06.11.2024
Nouvelles menaces sur les aires protégées africaines
Tribune
5 octobre 2018
Le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) projette le classement d’une « zone à intérêt pétrolier » dans deux parcs nationaux, celui de la Salonga qui s’étend sur une superficie de 33 350 km2 dans 3 provinces, ce qui en fait le plus grand parc national forestier du continent et le deuxième plus grand parc forestier tropical du monde, et celui de la Virunga, le plus ancien parc national d’Afrique, qui s’étend sur 7,800 km2 à cheval entre les provinces des Kivus et le Rwanda. La zone d’intérêt pétrolier qu’il est prévu d’installer concerne au total 172 075 hectares soit 21,5 % de la surface totale des deux parcs pourtant classés au patrimoine mondial par l’UNESCO. Dans le parc de la Virunga, les réserves pétrolières sont estimées à 6 758 milliards de barils avec des recettes budgétaires attendues de sept milliards de dollars.
Les ONG locales et internationales avaient demandé l’arrêt de ces projets, dénonçant « des conséquences catastrophiques » pour l’environnement. Le parc de la Salonga abrite en effet près de 40 % de la population mondiale de bonobos, une espèce de primates de la famille des Hominidés en voie de disparition, tandis que celui des Virunga constitue un habitat vital pour de nombreuses espèces protégées, les hippopotames, les éléphants et certains – parmi les derniers -, gorilles des montagnes au monde.
En Centrafrique, un recensement aérien a été réalisé pour mesurer l’impact du récent conflit sur la faune sauvage du Nord de la République centrafricaine (RCA). Les résultats montrent que les populations de grands mammifères ont été décimées dans de larges zones de leur domaine vital. Quelques populations de girafes de Kordofan, d’élans de Derby, de buffles, d’antilopes rouannes et autres espèces phares subsistent cependant en petit nombre. Aucun éléphant, ni trace de présence n’ont été observés durant le recensement. Le braconnage et le trafic illégal de la faune, impliquant autant des groupes armés circulant entre les frontières que des chasseurs locaux, ont fortement affecté la zone. Une pression significative par les transhumants et par l’exploitation minière artisanale a été mise en évidence.
Par leur gravité, ces situations attirent de nouveau l’attention sur l’avenir de la faune sauvage africaine. Partout sur le continent, la biodiversité est de plus en plus menacée. 19 % de la faune africaine est considérée comme menacée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Parmi les 2 970 espèces en voie de disparition, 555 sont « en danger critique d’extinction » et 1 029 sont « en danger ». Les habitats des animaux ont été réduits par suite de l’extension de l’agriculture, du pastoralisme itinérant et de la déforestation. La chasse et le braconnage sont à l’origine de la raréfaction de nombreuses espèces. Au parc de la Virunga, des milices armées ont trouvé refuge et s’adonnent régulièrement à des activités de braconnage ou d’extraction illégale de minerais. L’argent qu’ils en retirent sert généralement à payer leurs armes. Depuis 1994, plus de 170 rangers ont été tués alors qu’ils tentaient d’arrêter ces miliciens et aujourd’hui encore, la situation est périlleuse dans cette zone.
Le commerce de l’ivoire a considérablement réduit le nombre d’éléphants. Chaque année, 30 000 pachydermes sont abattus en Afrique, pour une population évaluée en 2017 à 450 000 animaux. Les premiers importateurs mondiaux d’ivoire sont le Vietnam et la Chine. Le nombre de produits en ivoire vendus dans le sud de l’empire du Milieu, en particulier dans les villes de Guangzhou et de Fuzhou, a plus que doublé durant la seconde partie de la décennie 2000, la plupart commercialisés illégalement. Le marché asiatique est aussi très preneur de la corne de rhinocéros, qui, une fois réduite en poudre, est utilisée en médecine alternative. Les vertus de cette corne sont pourtant contestées. Les deux kilogrammes de corne de rhinocéros qui justifient que l’on abatte un animal qui pèse deux tonnes n’ont pas plus de propriétés – analgésiques, antispasmodiques, anti-inflammatoires ou aphrodisiaques – que la poudre de perlimpinpin. Une autre filière existe, car la corne sert de manche de poignard – le djambia – au Yémen et dans d’autres pays arabes. Le prix de la corne de rhinocéros atteint des sommets. Sur le marché noir, elle s’échange entre 50 000 et 70 000 euros le kilo, soit jusqu’à 200 000 euros pour une seule corne ! En Afrique du Sud, un gramme de corne vaut plus qu’un gramme de cocaïne.
