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Centrafrique : « On peut douter de la fiabilité de l’accord de paix annoncé à Khartoum »

Presse
4 février 2019
Après dix jours de pourparlers entre le gouvernement et quatorze groupes armés de Centrafrique, la conclusion d’un accord de paix a été annoncée à Khartoum, au Soudan, samedi 1er février, sous l’égide de l’Union africaine (UA) et des Nations unies. Cet accord devrait en principe mettre fin à des années de crise dans un pays meurtri. Sauf que plusieurs aspects appellent à la prudence, voire à la méfiance.

Sur l’accord lui-même, il reste des zones d’ombres importantes, puisque son contenu n’a toujours pas été rendu public. Ainsi, on ne sait pas comment Khartoum a traité les différends majeurs, notamment la question de l’amnistie pour les chefs de guerre. Dans ce conflit aux dimensions communautaires, ethniques et religieuses, de nombreux crimes de guerre ont été perpétrés depuis le déclenchement des violences en 2012-2013. La Cour pénale internationale (CPI) prépare un certain nombre de dossiers contre des grands criminels de guerre et, à Bangui, un tribunal hybride, financé en grande partie par la communauté internationale, se met en place pour juger les seconds couteaux.

Même s’il n’existe pas de sondages fiables en Centrafrique, il est clair que le peuple a soif de justice. C’était par exemple une des revendications importantes des consultations populaires – le Forum de Bangui – en 2015. Pour cette raison, le gouvernement du président Faustin-Archange Touadera a résisté à l’idée d’amnistie par le passé. Or une des demandes principales des groupes armés était justement d’être exemptés de poursuites. Les grands chefs ne vont pas faire la paix sans s’être assurés qu’ils ne seront pas inquiétés plus tard par la justice.

Une invitation permanente au pillage

Mais les faiblesses de l’accord vont bien au-delà des compromis qui auraient été faits à Khartoum. Il y a en effet peu de chances que ces négociations mettent définitivement fin à l’instabilité en Centrafrique. D’abord, il y a une asymétrie qui rend la fiabilité de tout accord de cette nature douteuse. Le gouvernement peut parler pour le peuple centrafricain ; les groupes armés ne parlent que pour eux-mêmes.

Les milices anti-balaka ont beau dire qu’elles défendent les populations chrétiennes, les soldats de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC) les populations peules et les guerriers du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) les gens du nord-est du pays, la vérité est que les groupes armés ne représentent aucune idéologie, aucune aspiration régionale ou nationale, aucun projet pour l’avenir. Ce ne sont que des bandits et des coupeurs de route qui ont largement profité de la guerre. Les changements rapides d’alliances observés ces dernières années le montrent bien. Leur objectif était la violence et le butin. Et si eux « font la paix », d’autres viendront certainement après. L’absence de l’Etat à l’intérieur du pays est une invitation permanente au pillage.

L’Etat centrafricain est déjà très faible. Or cet accord pourrait l’affaiblir encore plus. Ce genre d’accord est le plus souvent conclu entre un gouvernement et un maquis qui prétendent tous les deux à la légitimité. En Centrafrique, il n’y a pas une telle crise de légitimité. Faustin-Archange Touadera a été élu en 2016 dans une élection surveillée par la communauté internationale. A cette époque, les groupes armés ne se sont pas opposés au déroulement du scrutin et M. Touadera a gagné le deuxième tour de façon convaincante. C’est le président de tous les Centrafricains. Mettre les groupes armés en face de ce gouvernement légitime, plus ou moins sur un pied d’égalité, c’est en quelque sorte nier la volonté de l’électorat centrafricain. L’idée de donner des postes à ces groupes, sans un soutien populaire, va à l’encontre de la démocratie centrafricaine.

Présence troublante d’une délégation russe

Par ailleurs, il n’est pas exclu qu’il y ait eu des pressions venues de l’extérieur, rendant l’accord suspect aux yeux des Centrafricains. Le président Touadera a longtemps insisté sur un processus de paix dirigé par son gouvernement. Celui-ci n’a pas abouti et l’UA a demandé à prendre le relais. Or les voisins de la Centrafrique qui ont donné l’impulsion à cette initiative régionale ne sont pas tous totalement désintéressés. Pour cette raison, il n’y a pas forcément une congruence totale entre les parrains régionaux de l’accord et les Centrafricains. Enfin, on note la présence plutôt troublante d’une délégation russe à Khartoum. Même si les Russes étaient là comme « observateurs », leur influence grandissante à Bangui peut laisser croire qu’ils étaient en mesure d’imposer leurs points de vue.

Il y a donc des raisons de s’interroger sur l’avenir de cet accord, en particulier lorsqu’on observe le rapport de forces entre le gouvernement et les groupes armés. Une question fondamentale se pose : pourquoi ces groupes se rendraient-ils ? Ils contrôlent des trafics lucratifs – diamants, or, bétail – qui leur sont très profitables et, dans un avenir proche, ni l’Etat ni l’opération de maintien de la paix des Nations unies ne seront capables de mettre fin à leurs déprédations à l’intérieur d’un grand pays incontrôlé et instable. Vont-ils vraiment échanger le contrôle des mines et les barrages sur les axes de transhumance contre une amnistie et quelques postes à Bangui ? Signer un accord, peut-être. Le respecter, c’est autre chose.
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