21.11.2024
Brésil : comment le géant sud-américain est-il passé du statut d’espoir de l’économie mondiale à son marasme actuel ?
Presse
6 octobre 2018
Le Brésil présente un potentiel très important. Le pire, avec un immense secteur informel, y côtoie le meilleur, avec une industrie aéronautique par exemple bien positionnée sur la scène mondiale. Le Brésil a été vu comme un des pays les plus prometteurs parmi les grands pays émergents, puis la récession de 2015-2016, la pire de l’histoire du pays (-8% combinés) a attiré le regard sur un certain nombre de failles. Les années 2000 ont été considérées comme une grande période d’avancées économiques et sociales sous Lula, sur fond de boom des matières premières. Depuis 2013, le pays a été à la fois frappé par le retournement des marchés de matières premières et par le resserrement des conditions de financement auquel sont confrontés en particulier les pays qui affichent un déficit extérieur important. Le Brésil a néanmoins connu une très forte réduction de son déficit courant ces dernières années de 4% à une situation actuellement proche de l’équilibre, contrairement à la Turquie et à l’Argentine.
Malgré ce rééquilibrage, le pays souffre de très faibles gains de productivité, une situation qui freine autant la croissance que le rééquilibrage du modèle social depuis plusieurs décennies.
Le Brésil est un pays ultra-inégalitaire, malgré l’amélioration pour les classes les plus défavorisées sous Lula. Il s’avère par ailleurs que le système de redistribution social agit plus généralement comme une sorte de « Robin des Bois à l’envers », comme certains l’ont qualifié ; c’est-à-dire que la dépense sociale profite de façon démesurée aux ménages aisés, en particulier ceux parmi les plus riches. Le Brésil affiche un déficit budgétaire d’environ 7% du PIB (dont environ 5% du PIB en paiement d’intérêts) ; ce déficit provient notamment de ce système social extrêmement déséquilibré et notamment d’un système de retraites intenable financièrement, qui profite massivement à des groupes affluents.
Le combat politique suit les intérêts des diverses classes sociales, sans qu’une voie commune ne parvienne à émerger pour remettre le pays sur la voie d’un développement équilibré. La présidence très contestée de Michel Temer, après la destitution de Dilma Rousseff, a été un modèle du genre, avec une focalisation sur la question fiscale qui a abouti à un gel grossier de la dépense publique à son niveau réel de 2015, sans souci de réformes concrètes ciblées sur les faiblesses du modèle du pays. Il n’a ainsi pas même abordé le dossier brûlant des retraites.
Fernando Haddad, le remplaçant de Lula, suite à l’emprisonnement de ce dernier, offre néanmoins une ligne modérée, qui semble intégrer les limites liées à la précarité de la dépendance sur les matières premières dans le modèle macro-financier du pays. Jair Bolsonaro, qui ne mène plus activement campagne depuis qu’il a été poignardé, a présenté une ligne d’extrême droite reposant sur la répétition d’invectives racialistes accompagnées d’un programme économique conçue comme une offensive de charme libérale, focalisée sur la politique fiscale. Le candidat privilégié par les marchés, Geraldo Alckmin, a pour sa part offert un programme également très limité, centré sur la question fiscale, sans réflexion sur le modèle économique du pays, et ne suscite naturellement qu’un engouement très limité de l’électorat.
En quoi les erreurs commises peuvent être comparées, dans une certaine mesure, à la sous-performance économique européenne ?
Le Brésil est un exemple assez typique de pays souffrant régulièrement d’épisodes d’hyper-surévaluation monétaire. Au cours des années 2000 jusqu’à 2011, le real s’est apprécié de presque 200% en termes réels par rapport à l’ensemble des partenaires commerciaux du pays. La situation s’était aggravée dans le sillage de la crise financière mondiale, la politique monétaire de la Fed conduisant à des flux de capitaux massifs vers les pays émergents où les taux d’intérêt étaient bien plus élevés. Cette situation avait conduit le ministre des Finances brésiliens de l’époque à proposé la notion de « guerre des monnaies ». Mais au-delà de cette prise de conscience très tardive, l’élite brésilienne tend à se réjouir des épisodes de boom financier, de surévaluation malgré les déséquilibres dévastateurs qui se creusent dans ces périodes.
Le Brésil est un des pays à avoir le plus souffert dans les années 1980-90 des politiques visant à fixer le taux de change national vis-à-vis du dollar dans l’espoir d’abaisser le taux d’inflation. A taux de change nominal fixe, la différence d’inflation qui demeurait entre le pays et les Etats-Unis se traduisait par une considérable appréciation du taux de change réel (les prix des produits brésiliens en dollars) qui précipitait une crise de compétitivité, un effondrement du taux de change et une envolée de l’inflation, contrairement à l’objectif poursuivi.
On retrouve ainsi, dans cette vision monétaire, de nombreux points de comparaison avec la situation européenne, avec l’idée que la convergence économique pourrait naître de la rigidité monétaire ou de l’apparence de stabilité apportée par des bulles. Le mécanisme d’affaissement de la compétitivité brésilienne comme résultat d’un régime monétaire de surappréciation est comparable aux déséquilibres engendrés par l’euro pour les pays qui avait dans les années 2000 des taux d’inflation plus élevés que l’Allemagne. Cette situation étant couverte par les bulles immobilières qui gonflaient la croissance, le système apparaissait comme durable malgré le creusement de déséquilibres commerciaux massifs.
Dans le cas du Brésil comme des pays de la zone euro, ce qui est régulièrement présenté comme une stratégie indiscutable visant à la stabilité par les milieux politiques qui parlent au nom du marché a tendance à s’avérer intenable et à la source de graves déséquilibres qui pèsent sur le développement technologique des pays concernés.
Comment inscrire l’opposition politique qui se profile au Brésil dans le jeu d’une polarisation mondiale qui opposeraient « populistes » et « progressistes » ?
On constate au Brésil une polarisation extrême du débat politique entre des politiciens qui se tentent de se faire l’écho de couches sociales définies. Le clan Bolsonaro revendique une vision proche de celle de Donald Trump, mais la comparaison n’a en réalité guère de sens sur le fond, au-delà peut-être d’une certaine conception stylistique. Sur le plan économique par exemple, Bolsonaro défend une vision fiscale qui se veut stricte, à l’attention des marchés, tout en préservant les intérêts des milieux auxquels il est lié. Son approche économique est à l’opposé de celle de Donald Trump, qui s’est fait le champion des baisses d’impôts et de la relance par le déficit public, et de la tentative de rééquilibrage commercial au moyen de mesures douanières. En réalité, à choisir à tout prix le candidat à une comparaison forcément bancale, c’est le PT qui aurait des conceptions finalement plus proches de celles de Trump, si on le compare aux autres partis. La notion de front populiste mondial a aussi peu de sens que celle de front progressiste. Les divers pays ont des problèmes en commun, mais présentent surtout des situations très différentes, aussi bien sur le plan du développement économique que sur celui des cultures politiques. L’idée qui consiste réduire à le débat à cette grande confrontation qui se déploierait prétendument à l’échelle mondiale, ente populistes et progressistes, ferait peut-être un bon sujet de bande dessinée politique mais n’offre pas une clé de compréhension pertinente.