21.11.2024
George Bush senior, symbole d’une Amérique multilatérale disparue
Presse
3 décembre 2018
« Jeb, Neil, Marvin, Doro et moi-même sommes tristes d’annoncer qu’après 94 années remarquables notre père est mort. Nous n’aurions pas pu rêver de meilleur père. »
Après la disparition de sa femme, Barbara, décédée en avril dernier, qui a été son soutien indéfectible, particulièrement dans la maladie, tout le monde savait que l’issue était proche pour George Bush. Mais le choc n’en a pas moins été énorme en Amérique, car la famille Bush est une véritable dynastie : deux présidents, et Jeb, le jeune frère de George a, lui aussi, tenté sa chance à la présidence, avant d’être battu dans les primaires par Donald Trump, en 2016.
La guerre du Golfe et le mur de Berlin
La carrière de George H.W. Bush ressemble à celle d’un héros américain. Et elle a été célébrée comme telle, car il coche toutes les cases. Pour commencer, à 18 ans, il est devenu le plus jeune pilote de l’US Navy. Les États-Unis s’apprêtaient alors à entrer dans la Seconde Guerre mondiale. Il a servi dans la Navy jusqu’en 1945. Après la démobilisation, il a intégré la prestigieuse université de Yale, dont il sera diplômé en 1948. George H.W. Bush s’est alors lancé dans l’industrie du pétrole, quittant le Massachusetts pour le Texas, où il est devenu millionnaire à l’âge de 40 ans.
Sa carrière politique a démarré très tôt : élu à la Chambre des représentants, puis directeur de la CIA, son nom est très vite devenu incontournable dans la sphère publique. En 1980, il a tenté d’obtenir l’investiture du Parti républicain pour la présidentielle, mais a été doublé par Ronald Reagan, qui l’a finalement choisi comme vice-président. Ce n’était que partie remise puisqu’il a atteint le Bureau ovale à son tour, en 1988.
Le mandat de George H.W Bush a notamment été marqué par les dérégulations et sa « guerre à la drogue ». On se souviendra de lui pour sa politique étrangère, dont émergent surtout les opérations militaires au Panama ou dans le Golfe persique. Mais c’est surtout la chute du mur de Berlin qui reste dans toutes les mémoires. George Bush comprend que l’intérêt des États-Unis est d’accompagner le mouvement pour obtenir des conditions qui leur conviennent plutôt que de s’opposer à la réunification allemande.
Son nom reste aussi aujourd’hui attaché à la Guerre du Golfe : le 2 août 1990, Saddam Hussein envahit le Koweït et Bush demande immédiatement le retrait des forces irakiennes. Comme cela n’a aucun effet, il lance une grande offensive terrestre, sous les ordres du général Schwarzkopf. La deuxième phase, intitulée « tempête du désert » date du 17 janvier 1991 avec le largage de 4 000 bombes et dure quatre semaines. C’est une guerre totalement contrôlée sur le plan médiatique que l’on a pu suivre heure par heure à la télévision. Et qui s’arrête aussi brutalement qu’elle a commencé, le 28 février 1991.
Sur le plan intérieur, les Américains se souviennent de sa lutte contre la récession et le déficit budgétaire : il accepte de signer une augmentation d’impôts imposée par le Congrès en 1988 et chute à l’élection suivante en dépit de son slogan : « Lisez sur mes lèvres : plus de taxes ». Une de ses plus grandes lois porte sur le handicap (Disabilities Act 1990), qui complète le dispositif des droits civiques hérité des années 60, mettant ainsi fin à une discrimination qui ne se voyait pas, et change profondément le regard de la société américaine sur cette question.
« 41 » et « 45 », un contraste saisissant
Les souvenirs évoqués par les médias à l’annonce de sa disparition sont très loin de ces enjeux : on mentionne son amour pour le baseball ou le golf, on montre l’homme au milieu de sa famille. Peut-être est-ce pour dissiper la gêne ambiante. Car George H.W. Bush représentait un autre monde, qui s’éloigne encore un peu plus avec lui. Le héros américain, celui qui inscrit sa légende dans une histoire collective, elle-même élargie aux frontières du monde, semble avoir disparu. Or, George H.W. s’efface en ajoutant un dernier épisode à son aventure : il meurt le jour même de la réunion annuelle du G20. Comme s’il délivrait un dernier message politique, sans faire de bruit.
Tout le monde s’est focalisé sur la réaction de Donald Trump, qui ne s’entend pas avec la famille Bush et qui ne s’était pas rendu aux obsèques de Barbara Bush, en février dernier. Or la déclaration de Donald Trump a tranché avec les précédentes, puisqu’il a rendu un hommage appuyé à l’homme et à son action :
« Par son authenticité essentielle, son esprit désarmant et son engagement indéfectible pour la foi, la famille et le pays, le président Bush a inspiré des générations de ses compatriotes américains et donné confiance dans le service de l’État qui est, selon ses propres mots, la grandeur, l’espoir et la chance de l’Amérique dans le monde. »
Pourtant, comme lors du décès récent de John McCain, l’opposition à Trump devrait dominer l’actualité dans les prochains jours. On reparlera de la lettre que le 41e président a adressé à Donald Trump, en janvier 2016, dans laquelle il expliquait ne pas pouvoir venir à son investiture « parce que son médecin lui déconseille de sortir en janvier. »
Et on évoquera à nouveau son slogan de campagne, en 1988, qui appelait à « une Amérique plus bienveillante et plus douce ». Le contraste entre les style de l’un et de l’autre n’en paraît que plus grand : l’un (45) parle fort et mise tout sur la franchise du propos, alors que l’autre (41) s’exprimait avec douceur et calme, préférant le sous-entendu et la finesse du langage. Les mots utilisés par le président actuel pour définir son prédécesseur font allusion à cette différence. Lorsque Trump évoque l’espoir, l’humilité, la discrétion et l’inspiration de George H.W. Bush, beaucoup d’Américains mesurent combien leur pays a changé depuis les années 1990.