Pour protéger les éléphants et les rhinocéros menacés par des braconniers de mieux en mieux organisés et équipés, une des méthodes employées est l’interdiction totale du commerce de l’ivoire et des cornes. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) de 1990 a prohibé ce commerce. Certains pays africains ont cependant été autorisés à vendre leurs stocks d’ivoire issus de défenses d’éléphants morts naturellement ou confisqués à des braconniers. Le braconnage à grande échelle persiste. À l’expérience, la justesse du principe selon lequel aucune mesure de prohibition ne peut totalement annihiler la demande se vérifie. La corruption est possible à quasiment tous les niveaux et à tout moment. L’outil classique de la conservation est l’aire protégée qui délimite un espace valorisé pour sa richesse en matière de biodiversité biologique et y interdit la présence de populations locales. Dans certaines grandes réserves de faune sauvage d’Afrique, le but est la conservation et la gestion de la biomasse pour les grands mammifères herbivores. La Tanzanie et la Zambie ont gelé plus de 30 % de leur territoire pour préserver la faune. Dans les aires protégées des régions forestières de la cuvette du Bassin du Congo et de Madagascar, l’objectif est davantage la préservation de l’environnement floral.
Le principe des aires protégées fait l’objet de critiques. Certains dénoncent le « syndrome de Tarzan » (cf. Sylvie Brunel). Les critiques sont fondées sur deux observations. Le danger est souvent de créer des « paradis verts » caractérisés par des environnements relativement maîtrisés parce qu’ils ont été aménagés et vidés de leur population, et d’autre part des « enfers » aux ressources naturelles dégradées où se concentre une population appauvrie. L’exclusion des populations amputées d’une partie de leur territoire et de leurs ressources est source de tensions.
Depuis les années 1990, le modèle de « forteresse défensive » a évolué grâce notamment aux travaux du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et des ONG internationales de protection de l’environnement (IUCN, WWF International, etc.). Il est désormais reconnu que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la conservation n’est pas d’exclure les gens des aires protégées, mais de gérer les activités humaines de façon à ce qu’elles ne portent pas atteinte aux valeurs qui ont présidé à la création de ces aires protégées. Cette opinion va de pair avec la reconnaissance de la nécessité d’associer la population locale aux décisions de planification et de gestion des aires protégées. Des voies d’intégration des populations sont donc recherchées (concessions de droits d’usage exclusifs, plans de gestion négociés État/populations).
Les ONG se sont emparées du sujet, soucieuses d’éviter les dégâts sociaux créés par la mise sous cloche de certains espaces, privant les populations de l’accès à leurs ressources vitales. Les expériences de gestion communautaire des réserves au Botswana, au Kenya et au Zimbabwe (CAMPFIRE, Communal Resources Management Programme for Indigenous Resources) ont valeur d’exemples. Au Cameroun, la conservation communautaire semble donner de bons résultats (Réserve de faune du DJA, Réserve de la Lopé). Dans le parc de la Salonga aussi, des expériences de ce type avaient été promues avec le Fonds mondial pour la nature (WWF) et l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) qui ont signé en 2015 un accord de cogestion, avec un financement destiné à soutenir le développement communautaire et la gestion basique du parc, tandis que l’augmentation du financement de l’Union européenne et de la KFW (Coopération allemande) au cours des prochaines années devait contribuer au recrutement du personnel, à l’amélioration de l’infrastructure et de la logistique pour assurer la protection du parc tout en assurant des moyens de subsistance des personnes dans et autour du parc. Même avec ce type d’approche, la prudence s’impose. Pas seulement parce que les États, comme le fait celui de la RD Congo, peuvent passer outre, mais parce que parfois certaines de ces approches qui se veulent participatives adoptent un biais ritualisé, avec la complicité de notables qui font valider des décisions en assemblées villageoises sans tenir compte ni de la mémoire collective où siège le souvenir des spoliations anciennes ni des répercussions sur l’emploi et les comportements.