17.12.2024
Présidentielles brésiliennes à l’heure de l’intolérance
Tribune
8 octobre 2018
Le candidat d’extrême-droite, Jair Bolsonaro, est arrivé largement en tête des élections brésiliennes, dimanche 7 octobre. Le candidat du Parti des travailleurs, Fernando Haddad, a bien fini deuxième. Mais il a été nettement vaincu aux points : 46% pour le premier et 29% pour le second.
Le résultat a bousculé bien des certitudes. Loin du Brésil. Comment comprendre cette pole position d’un nostalgique des dictatures qui ont dévasté l’Amérique du Sud il n’y a pas si longtemps ? Comment entendre cette relégation, relative, mais réelle d’une formation, le PT, qui, il y a encore quatre ans a soulevé tant de passions positives ?
Le deuxième tour, le 28 octobre, s’annonce périlleux. Périlleux pour le candidat du PT, sans doute. Mais aussi redoutable pour le futur de la démocratie au Brésil. Et par contagion et osmose bien au-delà. Le recours à des comparaisons explicatives, tirées d’expériences françaises, voire européennes et trop souvent nord-américaines ouvre beaucoup de fausses fenêtres. La clef de ce mystère apparent se résume en un mot, enraciné dans l’histoire sociale du Brésil, « Intolérance ».
Intolérance des nantis à l’égard des plus pauvres d’abord. C’est la plus solidement enracinée dans un passé construit sur quatre siècles d’esclavage. Ceux que le sociologue Jesse Souza, a qualifié dans l’un de ses derniers ouvrages, « d’élites du passé », placés devant le dilemme démocratie ou perpétuation des privilèges ont choisi. Plutôt l’extrême-droite que le retour d’un parti, le PT qui a fait le choix de la démocratie sociale. D’un PT qui a tant, trop donné aux plus pauvres de 2003 à 2016.
Le vote pour Jair Bolsonaro est cohérent avec la destitution inconstitutionnelle en 2016 de la présidente élue en 2014, Dilma Rousseff (PT). Elle est cohérente avec la condamnation sans preuve à 12 ans de prison de l’ex-président Lula (PT). Elle est cohérente avec les pressions exercées sur les juges par le Commandant en chef des forces armées pour empêcher la libération de Lula. Elle est cohérente avec l’action combinée d’élus sans foi ni loi démocratiques et des grands médias destinée à construire l’image d’un PT, bouc émissaire des crises brésiliennes. Juges, députés et sénateurs ont coordonné leurs initiatives de 2016 à 2018 pour préserver l’immunité de nombreux présumés corrompus, le président de fait Michel Temer (PMDB), le sénateur Aecio Neves (PSDB), José Serra (PSDB), ex-ministre des Affaires étrangères, par exemple.
Intolérance religieuse ensuite. Le Brésil est un pays imbibé d’émotions transcendantales. Depuis toujours les plus démunis ont cherché dans l’au-delà et dans ses démiurges la voie de la consolation. Ce segment est aujourd’hui de plus en plus capté par les églises évangélistes pentecôtistes. Qui prêchent, aux perdants, aux plus pauvres, le salut individuel pour accéder à la bénédiction divine et à la richesse qui iraient de pair. Ces églises partagent les « valeurs » du libéralisme le plus radical. Elles ont ouvertement appelé leurs fidèles, partagés entre leur solidarité avec le parti des pauvres et leurs croyances à faire le choix de Jair Bolsonaro. Non pas pour défendre un système qui les opprime. Mais pour dénoncer le PT et son candidat comme les créatures d’un démon ayant pour noms, communisme, socialisme, et débauche morale et sexuelle.
Jair Bolsonaro, porté par la bourse, les banques, les agro-exportateurs, les pasteurs évangélistes, les forces armées, et les grands médias, a surfé sur la vague. Et limité sa campagne au minimum permis par le caractère lacunaire des moyens modernes de communication, Whatsapp, Twitter, Facebook et chaîne de télévision de l’Église universelle du Royaume de Dieu. Victimisé par le déséquilibré qui a tenté de le tuer le 6 septembre, mais sorti vivant de l’épreuve, il a ajouté un côté surnaturel à une « campagne » électorale sans argumentation, ni programme.
Seul le nord-est du Brésil (la région du Nordeste), le Brésil pauvre, noir et métis, le Brésil victime de la corruption d’une société pornographiquement inégalitaire a résisté à la vague. Le deuxième tour, le 28 octobre, va-t-il confirmer le premier ? Une certitude en tous les cas. Tous ceux qui soutiennent sans pudeur le discours xénophobe, anti-pauvre, raciste, et de réaction sociale brutale de Jair Bolsonaro vont appuyer sur l’accélérateur entre les deux tours. La voiture démocratique brésilienne va-t-elle résister aux prévisibles embardées de ces trois semaines de « campagne » ?