20.11.2024
Iran : « Comment faire tourner l’économie avec des banques en quarantaine ? »
Presse
8 février 2019
Le retrait de Washington de l’accord de juillet 2015 limitant le programme nucléaire de Téhéran et l’embargo qui s’est ensuivi ont entraîné un choc économique d’une violence extrême. La récession devrait être de – 4 % cette année. En 2016, après la levée des sanctions sous Obama, la croissance de l’Iran atteignait 13,4 %, la plus élevée de toute la région, et frôlait encore 4 % en 2017. En rétablissant, le 5 novembre 2018, les sanctions contre les secteurs pétrolier et financier iraniens, Trump a asphyxié l’économie. Sous embargo, l’Iran ne peut exporter que 1,3 million de barils par jour, contre 2,3 millions début 2018. Or, le pétrole représente 80 % des recettes d’exportations et plus de 40 % des rentrées fiscales. Le pays voit ainsi disparaître du jour au lendemain près de 20 % de ses recettes budgétaires.
Quels sont les autres canaux de diffusion de ces sanctions ?
Les entreprises asiatiques ou européennes se voient interdites de marché américain si elles importent du pétrole iranien, ou échangent avec des banques iraniennes ciblées par Washington. L’Iran est dans l’impossibilité d’importer. Or, rares sont les entreprises du pays qui peuvent produire sans importer des matières premières ou encore des biens intermédiaires nécessaires à la plupart des industries. Le secteur automobile, deuxième pourvoyeur d’emploi après celui du pétrole, en souffre énormément. Enfin, comment faire tourner l’économie d’un pays quand les banques sont mises en quarantaine ? Et quand les banques étrangères ne peuvent pas faire le moindre business sur le territoire iranien, sauf à prendre le risque d’être sanctionnées par les Etats-Unis en raison de l’extraterritorialité des lois américaines ?
Au-delà de ces sanctions, l’économie iranienne ne souffre-t-elle pas de maux endémiques ?
Sans doute. Mais peut-on imaginer ce que serait la situation économique et sociale de la France si d’un seul coup le budget de l’Etat était amputé de 15 % ou 20 % ? L’effet serait terrible, il déséquilibrerait l’économique, le social, et le champ politique.
Faut-il crainte un emballement de l’inflation, dont le rythme ne cesse de s’accélérer ?
Au pouvoir depuis 2013, le président Hassan Rohani avait réussi à ramener l’inflation à moins de 10 %. Avant lui, son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad, faisait tourner la planche à billets et l’inflation atteignait 50 %. En 2019, comme en 2018, elle devrait atteindre les 35 %.
Avec en prime une perte de confiance vis-à-vis du rial iranien…
D’un côté, l’offre de produits locaux ou importés diminue fortement. De l’autre, la demande des Iraniens en biens de première nécessité reste forte. Il n’en faut pas plus pour que les prix s’emballent et que le pouvoir d’achat des Iraniens s’effondre. Ceux qui en ont les moyens achètent des dollars pour se protéger. Comme par le passé, les billets verts de l’ennemi américain deviennent une valeur refuge. Sur le marché parallèle des changes, un dollar s’échange aujourd’hui contre 140 000 rials. Il n’en fallait que 40 000 mi-2017. Pénurie de nourriture ou encore de médicaments : les populations les plus vulnérables sont les plus touchées.
Mais une partie importante des dépenses budgétaires reste consacrée à l’armement…
C’est vrai. Le gouvernement ne cesse d’expliquer aux Iraniens qu’ils sont en guerre, contre les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, Israël… C’est ainsi qu’il justifie les hausses relatives des dépenses d’armement, qui se font indéniablement au détriment des dépenses d’infrastructures, de santé ou d’éducation. Le pays pourrait s’endetter : sa dette publique ne dépasse pas 40 % du PIB. Mais qui oserait prêter à l’Iran sans redouter les représailles des Etats-Unis ?
L’Iran a connu début 2018 de fortes tensions sociales. Alors que la situation économique et sociale n’a cessé de se dégrader, pourquoi n’y a-t-il pas un regain de tension ?
En dépit d’un taux de chômage de 12 ou 13 %, et qui touche 27 % des jeunes, les Iraniens ne veulent pas se retrouver dans un chaos semblable à celui de la Syrie ou de l’Irak. Près de 800 000 personnes arrivent sur le marché du travail chaque année, dont plus de la moitié sont diplômées (master ou doctorat). Pour assurer l’emploi des jeunes, il faudrait un rythme de croissance d’au moins 6 % par an.
Propos recueillis par Vittorio de Filippis