21.11.2024
Pourquoi tous les yeux sont rivés sur le Venezuela ?
Presse
5 février 2019
En réalité, tout ça est en germe depuis 2017. C’est le développement d’une stratégie consignée dans la déclaration fondatrice du groupe de Lima, qui compte 14 pays américains, dont le Canada, et réclamant un changement de pouvoir à Caracas. Depuis ce moment-là, tous ces pays, la France la première, n’ont pas eu d’autre ligne politique que de soutenir l’opposition vénézuélienne. L’accusation de non-légitimité de Maduro est donc une position de ces acteurs internationaux depuis près de deux ans.
Si on regarde ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est parce que la crise politique est arrivée à son acmé. Les différents pays qui suivaient ça de loin, comme le lait sur le feu, se mettent désormais en mouvement et convergent pour que le scénario qu’ils souhaitent advienne. Nous sommes face à l’accélération et à l’activation de toutes ces positions-là, sous la forme d’une alliance entre États américains et européens.
Pourquoi la France et les principales puissances européennes s’alignent sur la décision de Donald Trump en soutenant Juan Guaidó?
On peut émettre quelques hypothèses. La première est que cette ligne permet au président Emmanuel Macron de montrer des gages de solidarité avec Donald Trump sur un dossier qui est finalement assez périphérique dans la politique étrangère française, pour un coût faible. Tandis que sur des questions qui comptent davantage, les deux hommes sont chaque jour un peu plus fâchés. Ensuite, la France tente aussi peut-être d’envoyer des signaux amicaux vers les nouveaux dirigeants conservateurs d’Amérique latine, notamment Jair Bolsonaro au Brésil ou Ivan Duque en Colombie, là où elle a des intérêts économiques et commerciaux significatifs.
Enfin, il y a peut-être une explication propre à la politique intérieure française. Emmanuel Macron veut peut-être répondre à son opposition et alimenter ses clivages avec elle [Jean-Luc Mélenchon soutient Maduro et a condamné les « putschistes », ndlr] à quelques mois d’une campagne électorale européenne qui se tiendra dans un contexte politique et social complexe avec le mouvement des Gilets jaunes et le Grand débat national. Quoi qu’il en soit la position de la France ressemble à une rupture historique avec sa tradition diplomatique. En effet, sans même parler de son approche partisane qui l’éloigne de son rôle de médiatrice dans les conflits, la France reconnait au Venezuela un gouvernement et non plus un État. La tradition française et européenne veut le contraire.
Au contraire, pourquoi la Chine, la Russie et la Turquie soutiennent Nicolás Maduro ?
Il y a deux raisons. La première est stratégique. La réaction de la Chine est liée à sa propre doctrine à propos des relations internationales. Le pays est sur une ligne de non-ingérence dans les affaires intérieures des États. Une ligne qu’elle exige pour son propre pays, et qui ne vient donc pas d’une prétention morale. Donc, à chaque fois que les États-Unis se montrent véhéments, la Chine exprime son désaccord. Même chose pour la Russie et la Turquie qui ne veulent pas qu’on critique les affaires internes. La deuxième est économique. La Chine et la Russie ont beaucoup d’intérêts financiers et commerciaux au Venezuela. Depuis maintenant plusieurs années, depuis l’arrivée d’Hugo Chávez, le pétrole vénézuélien est de plus en plus exploité et exporté par et vers ces pays.
Cette crise politique et sociale est-elle le résultat d’un conflit interne ou est-elle encouragée par des intérêts extérieurs?
Il y a une conjonction, une corrélation entre des facteurs internes et externes qui sont indissociables. La crise économique que connait le pays depuis 2013 et surtout 2014, est due notamment à l’effondrement du prix du baril de pétrole, de sa production et de son exportation.
Tout le reste se greffe à cette situation : lorsque Maduro est élu en 2013 avec 50,6%, une partie de son opposition ne le reconnait pas comme légitime. L’affrontement politique – immédiatement brutal – se mue ensuite en guerre institutionnelle et quasiment en guerre civile de basse intensité qui a altéré l’état de droit et le cadre démocratique du pays.
S’ajoutent à ces problématiques internes les sanctions des États-Unis, qui arrivent dès 2015, donc sous Barack Obama, et aggravent une situation économique qui rend le quotidien encore plus difficile. Sous cette pression externe, les logiques des deux partis se radicalisent et polarisent les acteurs. Résultat : les positions intermédiaires n’ont plus d’espace.
Les positions intermédiaires n’ont plus d’espace dans lequel se faire entendre. Cela peut-il signifier qu’une issue pacifiste est impossible ?
Il y a deux scénarios. Le premier est simple, c’est celui de l’escalade qui finit avec à la clé un affrontement en guerre civile et, sous ou une forme ou une autre, une intervention. L’autre, c’est un scénario de négociations et de dialogues qui apparaît possible mais fragile avec la réunion prévue à Montevideo, le 7 février [première réunion du Groupe de contact international sur le Venezuela, organisée par l’Uruguay et l’UE pour aboutir à des élections « libres », ndlr]. Elle est soutenue par António Guterres, le Secrétaire général de l’ONU et y participeront un pays pro-Maduro, des pays pro- Guaidó (dont la France), et des pays neutres qui ne le reconnaissent pas président par intérim (Mexique et Uruguay). Les États-Unis par contre ne veulent pas en entendre parler. Ni l’opposition vénézuélienne. Quant à Nicolás Maduro, il s’était dit favorable à l’initiative qu’il n’a pour le moment pas remise en question.
Donc sans la présence de l’opposition, on est loin d’arriver à un compromis. Et le dialogue est toujours plus compliqué à mettre en place qu’une intervention militaire. Il faut que les acteurs se sentent à l’aise. On ne peut pas faire négocier des acteurs qui ont un couteau sous la gorge.
Propos recueillis par Felicia Sideris