17.12.2024
Pakistan : un scrutin sous haute surveillance
Tribune
13 juillet 2018
À quelques jours d’un scrutin législatif national (le 25 juillet), la fièvre électorale gagne peu à peu le ‘’pays des purs’’, cette volatile pièce du puzzle asiatique où la démocratie peine toujours[1] à prendre l’ascendance sur l’autorité des généraux, ces omnipotents hommes en uniforme traditionnellement moins concernés par le développement économique national et la stabilité intérieure que l’actualité du voisin indien. Une pathologie indo-centrée dommageable pour le quotidien et le futur des 205 millions d’habitants de ce pays en développement exposé à un spectre de maux plus rédhibitoires les uns que les autres : terrorisme multiforme (islamiste radical, sectaire, autonomiste[2] ou antiétatique), gouvernance passable – une faiblesse par ailleurs répandue dans la région… -, État de droit ténu, zones de non-droit au pluriel (cf. agences tribales de la frontière pakistano-afghane ; quartiers entiers de Karachi), pléiade d’entités politico-religieuses radicales ayant pignon sur rue (dont nombre figurent sur la liste des organisations terroristes…), prééminence de la loi martiale sur la lettre (civile) de la Constitution, crise énergétique[3] et coupures de courant permanentes, incidences diverses de l’interminable conflit afghan sur le territoire pakistanais ; et l’on en passe.
Les dernières nouvelles en provenance du ‘front électoral’ et du théâtre judiciaire donnent aisément le ton du rendez-vous politique à venir : le 8 juillet, la Cour suprême mentionne la possible implication de l’ancien Président Asif Ali Zardari (2008-2013 ; Pakistan People Party) – le veuf de l’ancienne emblématique Première ministre Benazir Bhutto[4] – dans une (nouvelle) affaire de corruption et de blanchiment d’argent ; un coup direct porté aux chances de succès (déjà fort minces…) du PPP, placé par les sondages en net retrait de ses deux principaux challengers du moment, le Mouvement du Pakistan pour la Justice (PTI) de l’ancienne star nationale de cricket Imran Khan, et la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de l’ancien 1er ministre Nawaz Sharif.
Ce dernier se trouve lui-même directement concerné par l’actualité politique du moment ; mais pas dans la position rêvée à l’avant-veille d’un scrutin national. Débarqué précipitamment de ses fonctions de chef de gouvernement – pour la 3e fois… – un an plus tôt et déjà condamné à l’inéligibilité à vie, l’homme fort et industriel prospère du Punjab a été jugé par contumace la semaine passée (6 juillet) par une cour anti-corruption à une peine de prison de 10 ans (assortie d’une amende de dix millions de dollars), pour avoir dissimulé la propriété de divers biens immobiliers de standing dans la capitale britannique, mise en lumière plus tôt par les révélations des Panama Papers. La presse pakistanaise du 11 juillet rapporte le souhait du ‘’Lion du Punjab’’ de regagner le territoire national ces prochains jours pour répondre devant la justice des faits qui lui sont reprochés ; une hardiesse qui pourrait directement le mener en prison, nonobstant l’accueil et le soutien enfiévré de ses millions de sympathisants.
Si près de la convocation de l’électorat devant les urnes, la concomitance des révélations et des deux condamnations associées ne doit naturellement rien au hasard. Cette configuration guère anodine servirait a priori les intérêts de la très influente caste des généraux – sur laquelle les responsables politiques disposent de fort peu de prises… -, notoirement hostile à l’ADN démocratique de la PML-N et du PPP. Mais également ceux de la 3e formation politique représentée dans les enceintes parlementaires nationales, le Mouvement du Pakistan pour la Justice du très médiatique Imran Khan, dont on dit du côté d’Islamabad et de Lahore qu’il serait en des termes bien plus « chaleureux » avec la haute hiérarchie militaire. Celle-ci verrait bien cette icône sportive assumer les fonctions de chef de gouvernement (PTI) et ainsi rompre l’habitude de confier la gestion des affaires nationales à la PML-N du clan Sharif ou au PPP de la dynastie Bhutto ; surtout si le nouveau venu s’avère à l’écoute des souhaits et valide sa feuille de route auprès de l’omnipotente Pakistan army…
Du Punjab au Sindh, de Peshawar à Quetta, la population pakistanaise observe le jeu des différents acteurs, jauge les chances de chacun à mesure qu’approche le jour du scrutin. Un exercice sous haute surveillance : plus de 350 000 hommes seront déployés pour maintenir l’ordre et prévenir d’éventuelles velléités de violence ; de la part du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) par exemple, la ‘branche pakistanaise’ de l’insurrection radicale talibane, dont les actions terroristes sur le territoire national sont responsables ces dernières années d’un bilan humain considérable. L’attentat-suicide meurtrier (20 victimes) perpétré par ces derniers à Peshawar (nord-ouest du pays) en matinée du 11 juillet en atteste tragiquement.
Diverses capitales régionales – au premier rang desquelles New Delhi, Kaboul et Pékin – prêtent une attention particulière à ce rendez-vous électoral animant le voisin pakistanais. Dans la première citée, les autorités indiennes espèrent profiter d’une possible alternance politique à Islamabad pour sortir de l’impasse et engager avec le futur 1er ministre pakistanais un chapitre bilatéral moins heurté, plus constructif. Une perspective qui aurait pour conséquences heureuses d’abaisser le niveau de tension dans la volatile région disputée du Cachemire – au plus haut depuis deux étés –, de réduire la volumétrie et l’intensité des incidents entre forces armées respectives à la frontière séparant les parties du Cachemire administrées par New Delhi (l’État du Jammu-et-Cachemire) et par Islamabad (Azad Kashmir), enfin, de réduire l’action sur le sol indien de diverses organisations terroristes (Lashkar-e-Toiba, Jaish-e-Mohamed) elles aussi impliquées dans une kyrielle d’attaques et de tragédies humaines.
Du côté de Kaboul, l’identité du futur chef de gouvernement du voisin oriental – autant que ses desseins à l’égard de l’exsangue et éreintée République afghane – importe également beaucoup, tant la population que les autorités qui escomptent ici encore une politique pakistanaise plus assistante qu’ingérante, plus généreuse que pernicieuse, alors que les forces de sécurité afghanes composent (après déjà dix-sept années de conflit…) de plus en plus difficilement avec une insurrection talibane qui elle ne semble guère sur le point de rompre, et dont on ne présente plus les liens historiques avec les services de renseignements pakistanais, dont la redoutée InterServices Intelligence (ISI).
Bien entendu, les dossiers indien et afghan du prochain chef de gouvernement pakistanais – sensibles au plus haut point pour tout dépositaire de l’autorité, qu’il soit civil ou militaire – ne sauraient, quelle que soit l’identité du 21e Premier ministre (depuis 1947), relever de sa seule analyse ou compétence ; l’influente et peu conciliante caste des généraux aura comme de coutume (depuis le premier coup d’État militaire en 1958…) le premier et le dernier mot sur ces sujets de politique extérieure.
Enfin, la plus lointaine Amérique porte également un intérêt particulier aux enjeux électoraux de ‘’l’allié’’ pakistanais ; ce, quand bien même les rapports entre Washington et Islamabad se seraient très sensiblement refroidis depuis l’entrée en fonction du Président Trump, décidé à laisser moins de latitude que ses prédécesseurs aux autorités (civiles et militaires) de ce pays d’Asie méridionale, convaincu de la nécessité de ne plus aveuglement poursuivre une généreuse assistance militaire alors même que des talibans pakistanais (TTP) viennent à frapper régulièrement des cibles civiles et militaires, afghanes et étrangères (OTAN ; États-Unis), sur le sol afghan.
———————————————–
[1] 71 ans après le départ de la couronne britannique et la naissance de la République du Pakistan.
[2] Au Baloutchistan notamment.
[3] Nonobstant l’existence de réserves de gaz naturel et d’un potentiel hydroélectrique conséquents.
[4] Assassinée voilà une douzaine d’années dans un attentat perpétré à Rawalpindi (banlieue de la capitale Islamabad), dans des circonstances toujours entourées de flou…