Le « nouvel ordre mondial » aux oubliettes
Mourir un jour de G20 ressemble à l’une de ces pirouettes dont l’ancien président avait le secret. Ainsi, le jour même du grand raout des puissants du monde, George H.W. a, d’une certaine manière, rappelé son principal message : le recours à la discussion et à l’action commune. La Guerre du Golfe, – la « sienne », pas celle de son fils –, a été menée par une coalition de 43 pays, dont faisaient partie des nations arabes. Ce n’est pas sur le plan militaire qu’il a gagné à ce moment-là, mais bien sur les plans politique et diplomatique. L’Amérique s’inscrivait alors dans un ordre mondial, que ce Président américain a largement contribué à modeler lorsqu’il s’est trouvé face à l’écroulement du bloc soviétique.
Aujourd’hui, l’Amérique ne veut plus assurer de rôle moteur dans l’équilibre du monde et entend jouer sa partition seule. Plus encore, comme elle l’a montré au G20, elle ne veut pas d’un ordre mondial, et préfère que le jeu se déroule sans aucune règle écrite. La transformation a pris près de trente ans.
Les raisons de ce changement sont liées à une combinaison de facteurs : la conviction chez Trump que la souveraineté nationale passe avant toute chose, son goût pour les politiques fortes et les hommes qui les conduisent, le déclin relatif de la puissance américaine dans le monde et les intérêts purement électoralistes de l’actuel Président américain.
Une autre Amérique
« Ce qui frappait du temps de George H.W. Bush, c’est la manière dont il traitait tout le monde avec respect et marque d’intérêt » : cette remarque est revenue sans cesse dans la presse américaine durant le week-end. Elle évoque un temps où les républicains et les démocrates travaillaient ensemble, dans le compromis, pour faire avancer leurs lois à Washington.
On a aussi évoqué l’art de perdre une élection : la tradition veut que le perdant appelle le gagnant pour lui souhaiter « bonne chance » dans la conduite des affaires de la nation. L’image de George H.W. se tenant aux côtés de Bill Clinton le jour de son investiture a resurgi. Et on a rappelé, en particulier, cette note manuscrite laissée par George Bush à son successeur démocrate en 1993 dans le Bureau ovale, dans laquelle il lui souhaitait « bonne chance », et affirmait être de « tout cœur » avec lui.
Comme lors du décès de John McCain, les médias américains sont revenus abondamment sur cette Amérique un peu moins divisée, où l’on savait tendre la main à l’autre camp pour réussir ensemble. En vantant la longue carrière militaire de George H.W. Bush, ses deux mandats au Congrès, sa carrière de diplomate, de directeur de la CIA, de vice-président et bien sûr de Président, les commentateurs opposent implicitement le défunt à l’actuel locataire de la Maison Blanche. Ainsi le sénateur Marco Rubio, candidat à la présidence en 2016, a écrit dans un tweet :
« Aujourd’hui, vantardises et insultes sont considérées comme manifestant un leadership fort tandis qu’humilité et dignité sont vues comme de la faiblesse. »
Deux vies, deux tempéraments, deux destins
Les vies des deux Présidents américains ne pourraient être plus opposées. Le défunt président s’est construit dans un parcours très traditionnel, passant par l’armée, l’expérience privée et du monde des affaires, avant de revenir à celle du public, de la CIA de la diplomatie et des fonctions électives. Un parcours effectué pas à pas, sans anicroche et en accumulant savoir et expérience. Celle de Donald Trump s’est faite tambour battant, passant du monde des affaires à la Maison Blanche, sans aucune autre expérience permettant de concevoir la fonction suprême.
Fidèle aux pratiques en vigueur dans son parti, le Président Bush a toujours cherché à éviter les conflits. Il vivait dans un monde policé et paisible et voulait le conserver ainsi. Ses vues sur le monde évoluaient lentement avec le temps et, comme la plupart des politiciens de son époque, il soutenait toujours la défense de l’environnement et avait même adopté le Clean Air Act, révisé en 1990 avec un soutien bipartisan écrasant. À l’époque, être républicain signifiait faire preuve de compassion et croire qu’il fallait lutter contre toutes les formes de discrimination.
George H.W Bush avait compris que le pouvoir des États-Unis n’était pas que militaire. Il savait que la véritable force de l’Amérique résidait dans ses valeurs : la démocratie, la liberté de la presse et un système judiciaire juste et équitable (pour n’en citer que quelques-uns). Son mouvement, le Parti républicain, – tel qu’il le concevait en tout cas – semble être mort plusieurs fois cette année, que ce soit dans les urnes, ou dans le cœur des hommes.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.