13.12.2024
Qui veut la mort de l’ONU ?
Édito
20 novembre 2018
Je reproduis ci-dessous la préface que j’ai eu le plaisir de rédiger pour l’ouvrage « Qui veut la mort de l’ONU : du Rwanda à la Syrie, histoire d’un sabotage », coécrit par Romuald Sciora et Anne-Cécile Robert et paru aux éditions Eyrolles.
L’ONU est-elle à ce point en danger ? On peut le penser à la lecture du titre que Romuald Sciora et Anne-Cécile Robert ont choisi à l’ouvrage qu’ils consacrent à l’Organisation internationale : Qui veut la mort de l’ONU ?
En effet, quels sont ceux qui pourraient souhaiter la disparition de l’Organisation à vocation universelle créée en 1945 pour ce que la Société des Nations n’avait pas su faire : éviter une guerre mondiale ? Certes, on peut se demander si c’est l’Organisation des Nations unies qui y est parvenue, alors que le monde n’avait jamais été autant idéologiquement divisé et surarmé, ou si ce fut l’effet du système d’alliances et de la dissuasion nucléaire. Toujours est-il que le pire a été évité. C’est la thèse du verre à moitié vide ou à moitié plein. Les pessimistes diront que l’ONU n’a pas réussi à établir un véritable système de sécurité collective, quand les optimistes expliqueront qu’elle a permis de limiter les affrontements et a offert un cadre de contact permanent.
Si l’ONU est contestée, elle a tout de même connu d’indéniables succès : la décolonisation et le démantèlement de l’apartheid n’en sont pas des moindres. Mais, surtout, elle fluidifie la vie internationale par les multiples contacts qu’elle permet. La prévention est souvent invisible alors qu’un échec est toujours spectaculaire.
R. Sciora et A-C Robert écrivent qu’Antonio Guterres est le Secrétaire général de la dernière chance. Risque-t-il de mettre la clé sous la porte ? Non. Mais, il faut reconnaître que l’ONU, qui a traversé de nombreuses crises, est aujourd’hui confrontée à un défi de grande ampleur. On peut tout simplement se demander si le pays fondateur – et largement inspirateur –, pays le plus puissant du monde, où l’organisation a son siège, ne remet pas en cause la pertinence et l’utilité mêmes de l’organisation. Il y a un réel danger. Les États-Unis se sont retirés de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), font peu de cas de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), attaquent et menacent la Cour pénale internationale (CPI) et ne tiennent pas compte de l’expertise et des contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en Iran. De plus, ils tournent délibérément en dérision les résolutions prises par l’ONU, notamment lorsqu’elles concernent le conflit israélo-palestinien. On peut même se demander si l’actuel président américain aurait accepté, avec ou sans droit de véto, de rentrer dans une organisation qui, sans être (au moins pour les membres permanents) supranationale, est quand même le temple du droit international et du multilatéralisme.
Le multilatéralisme est en crise et l’organisation universelle en est obligatoirement impactée. Ainsi, le travail sérieux et argumenté de réhabilitation de l’Organisation mondiale auquel se livrent les auteurs est bienvenu. R. Sciora et A-C. Robert ne sont pas pour autant onu-béats. Ils sont tout à fait conscients des limites de l’organisation, ainsi que de ses occasions manquées. Qu’elle n’ait pas été capable de mettre en œuvre un véritable système de sécurité internationale du fait de la division de la guerre froide est déjà bien documenté. Les auteurs insistent sur l’espace inédit et prometteur de réforme qui s’est ouvert en 1991 sans avoir abouti. Ils soulignent également, à juste titre, que l’ONU et son système ont raté le coche de la crise de 2008, qu’ils ont été incapables de prévoir et juguler. Ils ne font pas l’impasse sur l’autoconcurrence dont le système onusien est capable (FAO et PAM, OMS et ONUSida), pas plus que sur les catastrophiques échecs au Rwanda et à Srebrenica, l’épisode peu glorieux de « Pétrole contre nourriture » en Irak ou les crimes dont les Casques bleus sont régulièrement accusés. C’est logiquement qu’ils soulignent enfin avec force que l’avenir de l’ONU est un enjeu civilisationnel. Un cadre juridique imparfait est toujours préférable à son absence totale. Le fait que le droit soit parfois violé est quand même mieux que l’anarchie internationale, sauf la loi inique du plus fort.
Il est deux façons de critiquer l’ONU : pour l’affaiblir, en niant le principe d’une vie internationale régulée par le droit et le multilatéralisme ; pour combattre ses lacunes et en améliorer le système. On lira avec intérêt les propositions réfléchies de réforme de l’ONU que suggèrent R. Sciora et A-C. Robert, pour justement les rendre plus efficientes, qu’il s’agisse de renforcer la représentativité du Conseil de sécurité de l’ONU, les moyens militaires propres à l’organisation ou l’autonomie de son financement.
La vraie question est de savoir si le monde se porterait mieux sans l’ONU. À l’évidence, non. Ainsi, à l’instar de ce que Winston Churchill disait de la démocratie, on pourra dire que l’ONU – et le système multilatéral qu’elle incarne – est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres.