ANALYSES

Comment la Coupe du monde a-t-elle été remportée par la Russie ?

Presse
16 juillet 2018
Le 15 juillet 2018 aura donc lieu à Moscou une finale de la Coupe du monde de football masculin inédite, opposant la France à la Croatie. Cet ultime match clôturera un Mondial plus que jamais placé sous le signe de la politique, en dépit des cris d’orfraie poussés par certains qui considèrent encore le sport et le football comme un terrain apolitique.

En se déroulant en Russie, cette 21ème édition était, de sa désignation surprise en décembre 2010, face notamment à l’Angleterre, à la cérémonie d’ouverture, éminemment politique. S’inscrivant dans le cadre de la diplomatie sportive mise en oeuvre par Vladimir Poutine depuis le début des années 2000 et destiné à contribuer, par le soft power, au retour de la Russie sur la scène internationale, cette Coupe du monde avait un double objectif.

Une compétition à multiples enjeux pour Moscou

Au plan interne, cette compétition avait pour ambition d’apporter aux Russes un sentiment de fierté, d’unité, au-delà même de la performance, assez inattendue, de la sélection nationale. L’emplacement des villes hôtes ne laisse également rien au hasard, en rappelant en filigrane l’immensité et la diversité de la nation russe, allant de l’enclave de Kaliningrad, à Saint-Pétersbourg en passant évidemment par la ville olympique et paralympique de Sotchi. De plus, l’accueil d’un tel évènement sportif avait également pour ambition d’accroître le tourisme au sein du pays, en retard par rapport à son potentiel.

Sur le plan international, cet événement s’inscrit dans une période pour le moins complexe pour Moscou. L’objectif de cette compétition est donc d’une part de venir lisser l’image de la Russie, en renvoyant une perception plus ouverte, plus accueillante, en opposition avec celle dégradée au cours des dernières années, marquée notamment par l’annexion de la Crimée, le soutien inconditionnel à Bachar Al Assad, les soupçons d’interférence au sein de l’élection présidentielle américaine ou encore les fortes tensions avec le Royaume Uni suite à la tentative de meurtre de l’agent Skrypal et de sa fille.

Alors que les menaces de boycott sportifs se sont multipliées dès le lendemain de la désignation de la Russie comme pays hôte, et à chaque nouvelle tension diplomatique, ce mondial n’aura, logiquement, pas suivi les traces des Jeux olympiques et paralympiques de Moscou de 1980, à l’exception notable du boycott diplomatique de plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement, suite à l’affaire Skrypal.

D’autre part, elle démontre aussi la capacité du pays à organiser un méga évenement sportif, aux standards FIFA extrêmement exigeants, en ayant su gérer les flux de spectateurs, la construction des infrastructures sportives et de transports. Elle illustre aussi la capacité de Moscou à assurer la sécurité d’un évènement sportif planétaire, dans un contexte terroriste important et parvenant à maîtriser les risques de hooliganisme, qui faisaient l’inquiétude d’un certain nombre de commentateur.

Une finale très politique pour la Croatie

Du point de vue de la finale enfin, elle oppose de façon inédite France et Croatie, 20 ans après leur rencontre en 1/2 finale, marquée notamment par le doublé (historique) de Lilian Thuram. Ce match et le parcours de l’équipe permet de s’intéresser à la Croatie, pays de 4 millions d’habitants, indépendant en 1991, affilié à la FIFA dès 1992 puis à l’UEFA en 1993. Dès son indépendance, l’accent sera mis sur le sport comme à la fois outil de rayonnement international mais également comme pilier de la construction nationale. Comment ont pu le démontrer plusieurs chercheurs spécialistes des Balkans, le football, mais également le handball ou le water-polo sont devenus partie intégrante de l’histoire collective du jeune pays, permettant également de se distinguer de ses voisins. Preuve de cette compétition régionale, un parlementaire serbe n’a pas hésité à insulter Novak Djokovic, qui avait encouragé la Vatreni.

En Croatie, la ferveur populaire bat son plein, n’effaçant toutefois pas les critiques envers la gestion de la fédération croate et contre sa star, Luka Modric, accusé de parjure devant le tribunal et risquant jusqu’à 5 ans de prison. En conséquence, dans les rues croates, les soutiens côtoient les critiques acerbes et l’issue de la finale déterminera sans doute de quel coté penchera la balance des opinions, montrant une nouvelle fois l’indiscutable politisation du sport.
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