17.12.2024
Brésil, les présidentielles en question
Tribune
25 septembre 2018
Y aura-t-il un deuxième tour le 28 octobre prochain ? La question peut paraître incongrue. Elle sous-entend qu’il y aura bien un premier tour, le 7 octobre. Pourquoi donc dans ces conditions n’y aurait-il pas un deuxième tour, comme le prévoient les règles brésiliennes en la matière ?
Le doute est fondé et légitime. Les lois, et la plus importante de toutes, la Loi fondamentale, la Constitution, sont sujettes à interprétations casuistiques. Les juges et les élus ont donné l’exemple, le mauvais exemple. De façon répétée depuis 2016, ils en proposent une lecture partisane et sectaire, contraire à l’esprit de la démocratie. Au nom de conceptions unilatérales diabolisant les autres points de vue.
Il n’y aurait qu’une lecture possible du bon gouvernement. Celle que préconisent les milieux financiers, les agro-exportateurs et leurs amis européens et nord-américains. La tolérance démocratique, selon ce « credo » diffusé par les formations politiques, se plaçant motu proprio au « Centre », tous partis de droite et de centre-droit, -DEM, PSDB-, exclut donc comme radicaux et extrémistes les partis à vocation sociale et progressiste.
La démarche a pris une tournure chaque jour plus intolérante depuis les débuts de campagne électorale. Le terrain idéologique paraissait dégagé. La grande presse et les médias télévisés, ceux du groupe Globo, mais aussi bien d’autres en simple concurrence commerciale avec Globo, comme A Folha, O Estado de Sao Paulo, Veja, etc., en assuraient la diffusion à grande échelle. La campagne s’annonçait également sans anicroche majeure. La présidente de la République, membre du Parti des travailleurs (PT), Dilma Rousseff, avait été démise à l’issue d’un vote scélérat du parlement. Le candidat principal du courant progressiste, Lula da Silva, avait été de la même manière, sans fondements, condamné et emprisonné pour une période de 12 ans par une justice partisane. Un candidat populiste d’extrême droite, Jair Bolsonaro, avait émergé ces derniers mois. Bénéficiaire involontaire de la mise à l’écart de la gauche populaire par le « Centre » financier et politique. Il a été, opportunément, écarté par le coup de couteau d’un suspect présenté comme déséquilibré.
Un grain de sable est venu gripper cette machine. Les électeurs. Lula a été remplacé. Fernando Haddad, sitôt adoubé par l’ex-président et le PT, a fait un saut que les sondages peinent à masquer. Certains sondeurs cachent sa parenté avec Lula. D’autres, tout en reconnaissant une marge d’erreur de 2%, le donnent battu par Bolsonaro au deuxième tour de 1 ou 2 points. Les médias ont sonné l’alerte libérale. Tous contre les extrêmes. Haddad le progressiste est assimilé à Bolsonaro, le sécuritaire. L’ex-président Fernando Henrique Cardoso (PSDB) a publié une lettre le 20 septembre alertant sur le danger des extrêmes. Assimilant donc comme les éditorialistes des journaux des milieux financiers Bolsonaro et Haddad.
Rien n’y fait. Bolsonaro reste en tête qualifié donc pour le second tour. Ayant opportunément libéralisé son programme économique, revu et lissé par un « Chicago Boy » local, Paulo Guedes il grignote un électorat dit du « Centre » effrayé par une éventuelle victoire du candidat PT. Plus préoccupant, l’armée participe publiquement à ce débat. Non seulement les officiers généraux de réserve, mais aussi d’active. Ce qui leur est pourtant interdit par une loi de 2002. Les déclarations répétées du Commandant en chef des armées de terre, Eduardo Villas Boas, avertissant le Tribunal supérieur de la fédération de remplir son devoir, c’est-à-dire de rejeter les recours en habeas corpus des avocats de Lula, contestant à l’avance une victoire électorale du PT, bien que sans le nommer, ont d’autant plus modifié le contexte de l’élection que le candidat du « Centre », Geraldo Alckmin les a considérées pertinentes.
Mais il y a encore plus grave, si l’on regarde ces évènements d’un point de vue démocratique. Le président du Tribunal supérieur fédéral, José Antonio Dias Toffoli, a le 13 septembre nommé à son cabinet comme conseiller, le général de réserve Fernando Azevedo e Silva, qui le 31 août encore était chef d’État-major de l’armée de terre. A ce titre à Brasilia, au siège de l’État-major, il avait au cours d’une cérémonie protocolaire, le 9 août dernier, donné lui aussi son sentiment sur la conjoncture politique du Brésil, le sens qu’il convenait de donner à la démocratie et au vote…
Autant de déclarations qui, venant après les détournements assumés des valeurs républicaines, confirment que quelque chose ne va vraiment pas bien dans le déroulement d’une campagne électorale hors du commun démocratique.