21.11.2024
Crise migratoire au Venezuela : « L’économie n’y a plus aucun sens, la monnaie plus aucune valeur »
Presse
30 août 2018
Cela dépend finalement pour qui. Une partie de la population, celle qui a toujours accès aux dollars, vit correctement voire encore très bien pour certains. Mais globalement oui, le pays traverse la plus grande crise économique et sociale qu’il n’ait jamais connue, ce qui explique en partie les flux migratoires auxquels on assiste depuis plusieurs années. L’économie n’a plus de sens aujourd’hui au Venezuela et la monnaie plus aucune valeur. Les prix peuvent augmenter plusieurs fois par jour en fonction de l’évolution du taux de la monnaie. L’inflation est telle [elle pourrait atteindre 1.000.000 % fin 2018 selon le Fonds monétaire international] que bon nombre de Vénézuéliens ne peuvent plus rien se payer. Après avoir frôlé la rupture en 2015-2016, le gouvernement Maduro avait mis en place des dispositifs temporaires pour tenter de soulager les classes populaires et garantir aux gens le minimum vital, via notamment la distribution de sacs de produits de première nécessité. Mais, ces dispositifs ne règlent pas le fond du problème et ne suffisent plus du tout aujourd’hui.
Comment le Venezuela en est arrivé là ? On parle tout de même du pays qui a les plus grandes réserves de pétrole au monde et qui a longtemps été l’un des Etats les plus florissants d’Amérique latine…
La crise est multifactorielle. Il y a d’abord l’onde de choc de la crise économique mondiale [2007-2012] qui n’a pas épargné l’Amérique latine. Elle s’est traduite notamment par un effondrement de la demande mondiale en pétrole et un effondrement des cours du baril. Les deux effets cumulés ont eu au Venezuela l’effet d’une catastrophe nucléaire. Son économie repose exclusivement sur le pétrole et l’industrie pétrochimique : 95 % des devises qui rentrent dans le pays sont directement générées par la vente des barils de pétrole. Autrement dit, avec la crise mondiale, les Vénézuéliens se sont retrouvés avec la grande majorité de leurs ressources évaporées. Tous les programmes sociaux qui avaient fait les beaux jours du chavisme ont alors fondu comme neige au soleil. C’est l’un des éléments structurants de la crise vénézuélienne.
Concomitamment à la crise économique, survient une crise politique à la mort d’Hugo Chavez, en mars 2013. Nicolas Maduro [qui était son vice-président] est élu avec difficulté et n’est pas reconnu par une partie de l’opposition. Ce sera le point de départ d’affrontements politiques très forts entre le chavisme et l’opposition. Enfin, le Venezuela pâtit aussi des pressions internationales, en particulier des sanctions économiques américaines contre le pays. Ces sanctions ont été instaurées sous Barack Obama en 2015 puis durcies par Donald Trum. Ces sanctions pèsent énormément sur le Venezuela qui se voit quasiment coupé des circuits financiers et commerciaux internationaux.
On parle de 1,6 million de Vénézuéliens à avoir fui leur pays depuis 2015. Cette crise migratoire n’est donc pas si nouvelle…
Non, effectivement. Cette vague migratoire dans l’œil médiatique depuis plusieurs semaines a commencé dès 2014. Elle était au départ le fait de Vénézuéliens des classes moyennes voire aisées. Ceux qui avaient finalement suffisamment d’économies pour redémarrer une vie à l’étranger. A cette première vague s’est ajoutée une deuxième, depuis un ou deux ans, concernant cette fois-ci beaucoup plus les classes populaires. Elles se décident à partir tout simplement parce que les conditions de vie deviennent trop précaires.
Le Brésil, l’Equateur, le Pérou, la Colombie se disent aujourd’hui débordés par l’afflux de migrants vénézuélien. Cette crise migratoire met-elle en péril la stabilité politique en Amérique du Sud ?
Il faut être prudent sur ce point. Certes, les chiffres sont significatifs : 1,6 million de Vénézuéliens ayant émigré dans les pays voisins, ce n’est pas rien. Mais d’une part, la situation n’est pas vraiment inédite en Amérique du Sud. Entre trois et quatre millions de Colombiens ont fui par le passé la guerre civile pour s’installer justement au Venezuela qui a longtemps été un pays d’accueil. Des centaines d’Equatoriens ont également quitté en masse leur pays rongé par la crise économique au début des années 2000. Là encore, une grande partie s’est retrouvée au Venezuela.
D’autre part, on en revient à la même question que pose la crise migratoire en Europe. La migration d’1,6 million de personnes en trois ans suffit-elle à déstabiliser une région qui compte 400 millions d’habitants si on ne prend en compte que l’Amérique du Sud ? On rentre là dans un débat d’opinions. Ce qui est certain, c’est que cette vague migratoire intervient dans un contexte géopolitique qui était déjà très tendu entre le Venezuela et ses pays frontaliers. Le Brésil, l’Argentine, le Pérou et la Colombie sont très actifs dans le groupe de Lima qui prend clairement position pour la destitution de Nicolas Maduro et appuie l’opposition. Les migrants vénézuéliens sont pris d’une certaine façon dans cet étau géopolitique. Chacun tente d’exploiter la situation. Les pays limitrophes en se disant en danger face à l’afflux de migrants vénézuéliens et le gouvernement Maduro en criant u complot ou en affirmant que ces Vénézuéliens ont fui à cause des sanctions économiques imposées à leur pays.
Le 30 juillet dernier, Maduro estimait à deux ans le temps qu’il faudrait pour revenir à la stabilité avant d’annoncer un plan de relance qui entre en vigueur en ce moment… Vous y croyez ?
Je pense que Nicolas Maduro n’est pas fou et a compris que son pays est au bord de la rupture. Les mesures qu’il a dernièrement prises* marquent un vrai virage politique. Là-dessus, il n’y a aucun doute. Mais rien ne dit que ça va marcher. C’est en tout cas très difficile de se prononcer sur ce point tant la capacité de récupération de l’économie vénézuélienne dépend de nombreux facteurs. Elle me semble impossible en tout cas tant que la crise politique entre les Chavistes et l’opposition perdurera et tant que le Venezuela sera sous le coup des sanctions économiques américaines.
*La création du bolivar souverain notamment, une nouvelle monnaie délestée de cinq zéros pour contrer l’hyperinflation, la multiplication par 35 du salaire minimum, une hausse de la TVA sur l’essence…