13.12.2024
République démocratique du Congo – la première transition démocratique depuis l’indépendance s’annonce incertaine
Tribune
14 janvier 2019
La coupure d’internet et de stations de radio en République démocratique du Congo (RDC) il y a quelques jours et l’interdiction de rassemblements autour de candidats de l’opposition semblaient présager de la très probable victoire d’Emmanuel Ramazani Shadary, dauphin de Joseph Kabila. Lors d’une de ses dernières sorties médiatiques, le chef de l’État sortant n’excluait plus sa propre candidature en 2023 et un scénario Putin-Medvedev était par ailleurs redouté par certains observateurs. Or, à la surprise générale, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé la victoire provisoire de Felix Thisekedi, leader de l’UDPS, parti historique de l’opposition. Transition démocratique inédite pour les uns, « putsch électoral » pour les autres.
Un processus pré-électoral qui a tenu le pays en haleine
Il aura fallu deux ans et bien des tergiversations pour organiser les élections présidentielles, initialement programmées pour novembre 2016. Joseph Kabila – fils de l’ancien chef de guerre et président (1997-2001) Laurent Kabila – aura tenu les rênes du pays pendant 18 ans. Élu seulement en 2006 et en 2011, le gouvernement de Joseph Kabila avance des difficultés de financement pour repousser les élections qui ont finalement eu lieu le 30 décembre 2018. Ce n’est qu’en août 2018 qu’il écarte une candidature à sa propre succession – qui aurait par ailleurs nécessité un changement de Constitution largement contesté par des mouvements populaires – respectant ainsi un accord conclu en 2016 avec les principaux partis de l’opposition. Emmanuel Ramazani Shadary, ancien ministre de l’Intérieur sous sanctions de l’UE, est alors nommé candidat du pouvoir en place. Le désistement de Kabila est largement salué à l’époque par la Communauté internationale avec laquelle les relations n’ont pas cessé de se dégrader ces derniers mois. Bien que la RD Congo figure parmi les premiers pays destinataires de l’Aide publique au développement[1], le gouvernement Kabila a boudé une réunion de levée de fonds humanitaires en avril et a annulé, en juillet, la visite d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, et de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine. Mettant en avant l’agenda trop chargé du président, la rencontre risquait de mettre sur la table l’épineuse question de sa candidature.
Le processus électoral a connu une autre lueur d’espoir quand l’opposition éclatée, avec les 21 candidats retenus par la CENI en septembre 2018[2], a déclaré sa volonté de nommer un candidat unique. Après des négociations tendues en novembre à Genève, sept candidats s’étaient partagé les principaux postes stratégiques et Martin Fayulu avait été nommé candidat unique. Un choix désavoué le lendemain par Felix Tshisekedi, leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UNDS), un des principaux mouvements de l’opposition co-fondé par son père Étienne Tshisekedi au début des années 1980. La candidature de Felix Tshisekedi avait alors reçu l’appui de l’influent Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale et qui avait occupé des postes importants sous les gouvernements Mobutu et Kabila.
Les trois candidats principaux – Shadary, Fayulu et Thisekedi – se disputent depuis la magistrature suprême à coup de réunions avortées, manifestations et affrontements entre opposants et policiers. Plusieurs sondages d’opinion assuraient la victoire d’un des candidats de l’opposition dans ce pays disposant d’énormes richesses minières, mais dont la population n’avait plus beaucoup à attendre du régime au pouvoir depuis 18 ans. Toutefois, le gouvernement Kabila gardait espoir de rester au pouvoir, un scénario qui faisait craindre le pire jusqu’à la dernière minute, avec en mémoire les violences post-électorales de 2011 encore fraîches. Le report de l’annonce des résultats par la CENI, le blocage d’internet et de nombreux médias faisait également craindre le pire. La Commission épiscopale des évêques de RDC (CENCO), qui avait envoyé 40.000 observateurs sur le terrain, indiquait détenir les informations sur le véritable vainqueur.
Des résultats qui continuent à faire planer le doute sur une possible crise post-électorale
Depuis l’annonce des résultats provisoires de la CENI le 10 janvier 2019, le scénario du pire semble évité. Felix Thisekedi a remporté la victoire avec 38,57%, avant Martin Fayulu avec 34,83% et Emmanuel Ramazani Shadary en troisième position avec 23,84% des voix. Pour la première fois depuis l’indépendance du pays en 1960, une passation de pouvoirs entre deux présidents élus se profile.
Si le gouvernement Kabila, qui a déjà reçu les assurances de la volonté de collaboration de Tshisekedi, semble accepter ces résultats, Martin Fayulu a dénoncé un « putsch électoral ». Cet homme d’affaires, qui a fait carrière dans le secteur pétrolier et prévoit de faire financer les 2/3 de son programme par des investisseurs étrangers, a désormais la possibilité de porter un recours devant la Cour constitutionnelle. Il n’a par ailleurs pas tardé à recevoir l’appui de partenaires importants. Dès le lendemain, Bruxelles et Paris n’ont pas hésité à émettre leurs doutes et annoncent un débat au Conseil de sécurité. Un peu plus tard dans la journée, la Commission épiscopale, tout en appelant au calme et sans nommer le nom d’un autre vainqueur, annonce que « les résultats […] tels que publiés par la CENI ne correspondent pas aux données collectées » par ses missions d’observation.
Plusieurs morts post-électoraux ont déjà été enregistrés et il reste à attendre ces prochains jours la validation des résultats par la Cour constitutionnelle pour voir si la situation dégénérera. En attendant, le pays reste bloqué. Ce sont les populations confrontées aux conflits locaux persistants, à la crise d’Ebola dans les provinces du Nord-Kivu et d’Ituri, au chômage de la jeunesse et à de nombreux autres défis existentiels qui continueront à payer les frais de cette inertie politique.
[2] Quatre candidatures ont été écartées, dont celle de Jean Pierre Bemba, ancien chef de guerre et vice-président condamné par la Cour Pénale Internationale.