrite depuis 2002 sur diverses listes (américaine, onusienne, indienne) d’organisations terroristes prohibées et sanctionnées, dont le quartier général officiel est installé dans la province pakistanaise du Punjab. Leur ‘’projet’’ politique n’est autre que de fusionner au profit du territoire pakistanais la partie du Cachemire administrée par l’Inde (État du Jammu-et-Cachemire) avec celle relevant de l’autorité d’Islamabad (Azad Kashmir). Point n’est ici besoin de faire état de ses accointances notoires avec les services de renseignements pakistanais, Al-Qaïda et les talibans afghans (entre autres fréquentations douteuses), établis de longue date par une littérature internationale.
Mentionnons ici en quelques mots l’identité de son leader, un certain Masood Azhar. Citoyen quinquagénaire pakistanais, arrêté un quart de siècle plus tôt (1994) par les forces indiennes pour activité terroriste puis remis en liberté en 1999 dans la foulée du dramatique détournement du vol Indian Airlines 814 Katmandou – New Delhi, au cours duquel les preneurs d’otages exigeaient sa libération pour que les passagers (alors en stand-by dans le Sud afghan, à Kandahar) puissent retrouver leur liberté sains et saufs… Un individu au passif affligeant dont le New York Times du 14 février 2019 nous rappelle que les autorités indiennes et américaines réclament avec insistance depuis des années l’inscription sur la fameuse liste onusienne sanctionnant entités et individus coupables d’activités terroristes (cf. United Nations designated terrorist groups and targeted sanctions). Une démarche menée en vain jusqu’alors, puisque le Conseil de sécurité de l’ONU, mis en échec chaque année par le véto à répétition d’un de ses membres permanents (Chine[1]), ne pouvait concrétiser ce souhait légitime.
À deux mois des élections générales en Inde (étirées sur les mois d’avril et de mai), ce énième coup de poignard[2] porté à cette région himalayenne disputée attise comme de coutume la douleur de la population cachemirie d’une part, la colère de l’opinion publique indienne d’autre part, et les velléités de ripostes militaires à l’endroit de ce groupe terroriste anti-indien et de ses sponsors finalement. Deux ans et demi plus tôt (septembre 2016), lorsque la responsabilité du JeM dans l’attentat contre la base militaire d’Uri (Jammu et Cachemire) avait été clairement établie (et revendiquée par les intéressés eux-mêmes…), le Premier ministre indien Narendra Modi avait ordonné des frappes chirurgicales contre des installations de militants radicaux et de terroristes installés au Azad Kashmir pakistanais, administré par Islamabad.
Pressées par une opinion publique outragée par ce nouvel affront, alors que la campagne électorale est lancée à toute vapeur depuis un mois et demi et que la pression monte graduellement sous l’élan d’une opposition soudain quelque peu ragaillardie (le parti du Congrès de la dynastie Nehru-Gandhi plus particulièrement), les autorités vont-elles pouvoir longtemps résister à la tentation de représailles ciblées, musclées et calibrées ? À cette heure, rien ne semble définitivement acquis sur le sujet ; loin de là.
Vendredi 15 février, le Premier ministre indien Narendra Modi avait laissé entendre l’ampleur de son courroux, en écho direct de celui de ses administrés : ‘’Je tiens à dire aux organisations terroristes et à leurs partisans qu’ils ont commis une énorme erreur. Ils devront payer un prix très élevé pour cela. Je donne l’assurance à la nation que les instigateurs et les coupables de cette attaque seront punis pour leurs actions[3]’’.
Mardi 19 février, le chef de gouvernement pakistanais Imran Khan s’est invité dans le débat, mettant en garde l’Inde voisine contre toute velléité de riposte ; en des termes aussi clairs que préoccupants : ‘’Si vous pensez que si vous pouvez mener une attaque contre le Pakistan, le Pakistan ne pensera pas seulement à des représailles, nous riposterons. Il n’y aura pas d’autre moyen de réagir que de riposter. Et après ça, où cela nous mènera-t-il ? Nous savons tous qu’il est facile de déclencher une guerre [4](…)’’.
Attentive et soudain inquiète – à juste titre -, la communauté internationale invite New Delhi et Islamabad à la retenue, à privilégier le dialogue et la voie diplomatique. Dans le contexte de grande tension et d’exaspération du moment, il n’est hélas pas certain que le concert des nations soit pleinement entendu.
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[1] À la demande expresse d’Islamabad, selon la presse indienne (cf. ‘’India wants Masood Azhar on UN blacklist, Saudi-Pak joint statement is a snub’’, The Indian Express, 19 février 2019).
[2] Suivi quatre jours plus tard, lundi 18 février, par une nouvelle attaque meurtrière du JeM contre les forces de sécurité indiennes dans la vallée au Cachemire (district de Pulwama), faisant quatre morts.
[3] ‘’Kashmir attack: India says Pakistan had ‘direct hand’ in deadly convoy strike’’, CNN, 15 février 2019.
[4] ‘’Pakistan will address actionable evidence if shared by Delhi, PM Khan tells India after Pulwama attack’’, quotidien pakistanais Dawn, 19 février 2019.