18.11.2024
Ce que la culture pop chinoise nous révèle de l’Empire du Milieu
Presse
3 janvier 2019
Il s’agit en fait d’une tendance qui remonte à la première moitié des années 2000, quand les effets de la croissance économique ont commencé à se traduire en une plus grande consommation des ménages, et quand la Chine s’est évertuée à mettre en avant sa culture et ses points forts dans de multiples domaines (comme lors des JO d’Athènes, en 2004, où la Chine se hissa au deuxième rang des nations derrière les Etats-Unis). L’organisation des JO de Pékin en 2008 et de l’Exposition universelle de Shanghai en 2010 ont conforté cette dynamique. Le tourisme à l’intérieur de la Chine s’est également fortement développé à cette époque, et de très nombreux patrimoines culturels ont été rénovés (parfois très bien, parfois très mal d’ailleurs) avant d’être proposés à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (où les Chinois n’envisagent pas de ne pas être le pays le plus représenté). Ajoutez à cela la multiplication de programmes culturels à la télévision, des séries vantant les périodes les plus fastueuses de l’histoire du pays, la réhabilitation des grandes figures historiques, trente ans après la Révolution culturelle… La Chine a réinventé le soft power, mais avant tout pour séduire sa propre population, et restaurer un sentiment de fierté nationale, après 150 d’humiliations (présentées comme tel en tout cas). Très rapidement s’est développé un sentiment de supériorité sur d’autres pays, nourris par la taille de la Chine, sa population, son histoire, sa culture ou encore ses succès économiques. La Chine s’est réappropriée le monde chinois, après l’avoir délaissé. L’Etat-parti a joué un rôle central dans ce regain de fierté nationale, en comprenant que le développement économique de la Chine ne devait pas se traduire par un changement de régime dès lors que celui-ci savait s’adapter au regard que les Chinois portent sur eux-mêmes. Les médias utilisés sont bien entendu la presse, notamment Le quotidien du peuple, mais aussi la télévision (les nombreuses chaines de CCTV), et Internet, Weibo et WeChat en tête, où les Chinois relaient leur fierté d’appartenir au monde chinois.
Le 1er janvier 2018, Xi Jinping a mis la pression sur le gouvernement taïwanais, lui demandant de se conformer au modèle hong-kongais et donc d’abandonner son indépendance. Si la pression politique est très forte sur l’île anciennement « nationaliste », qu’en est-il du soft power de la République populaire de Chine ?
Le « soft power » chinois n’a quasiment aucune résonnance à Taiwan, contrairement à d’autres régions où l’attractivité de la Chine a fortement cru depuis une décennie. Cela s’explique évidemment par le différend ancien entre les deux entités, mais aussi et peut-être surtout par la grande proximité culturelle, linguistique et historique, qui offre aux Taiwanais l’opportunité de savoir exactement ce qu’est la Chine, et c’est précisément ce qu’ils ne veulent pas être. Très régulièrement, des sondages d’opinion sur l’identité sont réalisés à Taiwan, avec comme réponses possibles le fait de se sentir « chinois », « taiwanais », « les deux » ou « aucun ». Les résultats sont sans appel. Le nombre de Taiwanais qui se revendiquent chinois est aujourd’hui quasi nul, là où ceux qui proclament leur taiwanité ne cessent d’augmenter. La Chine ne fait pas rêver les Taiwanais. C’est un partenaire économique et commercial majeur, un pays qui, pour certains, partage une riche histoire et une culture plurimillénaire, un lieu dans lequel on compte des amis et/ou de la famille, et où on parle la même langue, mais rien de plus. Si on ajoute à cela le fait que la Chine reste un régime autoritaire là où Taiwan est devenu une démocratie dynamique et moderne, il est impensable d’imaginer les Taiwanais rêvant de glorifier Xi Jinping ou Mao Zedong.
Attention cependant à ne pas tomber dans l’erreur qui serait de voir dans la posture de Xi Jinping une affirmation inédite de la puissance chinoise dans son rapport à Taiwan. Tous ses prédécesseurs ont, comme lui, fait mention du caractère inéluctable de la réunification entre les deux Chine, et c’est notamment en 2005, sous le mandat de Hu Jintao que fut adoptée la loi anti-sécession, qui autorise le recours à la force dans le cas où Taiwan proclamerait son indépendance. Rien de nouveau donc dans les propos de Xi Jinping, si ce n’est que la maladresse du président chinois ne risque pas de convaincre les Taiwanais que le « modèle » de Hong Kong est le meilleur à suivre, en particulier compte-tenu du contexte de l’ancien territoire britannique depuis quelques années. Le différend Chine-Taiwan est dans sa soixante-dixième année, il est évident que Xi Jinping rêve d’être le dirigeant chinois qui y mettra fin, mais d’autres en ont rêvé avant lui…
Comment cette politique culturelle interne a-t-elle évoluée ces 10 dernières années ? Peut-on parler d’intensification de la propagande ?
Pas nécessairement. Ce qui a surtout changé depuis dix ans, c’est la fierté qui émane des Chinois. Elle est à bien des égards légitime, et l’Etat-parti n’a fait que l’entretenir, sur la base des efforts mis en place, comme dit précédemment, il y a une quinzaine d’années. Les Chinois voyagent également de plus en plus à l’étranger et, malgré la censure, sont de mieux en mieux informés de ce qui se passe dans le monde. Dans ce contexte, une propagande trop grossière serait trop rapidement démasquée et aurait des effets contre-productifs. Il est donc plus intelligent de mettre l’accent sur le caractère global de la culture chinoise, et l’initiative de la ceinture et de la route (que nous traduisons par « nouvelles routes de la soie ») s’inscrit aussi dans cette logique. Les Chinois y voient un juste retour des choses, au point qu’ils ne réalisent même plus leurs écarts aujourd’hui quand ils critiquent les « petits pays » qui entourent l’empire du milieu. Et ces écarts ne sont pas uniquement le fait des dirigeants, mais des Chinois dans leur majorité.